en bref
Le critère de l'impression générale prévu à l'article 218 de la Loi sur la protection du consommateur doit s'apprécier selon la perspective d'un consommateur moyen, soit un consommateur crédule et inexpérimenté, et non dans celle d'une personne raisonnablement prudente et diligente; le juge de première instance n'a donc pas commis d'erreur en concluant que les documents relatifs à une loterie promotionnelle («sweepstake») trompaient le destinataire en lui faisant faussement croire qu'il gagnait près d'un million de dollars américains.
Les intimées ont contrevenu à la Loi sur la protection du consommateur en transmettant à l'appelant des documents relatifs à une loterie promotionnelle truffés d'affirmations trompeuses; de plus, les règles du concours n'apparaissaient pas toutes lors d'une première lecture des documents.
Il y a lieu de réduire à 15 000 $ le montant de l'indemnité à titre de dommages exemplaires qu'une compagnie est condamnée à payer pour avoir fait des déclarations fausses ou trompeuses à un consommateur.
Résumé de l'affaire
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant infirmé un jugement de la Cour supérieure qui avait accueilli en partie une requête en réclamation d'une somme d'argent. Accueilli en partie.
- a reçu par courrier un «Avis officiel du concours Sweepstakes» (le «Document») sous forme de lettre signée, apparemment, par la directrice du programme et bordée d'encadrés imprimés en couleurs dont certains, en raison de leurs références au magazine Time, permettent à son destinataire de déduire qu'elle émane de T et TCM. Le Document, en langue anglaise seulement, combine plusieurs phrases écrites en majuscules et caractères gras rédigées sous forme exclamative, dont l'objectif est de capter l'attention du lecteur en lui suggérant qu'il est le gagnant d'un prix en argent de 833 337,00 $ US, à des phrases imprimées en plus petits caractères rédigées sous forme conditionnelle, dont plusieurs débutent par les mots «Si vous détenez le coupon de participation gagnant du Gros Lot et le retournez à temps». Au verso, la lettre indique d'ailleurs que R. sera admissible à un prix additionnel de 100 000,00 $ s'il valide son inscription à l'intérieur d'un délai de cinq jours. L'envoi postal contenait aussi un coupon-réponse ainsi qu'une enveloppe de retour sur laquelle les règles officielles du concours étaient imprimées en petits caractères. Le coupon-réponse offrait également à R. la possibilité de s'abonner au magazine Time. Par ailleurs, les règles indiquaient qu'un numéro gagnant avait été présélectionné par ordinateur et que son détenteur ne pourrait toucher le gros lot que s'il retournait le coupon-réponse dans le délai fixé. Les règles indiquaient que, dans l'éventualité où le détenteur du numéro gagnant présélectionné ne retournerait pas le coupon-réponse, le gros lot serait tiré aléatoirement parmi toutes les personnes ayant retourné le coupon-réponse et que chaque participant aurait alors une chance de gagner sur 120 millions. Convaincu qu'il était sur le point de toucher la somme promise, R. a aussitôt retourné le coupon-réponse se trouvant à l'intérieur de l'enveloppe. Ce faisant, il s'est abonné au magazine Time. Peu après, R. a commencé à recevoir les numéros du magazine à intervalles réguliers, mais le chèque espéré se faisait attendre. Il a contacté T et TCM, qui l'ont informé qu'il ne recevrait aucun chèque puisque le Document ne portait pas le numéro gagnant du tirage et ne constituait qu'une simple invitation à participer à un concours. Elles l'ont également informé que la directrice du programme qui avait signé la lettre n'existait pas; il s'agissait plutôt d'un «nom de plume».
- a déposé une requête introductive d'instance demandant à la Cour supérieure du Québec de le déclarer gagnant du prix en argent mentionné dans le Document et de condamner T et TCM à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs correspondant à la valeur du gros lot. La Cour supérieure a accueilli le recours en partie. Elle a jugé que le Document contrevenait aux prescriptions du titre II (art. 215 à 253) de la Loi sur la protection du consommateur portant sur les pratiques interdites de commerce et donnait ouverture aux sanctions civiles prévues à l'article 272 de la loi. La juge a fixé à 1 000 $ la valeur des dommages moraux subis par R. Elle a fixé à 100 000 $ le quantum des dommages-intérêts punitifs qui lui étaient également octroyés.
La Cour d'appel a accueilli l'appel de T et TCM et conclu qu'elles n'avaient pas violé la loi. D'abord, T et TCM n'avaient pas violé l'article 228 de la loi en omettant d'écrire clairement sur le Document que R. pouvait ne pas être le gagnant du gros lot. De plus, l'utilisation du nom d'une personne fictive comme signataire du Document ne violait pas l'article 238 c), car cela n'était pas susceptible de tromper les consommateurs sur l'identité du commerçant. Enfin, le Document ne contenait aucune représentation fausse ou trompeuse, car il ne serait pas de nature à tromper le consommateur «moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux». La Cour d'appel a cassé la condamnation à des dommages-intérêts compensatoires et punitifs.
résumé de la Décision
- les juges LeBel et Cromwell, à l'opinion desquels souscrivent la juge en chef McLachlin et les juges Deschamps, Fish, Abella et Charron: La méthode d'analyse choisie par la Cour d'appel pour déterminer l'impression générale donnée par la publicité de T et TCM ne respectait pas le critère retenu par le législateur. L'article 218 de la loi, qui encadre l'application de toutes les dispositions du titre II concernant les pratiques de commerce interdites, prescrit que, pour déterminer si une représentation constitue une telle pratique, il faut examiner l'«impression générale» donnée par la représentation ainsi que, s'il y a lieu, le «sens littéral» des termes qui y sont employés. En ce qui concerne la publicité fausse ou trompeuse, l'impression générale est celle qui se dégage après un premier contact complet avec la publicité, et ce, à l'égard tant de sa facture visuelle que de la signification des mots employés. Elle s'analyse en faisant abstraction des attributs personnels du consommateur à l'origine de la procédure engagée par le commerçant. Pour respecter l'objectif du législateur de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires, le critère de l'impression générale doit être appliqué dans une perspective d'un consommateur moyen, crédule et inexpérimenté, qui ne prête rien de plus qu'une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d'un premier contact complet avec une publicité. Une importance considérable doit être attachée non seulement au texte, mais à tout son contexte, notamment à la manière dont il est présenté au consommateur. Définir le consommateur moyen comme «moyennement intelligent, moyennement sceptique et moyennement curieux» se concilie mal avec le libellé et l'esprit de l'article 218. Les tribunaux appelés à évaluer la véracité d'une représentation commerciale doivent procéder, selon l'article 218, à une analyse en deux étapes, en tenant compte, s'il y a lieu, du sens littéral des mots employés par le commerçant: (1) décrire d'abord l'impression générale que la représentation est susceptible de donner chez le consommateur crédule et inexpérimenté; (2) déterminer ensuite si cette impression générale est conforme à la réalité. Dans la mesure où la réponse à cette dernière question est négative, le commerçant aura commis une pratique interdite.
En l'espèce, le consommateur moyen, après une première lecture du Document, aurait eu l'impression générale que R. détenait le numéro gagnant et qu'il lui suffisait de retourner le coupon-réponse pour que la procédure de réclamation puisse s'enclencher. Le curieux assemblage d'affirmations et de restrictions que contient le Document n'est pas suffisamment clair et intelligible pour dissiper l'impression laissée par ses phrases prédominantes. Même si le Document ne contient pas nécessairement d'énoncés qui sont littéralement faux, il reste qu'il est truffé de représentations trompeuses au sens de l'article 219 de la loi. De plus, les règles du concours n'apparaissent pas toutes lors d'une première lecture du Document. Il s'agit là de faits importants que T et TCM ne pouvaient passer sous silence. Par voie de conséquence, T et TCM ont aussi contrevenu à l'article 228. Toutefois, même si elles ont utilisé un «nom de plume» dans leur matériel publicitaire, T et TCM n'ont pas contrevenu à l'article 238 c), car le Document ne contient aucune représentation fausse quant à leur statut ou identité. Une seule lecture du Document suffit pour comprendre qu'il émane d'elles et que celles-ci ne déclarent pas posséder un statut ou une identité qu'elles n'ont pas en réalité.
Un consommateur peut, sous réserve des autres recours prévus par la loi, intenter une poursuite en vertu de l'article 272 afin de faire sanctionner la violation par un commerçant ou un fabricant d'une obligation que lui impose la Loi sur la protection du consommateur, un règlement adopté en vertu de celle-ci ou un engagement volontaire. En cas de contravention par un commerçant ou un fabricant à une obligation visée par l'article 272, le consommateur peut demander à la fois des réparations contractuelles, des dommages-intérêts compensatoires et des dommages-intérêts punitifs ou, au contraire, ne réclamer que l'une de ces mesures. Il appartiendra ensuite au juge de première instance d'accorder les réparations qu'il estimera appropriées dans les circonstances. La sanction de la violation d'une obligation en vertu de l'article 272 doit toutefois s'exercer conformément aux principes régissant l'application de la loi et, le cas échéant, aux règles du droit commun. En particulier, l'intérêt juridique pour agir en vertu de cette disposition dépend de l'existence d'un contrat visé par la loi, car l'article 2 pose le principe fondamental que l'existence d'un contrat de consommation représente la condition nécessaire à l'application de la loi, sous réserve du cas particulier des dispositions pénales. Le recours n'est donc ouvert qu'aux personnes physiques ayant conclu avec un commerçant ou un fabricant un contrat régi par la loi.
La présomption de dol établie par l'article 253 ne délimite pas la portée de l'article 272 et ne régit pas les principes qui en sous-tendent l'application. Elle accorde plutôt une protection additionnelle au consommateur dans des situations où il ne souhaite pas ou ne peut pas exercer un recours en vertu de l'article 272. De même, l'article 217, qui dispose que la commission d'une pratique interdite n'est pas subordonnée à la conclusion d'un contrat, n'a pas vocation à régir les conditions d'ouverture et d'exercice des recours prévus à l'article 272 de la loi. Cet article ne porte que sur l'existence d'une pratique interdite, et permet au directeur des poursuites criminelles et pénales de faire respecter la loi à titre préventif, conformément à l'intention législative en la matière.
Pour avoir accès aux mesures de réparation contractuelles prévues à l'article 272, le consommateur n'a pas à prouver le dol et ses conséquences selon les règles ordinaires du droit civil, car, vu l'influence possible des pratiques interdites sur la décision des consommateurs de s'engager dans une relation contractuelle avec un commerçant, l'existence d'une pratique interdite constitue en soi un dol au sens de l'article 1401 du Code civil du Québec (C.C.Q.). De même, le commerçant ou le fabricant poursuivi ne peut soulever un moyen de défense basé sur le «dol éclairé et non préjudiciable». Le recours prévu à l'article 272 est fondé sur la prémisse que tout manquement à une obligation imposée par la loi entraîne l'application d'une présomption absolue de préjudice pour le consommateur. La preuve de la violation d'une obligation contractuelle de source légale qui se retrouve principalement au titre I (art. 8 à 214.11) de la loi permet, sans exigence additionnelle, au consommateur d'obtenir l'une des mesures de réparation contractuelles prévues à l'article 272. Lorsqu'il souhaite faire sanctionner les pratiques interdites au titre II de la loi et commises par les commerçants et fabricants, le consommateur, pour bénéficier de cette présomption, doit prouver: (1) la violation par le commerçant ou le fabricant d'une des obligations imposées par le titre II de la loi; (2) la prise de connaissance de la représentation constituant une pratique interdite par le consommateur; (3) la formation, la modification ou l'exécution d'un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance et (4) une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat. Selon ce dernier critère, la pratique interdite doit être susceptible d'influer sur le comportement adopté par le consommateur relativement à la formation, à la modification ou à l'exécution du contrat de consommation. Lorsque ces quatre éléments sont établis, le contrat formé, modifié ou exécuté constitue, en soi, un préjudice subi par le consommateur, et celui-ci peut demander l'une des mesures de réparation contractuelles prévues à l'article 272.
Le recours en dommages-intérêts prévu à l'article 272 est autonome par rapport aux mesures de réparation contractuelles prévues aux paragraphes a) à f) de ce même article. Il doit néanmoins être exercé dans le respect du principe régissant l'intérêt juridique pour intenter une poursuite en vertu de l'article 272, et demeure soumis aux règles générales du droit civil québécois. En outre, l'octroi de dommages-intérêts compensatoires en matière extracontractuelle est permis, car le dol commis au cours de la phase précontractuelle constitue une faute civile susceptible d'engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur. Dans la mesure où il est ouvert au consommateur, le recours en dommages-intérêts prévu à l'article 272, qu'il soit intenté sur une base contractuelle ou extracontractuelle, allège donc son fardeau de preuve au moyen d'une présomption absolue de préjudice découlant de toute illégalité commise par le commerçant ou le fabricant. Cette présomption dispense le consommateur de la nécessité de prouver l'intention de tromper du commerçant. Le consommateur qui bénéficie de la présomption irréfragable de préjudice aura également réussi à prouver la faute du commerçant ou du fabricant pour l'application de l'article 272.
En l'espèce, R. s'est déchargé de son fardeau de prouver l'existence d'un lien rationnel entre les pratiques interdites commises par T et TCM et le contrat d'abonnement l'unissant à ces dernières. R. s'est abonné au magazine Time après avoir lu la documentation que T et TCM lui ont fait parvenir, et la juge de première instance a conclu qu'il ne se serait pas abonné s'il n'avait pas lu la documentation trompeuse. En conséquence, le Document est réputé avoir eu un effet dolosif sur la décision de R. de s'abonner au magazine Time. Le comportement reproché à T et TCM constitue une faute civile entraînant leur responsabilité extracontractuelle.
Aucune raison ne justifie de réviser les conclusions de la juge de première instance selon lesquelles la faute de T et TCM a causé à R. des dommages moraux évalués à 1 000 $. T et TCM n'ont pas démontré que la juge avait erré dans son appréciation de la preuve ou dans l'application des principes juridiques, à l'égard tant de leur responsabilité que du quantum des dommages.
Le consommateur qui invoque l'article 272 peut également obtenir des dommages-intérêts punitifs, même s'il ne lui a pas été accordé en même temps une réparation contractuelle ou des dommages-intérêts compensatoires. Parce que l'article 272 n'établit aucun critère ou règle encadrant l'attribution de ces dommages-intérêts, ceux-ci seront octroyés en conformité avec l'article 1621 C.C.Q., dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables, et conformément aux objectifs de la Loi sur la protection du consommateur, qui sont de rétablir l'équilibre dans les relations contractuelles entre commerçants consommateurs et d'éliminer les pratiques déloyales et trompeuses. Les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d'ignorance, d'insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l'égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la loi peuvent entraîner l'octroi de dommages-intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l'ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant d'accorder des dommages-intérêts punitifs.
En l'espèce, une condamnation à des dommages-intérêts punitifs se justifiait. Toutefois, il y a lieu de réviser le montant de 100 000,00 $ retenu par la juge de première instance. Bien qu'elle ne se soit pas trompée en concluant que T et TCM avaient distribué un grand nombre d'envois postaux sur le territoire québécois à de nombreux consommateurs et que l'organisation de ces concours publicitaires leur permettait de vendre un grand nombre de nouveaux abonnements, la juge a commis une erreur en considérant, dans son évaluation du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, la Charte de la langue française ainsi que la situation patrimoniale de T et TCM. En l'espèce, T et TCM avaient commis une violation intentionnelle et calculée de la Loi sur la protection du consommateur qui pouvait affecter un grand nombre de consommateurs, et rien dans la preuve n'indique que T et TCM ont pris des mesures correctives après la plainte de R. afin de rendre leurs publicités claires ou conformes à la lettre et à l'esprit de la loi. Cela constitue un facteur aggravant. Par contre, l'impact de la faute commise par T et TCM sur R. demeure assez limité, même s'il n'est pas négligeable, et l'attitude de celui-ci n'est pas étrangère aux dimensions que ce litige a fini par prendre. Cependant, le caractère minime de la condamnation à des dommages-intérêts compensatoires milite en faveur de l'octroi d'un montant non négligeable de dommages-intérêts punitifs. Un montant de 15 000 $ suffit dans les circonstances pour assurer la fonction préventive des dommages-intérêts punitifs, souligne la gravité des violations de la loi et sanctionne la conduite de T et TCM de manière assez sérieuse pour les inviter à abandonner les pratiques interdites qu'elles ont utilisées, si ce n'est pas déjà fait.
Les dépens seront taxés devant la Cour supérieure et la Cour d'appel du Québec conformément aux tarifs applicables devant ces tribunaux. Toutefois, des dépens sur la base avocat-client sont accordés à R. devant la Cour suprême du Canada, en raison de l'importance des questions de droit qu'il a soulevées.