En bref
Brault & Martineau inc. est condamnée à verser deux millions de dollars dans le contexte d'un recours collectif relativement à la publicité trompeuse entourant les promotions de paiement différé et de paiement par versements.
Résumé de l'affaire
Recours collectif en dommages-intérêts et dommages exemplaires. Accueilli en partie (2 M$).
Le demandeur a été autorisé à poursuivre la défenderesse par voie de recours collectif en janvier 2004. Il représente toutes les personnes résidant au Québec qui ont acheté un bien à la défenderesse depuis le 7 août 1999 en utilisant un programme de crédit (paiement différé ou mode de versements égaux) annoncé par celle-ci ainsi que celles qui ont payé les taxes au moment de leur achat financé par l'un des programmes de crédit. Le demandeur prétend que la publicité écrite de la défenderesse ne respecte pas certaines dispositions de la Loi sur la protection du consommateur et du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur. Il dépose plusieurs publicités et circulaires des mois de juin 2000 à décembre 2003 ainsi que de mai et décembre 2006 et 2007. Ces publicités ne mentionnent pas que les plans de financement annoncés ne sont pas offerts directement par la défenderesse, qui fait affaire avec deux sociétés de crédit. L'en-tête de la demande de financement de l'une d'elles laisse croire qu'il s'agit d'un formulaire de la défenderesse; sur l'autre, les deux logos sont présents. L'acheteur reçoit ensuite une carte de crédit sur laquelle le nom de la défenderesse figure clairement. La défenderesse paie les compagnies de crédit pour les services de financement, mais elle reçoit également des ristournes et des rétributions pour le volume d'affaires et les revenus que ses clients rapportent. Son nom figure également dans les états de compte des clients, qui peuvent les payer directement dans ses magasins. Le demandeur prétend en outre qu'un rabais est accordé à l'acheteur qui paie comptant. La défenderesse allègue qu'une directive a été donnée verbalement à ses vendeurs à l'effet contraire. Cependant, plusieurs vendeurs ont déclaré ne pas connaître cette directive et avoir effectivement une marge de manoeuvre pour négocier le prix. Finalement, le demandeur se plaint que les publicités n'indiquent qu'en petits caractères le fait que les taxes doivent être payées lors de l'achat et ne peuvent être financées.
Résumé de la décision
La description du groupe est ambiguë en ce qu'aucune limite de date d'achat n'est indiquée. Le groupe doit être clairement défini et ne devrait pas comprendre les futurs acheteurs. En vertu de l'article 55 du Code de procédure civile (C.P.C.), l'intérêt doit être direct, personnel, né et actuel. Le demandeur ne peut représenter des personnes qui n'ont pas encore d'intérêt pour ester en justice. De plus, l'avis aux membres ayant été publié le 11 mars 2004, les personnes ayant acheté un bien après cette date ne l'auraient pas reçu et n'auraient pas eu la possibilité de s'exclure du groupe. Cependant, il n'est pas dans l'intérêt de la justice d'exiger le dépôt de nouvelles procédures pour des situations similaires nées après le dépôt de la requête en autorisation d'exercer un recours collectif. Dans ce contexte, la procédure d'amendement peut être utilisée, mais le demandeur n'a pas fait de demande en ce sens. L'article 1022 C.P.C. permet au tribunal d'étendre d'office la période d'achat jusqu'au 31 décembre 2003. Toutefois, les réclamations pour des achats faits entre le 7 août 1999 et le 31 mai 2000 sont rejetées puisque aucune publicité n'a été déposée pour cette période. Le recours étant fondé sur l'illégalité de ces publicités, le tribunal doit pouvoir en prendre connaissance. Les articles de la Loi sur la protection du consommateur qui traitent des pratiques de commerce interdites visent notamment à protéger le consommateur en matière de publicité et à empêcher l'incitation au crédit. Premièrement, au cours des années 2000 à 2003, de nombreuses publicités faisaient davantage ressortir le montant des paiements périodiques pour l'achat d'un bien que le prix total. La défenderesse a ainsi contrevenu à l'article 224 de la loi. Deuxièmement, les publicités n'accordaient pas plus d'importance à la prime offerte qu'au bien mis en vente. Il n'y a donc pas eu violation de l'article 232 de la loi. Troisièmement, les modalités afférentes au crédit offert étaient absentes des publicités de la défenderesse. Celle-ci prétend qu'elle n'avait pas à se conformer aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur et du règlement d'application parce que ce n'est pas ellequi offrait le crédit. Les articles 244 à 247 de la loi s'appliquent à toute personne qui fait de la publicité portant sur le crédit. Au surplus, dans les circonstances, seule une lecture attentive du contrat de crédit permettait au consommateur de savoir que ce n'était pas la défenderesse qui offrait le financement. L'impression générale de la publicité laissait croire qu'elle portait sur le crédit offert. Ce n'est que de façon secondaire que les biens étaient annoncés. Les programmes de financement constituent une forme de crédit, que le consommateur paye éventuellement ou non des intérêts. Dans le cas d'une telle publicité, la Loi sur la protection du consommateur oblige le commerçant à divulguer toutes les modalités du crédit. Comme elle ne s'est pas conformée à cette obligation, la défenderesse a contrevenu à l'article 247 de la loi. Quatrièmement, la publicité n'était pas trompeuse du seul fait qu'elle n'indiquait qu'en petits caractères le fait que les taxes étaient payables à l'achat lorsque l'acheteur se prévalait d'un programme de financement. Dans l'analyse du caractère trompeur, il faut tenir compte du public à qui s'adresse la publicité. Il s'agit ici du grand public et il faut évaluer la publicité eu égard au consommateur crédule et inexpérimenté. Cependant, dans tous les titres des publicités, un astérisque renvoyait à la mention portant sur les taxes. De plus, la preuve ne révèle pas de préjudice ayant été causé par le manque de clarté de ces inscriptions. Cinquièmement, il y a lieu de déterminer si la défenderesse était tenue d'informer les consommateurs des frais importants qu'elle verse aux sociétés de crédit. L'analyse de cet aspect ne constitue pas une nouvelle cause d'action puisque la formulation de la question commune est suffisamment large. Les frais ainsi payés sont comptabilisés par la défenderesse à titre de frais de vente. Au sens de la Loi sur la protection du consommateur, tous les frais qui ne constituent pas du capital net pour le consommateur doivent être considérés comme des frais de crédit. Or, les frais payés par la défenderesse aux sociétés de crédit ne sont pas facturés aux consommateurs en plus du prix d'achat; ils sont inclus dans le capital net. Cependant, en transformant le coût du crédit en une partie du capital net de tous les biens vendus et en omettant d'informer les consommateurs qu'ils peuvent obtenir un rabais s'ils payent comptant, la défenderesse empêche ceux-ci de prendre une décision en toute connaissance de cause. Les frais du financement devraient être payés seulement par les acheteurs qui bénéficient d'un plan de financement. Comme la défenderesse fixe ses prix en tenant compte des frais considérables qu'elle paye aux sociétés de financement, ceux-ci contribuent certainement à augmenter le prix des biens vendus. Par conséquent, la publicité viole l'article 245 de la loi en incitant le consommateur à utiliser le crédit offert, l'article 216 en donnant l'impression trompeuse qu'il ne lui en coûte rien de l'utiliser et l'article 228 en omettant de l'informer que la défenderesse paie des frais importants pour l'offrir et qu'il pourrait obtenir un rabais en payant comptant. La méthode d'affaires de la défenderesse contrevient à toutes les dispositions mises en place par le législateur pour s'assurer que le consommateur puisse faire un choix éclairé sur les modalités de paiement. Quant aux dommages-intérêts réclamés, le recours en vertu de l'article 272 de la loi est valide en cas de pratiques interdites. Le seul préjudice démontré est celui que prétend avoir subi le demandeur en payant les taxes au moment de son achat alors qu'il croyait pouvoir les financer. Aucun autre membre n'a été entendu. La preuve ne permet pas de conclure que le préjudice subi est équivalent aux frais de crédit payés par la défenderesse ni que chacun des membres a subi un tel préjudice. Par conséquent, une indemnité à titre de dommages compensatoires ne peut pas être accordée. Toutefois, la loi permet le paiement d'une indemnité pour dommages exemplaires, dont l'objectif est d'éviter la répétition du geste. La défenderesse a démontré de l'insouciance à l'égard de la Loi sur la protection du consommateur et des comportements qu'elle cherche à réprimer. De plus, elle n'a toujours pas modifié son comportement. Compte tenu de l'ensemble des faits, elle est condamnée à payer deux millions de dollars à titre de dommages exemplaires. Le recouvrement collectif est ordonné et les parties sont convoquées à une nouvelle audience pour déterminer le mécanisme de distribution, dont les coûts seront supportés par la défenderesse.