Résumé de l'affaire:
Le litige résulte d’une modification unilatérale apportée par V au régime d’assurance-maladie (« Régime ») dont elle est le promoteur pour ses retraités et leurs conjoints survivants. D a déposé au nom de l’ensemble des bénéficiaires du Régime une requête en autorisation d’exercer un recours collectif pour attaquer la validité de cette modification. La Cour supérieure a rejeté la requête, au motif que les réclamations de l’ensemble des membres du groupe proposé ne soulevaient pas de questions identiques, similaires ou connexes, compte tenu des règles différentes régissant le droit de chacun des membres aux prestations d’assurance. La Cour d’appel a conclu que le juge d’autorisation avait fait erreur dans son appréciation du critère énoncé à l’al. 1003 a) du Code de procédure civile (« C.p.c. ») et qu’il existe une question commune aux réclamations de l’ensemble des membres du groupe.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
L’alinéa 1003a) C.p.c. précise qu’un recours collectif ne peut être autorisé que si le tribunal conclut que « les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes ». Ce critère de la communauté de questions est requis non seulement par le droit québécois, mais aussi par celui de toutes les provinces de common law canadiennes. Le libellé de l’al. 1003a) décrit toutefois ce critère en termes plus larges et plus flexibles que les lois des autres provinces qui ont légiféré en matière de recours collectifs. Pour satisfaire au critère de la communauté de questions de l’al. 1003a) C.p.c., le requérant doit démontrer qu’un aspect du litige se prête à une décision collective et, qu’une fois cet aspect décidé, les parties auront réglé une part non négligeable du litige. Ainsi, la seule présence d’une question de droit ou de fait identique, connexe ou similaire suffit pour satisfaire au critère énoncé à l’al. 1003a) sauf si cette question ne joue qu’un rôle négligeable quant au sort du recours. Il n’est pas requis que la question permette une résolution complète du litige. Les questions communes n’appellent pas nécessairement des réponses communes. Au stade de l’autorisation, la procédure civile québécoise retient une conception souple du critère de la communauté de questions. En conséquence, le critère de l’al. 1003a) peut être respecté même si des réponses nuancées doivent être apportées, pour les divers membres du groupe, aux questions communes soulevées par le recours collectif.
Le fait que des membres du groupe demeurent dans différentes provinces canadiennes ne devrait pas empêcher le tribunal d’autoriser l’exercice du recours collectif, compte tenu qu’il peut recevoir la preuve du droit applicable dans les provinces de common law ou en prendre connaissance d’office. Seules des divergences substantielles entre les différents régimes juridiques applicables feraient perdre au recours sa dimension collective.
En outre, l’art. 1003 est clair : lorsque le juge d’autorisation est d’avis que les quatre critères sont respectés, il doit autoriser le recours collectif. Il n’a pas à se demander si le recours collectif est le véhicule procédural le plus adéquat. Le principe de la proportionnalité énoncé à l’art. 4.2 C.p.c. a pour effet de renforcer le pouvoir d’appréciation déjà reconnu au juge dans l’examen de chacun des quatre critères prévus à l’art. 1003 C.p.c. Toutefois, le juge d’autorisation ne peut pas, au nom du principe de la proportionnalité, refuser d’autoriser un recours qui respecterait par ailleurs les critères établis. La proportionnalité du recours collectif ne constitue pas un cinquième critère indépendant.
En l’espèce, le juge d’autorisation a commis deux erreurs dans son appréciation du critère énoncé à l’al. 1003a) C.p.c. : d’une part, il s’est prononcé sur le fond du litige en statuant que les droits de certains membres du groupe à des prestations d’assurance ne s’étaient pas cristallisés, outrepassant ainsi la fonction de filtrage des requêtes à laquelle il devait se limiter; d’autre part, il a adopté une méthodologie erronée en cherchant des réponses communes au lieu de se limiter à cerner une ou plusieurs questions communes aux réclamations de l’ensemble des membres du groupe proposé. En conséquence, notre Cour, à l’instar de la Cour d’appel, se doit de reprendre l’analyse requise par l’al. 1003a) selon les principes applicables. La principale question que soulève la requête en autorisation d’exercer un recours collectif présentée par D est la validité ou la légalité des modifications apportées au Régime en 2009. Ces modifications ont eu pour effet de réduire, à compter du 1er janvier 2009, certains avantages promis aux retraités et aux conjoints survivants. Comme les réclamations de chacun des membres du groupe sont basées sur le Régime, la question de la validité ou de la légalité des modifications de 2009 se pose à l’égard de tous les membres du groupe. La réponse à cette question permettra de faire progresser le règlement de l’ensemble des réclamations. Ces divers éléments indiquent donc la présence d’une question commune. L’existence de sous-groupes à l’intérieur du groupe proposé ne constitue pas à elle seule un motif suffisant pour refuser l’autorisation d’exercer un recours collectif. Les circonstances des divers membres du groupe peuvent varier, pourvu qu’il n’existe pas de conflit d’intérêts entre ceux-ci.
La validité ou la légalité des modifications de 2009 ainsi que les autres questions formulées par D dans sa requête en autorisation d’exercer un recours collectif constituent des questions visées à l’al. 1003a) C.p.c. Puisque V a admis que les conditions fixées aux al. c) et d) sont remplies et n’a pas contesté la décision de la Cour d’appel concluant au respect de celle prévue à l’al. b), tous les critères énoncés à l’art. 1003 C.p.c. sont donc respectés.