EN BREF
En ajoutant des frais de 0,15 $ par message texte entrant, Bell Mobilité a modifié unilatéralement l'une des composantes du contrat et a contrevenu à l'article 12 de la Loi sur la protection du consommateur.
Bell Mobilité ne pouvait, en cours de contrat, imposer une augmentation des frais de messages texte entrants à ses clients qui ne détenaient pas de forfait pour ce service.
La clause du contrat de téléphonie sans fil qui permet à Bell Mobilité de modifier unilatéralement les frais des messages texte entrants est nulle, car elle contrevient à l'article 1373 C.C.Q.
Des clients de Bell Mobilité qui n'étaient pas abonnés à la messagerie textuelle et auxquels des frais pour des messages texte entrants ont été imposés se partageront une somme de 3 938 477 $.
RÉSUMÉ DE L'AFFAIRE
Recours collectif en remboursement de frais pour les messages texte entrants ainsi qu'en réclamation de dommages-intérêts et de dommages exemplaires. Accueilli en partie (3 938 477 $).
Le demandeur a intenté un recours collectif contre Bell Mobilité inc. afin de réclamer le remboursement des frais que les clients ont dû payer à la suite d'une modification des tarifs s'appliquant aux messages texte entrants à compter du 8 août 2008. Le recours vise toutes les personnes liées à Bell par contrat à durée déterminée pour la téléphonie sans fil qui ont été avisées, en cours de contrat, d'une augmentation des frais de messages texte entrants. La réception de messages textes, jusqu'alors gratuits, était dorénavant facturée 0,15 $ le message. Les clients qui ne détenaient pas de forfait pour le service de messagerie texte étaient touchés par cette augmentation. Ils pouvaient alors choisir de ne plus utiliser le service ou de le faire désactiver, d'ajouter un forfait au coût de 3 $ par mois, de faire modifier leur contrat de base pour inclure le service de messagerie texte ou de mettre fin à leur contrat. Selon le demandeur, la clause prévoyant la possibilité d'une modification unilatérale du contrat serait illégale au sens de la Loi sur la protection du consommateur et du Code civil du Québec (C.C.Q.). Par conséquent, il demande, pour chacun des membres du groupe (consommateurs ou non), le remboursement des sommes déboursées à la suite de la modification, des dommages-intérêts de 10 $ chacun pour les troubles et inconvénients subis ainsi qu'une indemnité à titre de dommages exemplaires de 50 $. Bell rétorque que la structure de son contrat de service est conçue à l'avantage du client, car elle lui offre une plus grande flexibilité. Elle ajoute en outre que sa pratique est conforme au marché.
RÉSUMÉ DE LA DÉCISION
Même s'il utilise son téléphone à l'occasion pour son travail, le demandeur est un consommateur au sens de la loi. En effet, la jurisprudence est unanime sur ce point: le fait d'utiliser son appareil à des fins d'affaires ne fait pas perdre à l'usager son statut de consommateur. Conformément à l'article 12 de la loi, aucuns frais ne peuvent être réclamés à un consommateur à moins que le contrat n'en mentionne de façon précise le montant, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En ajoutant des frais de 0,15 $ par message texte entrant, Bell a modifié unilatéralement l'une des composantes du contrat et a privé le consommateur d'une information essentielle à la qualité de son consentement. Cette modification contrevient à l'article 12 et est sujette aux sanctions prévues à l'article 272 de la loi. Cette clause de modification unilatérale ne respecte pas non plus les exigences qu'imposent les articles 1373 et 1374 C.C.Q., car elle ne contient aucun indice permettant au cocontractant de connaître les circonstances de même que l'ampleur de la modification, ce qui démontre son caractère arbitraire. Pourtant, certaines précisions auraient pu être apportées à la clause afin de rendre la prestation déterminable et de permettre au client de prévoir le tarif applicable ainsi que les circonstances d'application de celui-ci. Contrairement à 2758792 Canada inc. c. Bell Distribution inc. (C.S., 2009-08-03), 2009 QCCS 3552, SOQUIJ AZ-50569555, J.E. 2009-1646, Bell n'a ni consulté les clients non consommateurs ni fourni d'informations pertinentes pour qu'ils soient en mesure d'apprécier les balises de la modification imposée. Le fait de transmettre au client un préavis de 30 jours n'atténue en rien le caractère discrétionnaire de la clause. La violation de l'article 1373 C.C.Q. entraîne la nullité de la clause et la rend inopposable aux membres non visés par la Loi sur la protection du consommateur. Tous les membres du groupe ont droit au remboursement des frais payés illégalement entre le 8 août 2008 et le 8 août 2011. Par contre, comme l'a confirmé la Cour suprême dans Richard c. Time Inc. (C.S. Can., 2012-02-28), 2012 CSC 8, SOQUIJ AZ-50834275, 2012EXP-836, J.E. 2012-469, [2012] 1 R.C.S. 265, le recours en dommages-intérêts prévu à l'article 272 de la loi demeure assujetti aux règles générales du droit civil. Ainsi, pour obtenir des dommages-intérêts compensatoires, le préjudice être quantifiable. Or, outre la colère et la déception des clients, aucune preuve n'a été présentée à cet égard. Il n'y a donc pas lieu d'accorder des dommages-intérêts pour compenser les troubles et inconvénients subis par les membres. La réclamation à titre de dommages exemplaires est également rejetée, car rien ne permet de conclure que la conduite de Bell était malveillante, vexatoire ou marquée d'insouciance. Aux fins du recouvrement, il y a lieu de séparer les membres en quatre sous-groupes. La réclamation des membres ayant payé 0,15 $ par message texte entrant, qui totalise 3 938 477 $, sera visée par la procédure de recouvrement collectif. Quant aux membres ayant pris des forfaits de messagerie texte pour éviter les frais de messages texte entrants, ceux qui sont visés par la Loi sur la protection du consommateur bénéficient de la présomption absolue de préjudice de l'article 272. Même si le montant des réclamations de ce sous-groupe n'est pas encore connu, le recouvrement collectif est possible en ordonnant à Bell de remédier à cette absence d'information dans un délai de 30 jours. Par contre, les réclamations des membres de ce sous-groupe qui ne sont pas des consommateurs nécessitent une analyse individuelle. Le même raisonnement s'applique aux membres qui ont annulé leur contrat afin d'éviter les frais de messages texte entrants et qui, par conséquent, ont dû payer des frais de résiliation. Enfin, malgré la présomption de préjudice pour les consommateurs, la procédure de réclamation individuelle demeure la meilleure solution pour les membres ayant désactivé la messagerie texte afin d'éviter les frais de messages texte entrants.