La Dépêche

ACTION COLLECTIVE (RECOURS COLLECTIF) : Le juge de première instance a excédé son rôle au stade de l'autorisation en tranchant des questions relevant du juge du fond et en imposant un fardeau de preuve à l'appelant, lequel avait en fait un fardeau de démonstration; par conséquent, l'appelant obtient l'autorisation d'exercer l'action collective proposée contre les intimées.

PROTECTION DU CONSOMMATEUR : L'appelant, qui soutient que les intimées ont fait de fausses représentations relativement au «vrai poulet» contenu dans les sandwiches vendus par les franchisés Subway du Québec, obtient l'autorisation d'exercer une action collective contre celles-ci.

Résumé

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande d'autorisation d'exercer une action collective. Accueilli.

Alléguant que les intimées faisaient de fausses représentations en donnant l'impression que leurs sandwiches au poulet contenaient du poulet à 100 %, l'appelant a demandé l'autorisation d'exercer une action collective contre elles. En première instance, le juge a estimé que l'appelant avait lui-même apporté la preuve que les intimées ne faisaient qu'exploiter un système de franchises dans le cadre duquel les sandwiches étaient vendus par les franchisés, ce qui sous-entendait que celles-ci n'étaient ni des fabricantes ni des commerçantes au sens de la Loi sur la protection du consommateur et qu'il n'existait aucun lien de droit entre elles et l'appelant. D'avis que le syllogisme juridique proposé «ne tenait pas la route», le juge a rejeté la demande de l'appelant.

Décision

Mme la juge Hogue: La question en l'espèce est de savoir si le juge a excédé son rôle en interprétant la preuve produite par l'appelant et en s'appuyant sur celle produite par les intimées pour conclure que le syllogisme juridique proposé «ne tient pas la route». Les motifs du juge permettent de constater que celui-ci en est venu à cette conclusion non pas parce que le syllogisme était erroné en droit, mais bien plutôt parce qu'il n'était pas appuyé par la preuve produite au dossier. Ce faisant, le juge a imposé à l'appelant un fardeau que celui-ci n'avait pas au stade de l'autorisation et a tranché des questions qui relèvent du juge du fond. Lorsque le juge de l'autorisation décide de trancher une question de droit qui relève du fond, il doit s'assurer que l'analyse ne requiert pas l'administration d'une preuve. Dans le cas contraire, il doit s'abstenir de la trancher et la réserver au juge du fond. Ces principes s'harmonisent avec les règles établies quant à la recevabilité et au poids à accorder à la preuve qui peut être déposée par la partie qui s'oppose à la demande d'autorisation, telle celle produite par les intimées en l'espèce. Cette preuve doit être essentielle, indispensable et limitée à ce qui permet de démontrer sans conteste que les faits allégués sont invraisemblables ou faux. Une telle preuve ne change pas le rôle du juge de l'autorisation, lequel peut certes trancher une pure question de droit et interpréter la loi pour déterminer si l'action collective projetée est frivole, mais ne peut, pour ce faire, apprécier la preuve comme s'il y avait eu un débat contradictoire ou encore présumer vraie celle déposée par l'intimé alors que cette preuve est contestée ou simplement contestable. À cet égard, au stade de l'autorisation, le demandeur n'a pas l'obligation de contester ou de répondre à la preuve que l'intimé dépose.

En l'espèce, le juge n'a pas appliqué ces principes. La conclusion qu'il n'y a pas de lien de droit entre l'appelant et les intimées s'appuie essentiellement sur les allégations de la demande d'autorisation et sur la preuve produite par les intimées, qui, selon le juge, démontre qu'elles ne font qu'exploiter le système de franchises sans manufacturer ni vendre les sandwiches. L'appelant invoque pourtant de nombreux faits qui sont suffisants pour appuyer la proposition voulant que les intimées aient engagé leur responsabilité envers les consommateurs. La question de savoir si un franchiseur peut avoir engagé sa responsabilité en faisant aux consommateurs des représentations fausses ou inexactes quant aux produits vendus dans son réseau de franchises comporte une dimension factuelle importante et devrait ainsi être réservée au juge du fond.

Par ailleurs, hormis les cas manifestes où les reproches formulés sont frivoles, l'analyse établie par la Cour suprême dans Richard c. Time Inc. (C.S. Can., 2012-02-28), 2012 CSC 8, SOQUIJ AZ-50834275, 2012EXP-836, J.E. 2012-469, [2012] 1 R.C.S. 265, pour évaluer la véracité d'une déclaration commerciale doit être faite par le juge du fond, après que les parties ont eu l'occasion d'administrer une preuve complète. Dans le présent cas, la proposition voulant que les intimées prétendent que leurs sandwiches contiennent du «vrai poulet» n'est pas frivole et cela suffit à ce stade puisque l'appelant n'avait pas à convaincre le juge de son bien-fondé. Ainsi, en présumant de la véracité des faits allégués, l'appelant a établi une cause défendable quant aux faits et au droit et il y a lieu d'autoriser l'action collective.


Dernière modification : le 29 avril 2022 à 13 h 52 min.