Résumé de l'affaire

Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant infirmé un jugement de la Cour supérieure qui avait refusé d'autoriser une action collective. Accueilli en partie, avec dissidence partielle.

A. est membre d'une caisse populaire du Mouvement Desjardins. Il a souscrit entre mars 2005 et juin 2007 à deux types de placement auprès de sa caisse, soit le Placement Épargne à Terme Perspectives Plus («PP») et le Placement Épargne à Terme Gestion Active («GA»), par le biais de conventions de dépôt. Ces placements se caractériseraient essentiellement par un capital, correspondant à la valeur initiale du dépôt, garanti à l'échéance du terme et un potentiel de rendement variable. La souscription à ces placements résulterait de représentations faites par une planificatrice financière et représentante en épargne collective qui serait préposée ou mandataire de Desjardins Cabinet de services financiers inc. («Cabinet»), partie du Mouvement Desjardins, et spécialisée dans les services financiers. Les placements auraient été présentés comme sécuritaires et comme assurant un rendement intéressant tant par la planificatrice financière que par divers documents qui en faisaient la promotion alors qu'ils présentaient un risque particulier affectant leur potentiel de rendement. Ces placements auraient été conçus et gérés par Desjardins Gestion internationale d'actifs inc. («Gestion») également partie du Mouvement Desjardins, et spécialisée dans la gestion d'actifs.

En mars 2009, A. a reçu une lettre l'informant que ses Placements PP et GA ne lui procureraient aucun rendement jusqu'à l'échéance du terme. En février 2010, A. a reçu un relevé de placements indiquant que ses placements avaient effectivement produit un rendement de 0 p. cent pour l'année 2009. En septembre 2011, A. a déposé une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif en Cour supérieure du Québec contre Cabinet et Gestion. Il invoque contre Cabinet le manquement au devoir d'information de cette dernière dans le cadre de sa responsabilité contractuelle envers les membres du groupe. A. affirme que Cabinet ne l'a pas informé adéquatement, ainsi que les autres membres du groupe, des risques associés aux placements, alléguant tant une faute directe qu'indirecte. Il invoque contre Gestion le manquement aux devoirs de compétence quant à la conception et la gestion de cette dernière dans le cadre de sa responsabilité extracontractuelle envers les membres du groupe. A. affirme que Gestion aurait utilisé des stratégies d'investissements risquées, y compris des stratégies impliquant des investissements dans des papiers commerciaux adossés à des actifs («PCAA»), qui auraient eu pour conséquence d'entraîner une perte de tous les actifs affectés au rendement.

La Cour supérieure a rejeté la requête pour autorisation d'exercer un recours collectif contre Cabinet et Gestion. La juge de l'autorisation a conclu qu'en ce qui a trait au recours en responsabilité contractuelle proposé contre Cabinet et en responsabilité extracontractuelle proposé contre Gestion, A. n'a pas démontré que son recours présentait une apparence sérieuse de droit tel que l'exige l'article 1003 b) du Code de procédure civile (C.P.C.) (ancien) du Québec. La juge a conclu également en l'absence de questions communes suivant la condition prévue à l'article 1003 a) C.P.C. (ancien), omettant toutefois de se prononcer sur cette condition quant au recours contre Gestion. La Cour d'appel a accueilli l'appel de A. et a autorisé l'exercice du recours collectif contre Cabinet et Gestion.

Décision

M. le juge Kasirer, à l'opinion duquel souscrivent le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis, Brown et Martin: C'est à bon droit que la Cour d'appel a autorisé l'exercice du recours collectif proposé par A., et ce, tant contre Cabinet que contre Gestion. La juge de l'autorisation s'est méprise dans son analyse quant à certains aspects des conditions énoncées aux articles 1003 a) et 1003 b) C.PC. (ancien) (qui correspondent aux articles 575 paragraphes 1 et 2 du nouveau Code de procédure civile). L'appel est toutefois accueilli en partie à la seule fin de modifier les paragraphes 8 et 9 de l'arrêt de la Cour d'appel afin de préciser la portée de la réclamation en dommages-intérêts punitifs.

La Cour d'appel a parfaitement respecté le cadre d'analyse fixé dans les arrêts Infineon Technologies AG c. Option consommateurs (C.S. Can., 2013-10-31), 2013 CSC 59, SOQUIJ AZ-51014011, 2013EXP-3509, J.E. 2013-1903, [2013] 3 R.C.S. 600, Vivendi Canada Inc. c. Dell'Aniello (C.S. Can., 2014-01-16), 2014 CSC 1, SOQUIJ AZ-51034241, 2014EXP-244, J.E. 2014-124, [2014] 1 R.C.S. 3, et L'Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J. (C.S. Can., 2019-06-07), 2019 CSC 35, SOQUIJ AZ-51602220, 2019EXP-1580, même si ce dernier a été rendu après la décision faisant l'objet du pourvoi. L'autorisation d'un recours collectif au Québec nécessite l'atteinte d'un seuil peu élevé. Une fois satisfaites les quatre conditions énoncées à l'article 1003 C.P.C. (ancien), la juge doit autoriser le recours collectif; elle ne bénéficie d'aucune discrétion résiduelle lui permettant de refuser l'autorisation au prétexte que le recours ne serait pas le véhicule le plus adéquat. Les questions de droit peuvent être résolues par un ou une juge de l'autorisation lorsque le sort de l'action projetée en dépend, mais ce choix relève généralement de la discrétion du tribunal. Ceci témoigne de la vocation de l'étape de l'autorisation du recours collectif: exercer une fonction de filtrage pour écarter les demandes frivoles, sans plus. En analysant la requête, les juges d'autorisation doivent éviter de faire preuve de rigorisme. Il faut lire le texte de la requête pour en découvrir son plein message, y compris son message nécessairement implicite. Enfin, il n'y a aucune exigence au Québec que les questions communes soient prépondérantes par rapport aux questions individuelles. Au contraire, une seule question commune suffit si elle fait progresser le litige de façon non négligeable. Il n'est pas nécessaire que celle-ci soit déterminante pour le sort du litige.

En l'espèce, les allégations suffisent à établir une cause défendable à l'encontre de Cabinet suivant la condition prévue à l'article 1003 b) C.P.C. (ancien). En principe, il n'y a pas lieu pour le tribunal, au stade de l'autorisation, de se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions au regard des faits allégués. Le syllogisme proposé n'est ni frivole, ni manifestement non fondé en droit. Les allégations sont suffisamment précises pour être tenues pour avérées et elles trouvent un fondement suffisant dans la preuve administrée.

Le syllogisme de A. se fonde sur un manquement de Cabinet à son devoir d'information. Dans sa requête, A. explique dès le sommaire qu'il reproche à Cabinet et Gestion d'avoir manqué et contrevenu aux obligations et aux devoirs d'information, de compétence et de gestion. Cabinet aurait omis d'informer adéquatement les membres du groupe des opérations risquées effectuées avec les sommes confiées par les membres. Au niveau du préjudice, A. explique la perte de rendement subie en raison de stratégies d'investissement risquées; au niveau de la causalité, il affirme qu'il n'aurait jamais accepté d'investir dans les Placements PP et GA s'il avait été informé adéquatement des risques liés à ces placements par Cabinet. Les fautes sont décrites avec suffisamment de précision, et l'information manquante à l'échelle du groupe vise entre autres le niveau de risque des placements, leur volatilité et leur fonctionnement, notamment leur effet de levier.

On comprend de ces allégations que le recours proposé se fonde non pas sur l'inexécution des conventions de dépôt, mais plutôt sur un manquement généralisé et systématique au devoir d'information. A. reproche à Cabinet d'avoir systématiquement manqué à ce devoir en n'informant pas adéquatement l'ensemble des représentants du risque et des caractéristiques des placements (la faute directe). Munis d'information fausse, trompeuse ou incomplète, les représentants ont alors, selon les faits allégués de la requête, également omis d'informer adéquatement les membres du groupe (la faute indirecte). La double faute reprochée à Cabinet, et le fondement du recours, est un manquement généralisé et systématique au devoir général d'information qui incombe à Cabinet. Cette double faute désigne en d'autres mots les deux côtés d'une même médaille, soit le manquement de Cabinet à son devoir d'information tant envers les membres du groupe directement, par lui-même, qu'indirectement, via ses représentants.

La personne prestataire de services financiers est bien soumise à un devoir d'information, et le non-respect de ce devoir peut donner lieu à une responsabilité civile dont le commettant ou le mandant de la conseillère financière fautive doit répondre. Les membres du groupe sont liés à Cabinet par un contrat de service au sens de l'article 2098 du Code civil du Québec (C.C.Q.) ou encore, si le service n'est pas directement rémunéré, par un contrat sui generis s'y apparentant. Fondé sur l'obligation générale de bonne foi (art. 6, 7 et 1375 C.C.Q.), le devoir d'information concerne tous les contrats et vise en principe toutes les parties contractantes. Il existe une distinction entre le devoir de conseil et celui d'information. L'obligation de renseignement (ou d'information) impose de divulguer des faits à celui qui, afin de régler son comportement, peut légitimement s'attendre à ce qu'on les lui dévoile. L'obligation de conseil exige de donner un avis à une personne, dans l'intérêt de celle-ci. Le devoir d'information est moins onéreux et moins particularisé que l'obligation de conseil.

Dans l'arrêt Banque de Montréal c. Bail ltée (C.S. Can., 1992-06-25), SOQUIJ AZ-92111080, J.E. 92-964, [1992] R.R.A. 673 (rés.), [1992] 2 R.C.S. 554, la Cour a observé que l'étendue de l'obligation d'information s'apprécie en fonction des critères suivants: 1) la connaissance, réelle ou présumée, de l'information par la partie débitrice de l'obligation de renseignement; 2) la nature déterminante de l'information en question; 3) l'impossibilité du créancier de l'obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur. En l'espèce, Cabinet connaît ou est présumée connaître les caractéristiques des placements qu'elle conseille. A. allègue qu'il n'aurait jamais accepté d'investir dans les Placements PP et GA s'il avait été informé adéquatement des risques liés à ces placements et qu'il était dans l'impossibilité de se renseigner sur les stratégies d'investissement de Gestion.

La requête n'allègue pas une fausse représentation positive; elle allègue une omission correspondant à un manquement au devoir d'information qui, contrairement au devoir de conseil, est une obligation de résultat. La simple preuve par le créancier de l'absence du résultat suffit à faire présumer la responsabilité du débiteur. À l'étape de l'autorisation, le requérant a le fardeau de démontrer le caractère défendable du syllogisme juridique proposé, et non le fardeau de prouver chacun des éléments du syllogisme juridique proposé selon la norme habituelle en matière civile de prépondérance des probabilités. Dans ce contexte, la preuve apportée par A. au soutien d'allégations qui doivent être présumées avérées est plus que suffisante. Le recours peut être autorisé en l'absence d'une preuve prépondérante que l'information n'a pas été transmise à A. A. a déposé nombre de documents pour appuyer des allégations concernant l'omission par Cabinet de divulguer, à l'ensemble de la clientèle, les risques associés aux méthodes de gestion des placements. Le choix de Cabinet et de ses représentants de s'y fier seraient une preuve du manquement au devoir contractuel d'information allégué à l'appui de sa responsabilité contractuelle indirecte. L'interrogatoire avant audition de A. constitue également un élément de preuve pertinent en matière d'inexécution d'une obligation de faire, comme l'absence de conseil ou d'information. Le manquement équivaut à un fait négatif, en soi difficile à établir de manière convaincante, mais dont la preuve peut être faite par simple témoignage.

La condition des questions communes suivant l'article 1003 a) C.P.C. (ancien) est également satisfaite à l'égard du recours proposé contre Cabinet. À l'étape de l'autorisation, la jurisprudence québécoise et de la Cour commande une conception souple de l'intérêt commun qui doit lier les membres du groupe. Ainsi, même si les circonstances varient d'un membre du groupe à l'autre, le recours collectif pourra être autorisé si certaines questions sont communes. Le fait que tous les membres du groupe ne sont pas dans des situations parfaitement identiques ne prive pas celui-ci de son existence ou de sa cohérence. Au Québec, une seule question commune suffit, tant qu'elle fait progresser le litige de manière non négligeable. Le recours collectif en l'espèce vise un manquement contractuel au devoir d'information fondant la responsabilité tant directe qu'indirecte de Cabinet. Dans les deux cas, les omissions alléguées ont un caractère systématique et ne dépendent pas des caractéristiques individuelles de chaque client. Le caractère systématique de ces omissions, de part et d'autre, permet l'identification de questions communes à l'égard du recours proposé contre Cabinet au sens de l'article 1003 a) C.P.C. (ancien).

La requête déposée par A. fait état d'une désinformation systématique des membres du groupe. En fournissant à ses représentants des documents trompeurs ou incomplets, Cabinet les désinforme et ne leur donne pas les moyens d'informer adéquatement les membres du groupe. L'information transmise aux membres est donc nécessairement incorrecte ou insuffisante, voire fausse, trompeuse ou susceptible d'induire en erreur. Le caractère systématique du manquement de Cabinet est donc clairement allégué et doit être tenu pour avéré. De plus, il s'agit d'information objective que Cabinet n'a jamais fournie aux représentants et aux membres, concernant le caractère risqué des placements.

La thèse de la requête n'est pas fondée sur la responsabilité individuelle d'une conseillère financière vis-à-vis de son client particulier qui dépendrait de la preuve du profil de chaque client pour savoir effectivement si le placement convenait ou non. La faute alléguée est un manquement à une obligation d'information générale qui affecte chaque membre, et non un manquement à l'obligation particularisée de bien conseiller son client. Bien que le devoir d'information varie en fonction du contexte, il existe des circonstances où tous les créanciers ont été privés d'information en raison d'une omission systématique. En l'espèce, A. allègue précisément l'existence de telles circonstances, où le déséquilibre informationnel et le contrôle de l'information par Cabinet sont communs à tous les membres. En effet, A. allègue que les membres du groupe ne pouvaient pas connaître l'information que possédait Cabinet sur le fonctionnement des placements même avec toute la diligence voulue. Ainsi, un recours collectif pour la responsabilité d'une maison de courtage pour le fait de ses représentants est possible s'il est question de la non-suffisance de l'information communiquée par la firme à ses représentants et aux membres du groupe, menant à un manquement à un devoir général d'information. Conclure autrement priverait le recours collectif d'une partie de sa vocation de venir en aide aux personnes qui, pour des raisons économiques et autres, font face à des obstacles pour faire valoir leurs droits. La Cour d'appel était donc justifiée d'intervenir. Il appert que la juge de l'autorisation a évalué la condition des questions communes sous l'angle d'un recours fondé sur le devoir de fournir des conseils individualisés adaptés à la tolérance aux risques de chaque client, alors que ce n'était pas le fondement du recours de A.

Il est admis que la responsabilité de Gestion peut être recherchée en tant que concepteur des placements. En ce qui a trait au caractère défendable de la cause menée contre Gestion, le syllogisme proposé par A. n'est ni circulaire, ni insoutenable. A. ne se contente pas dans ses allégations de dire que les pratiques de Gestion étaient risquées parce que les placements n'ont pas généré de rendement: il forme des reproches concrets à l'égard de Gestion. Ces allégations sont suffisamment précises. Quant à l'impact de la crise financière de 2008 sur le lien causal entre les prétendues fautes extracontractuelles de Gestion et le préjudice pour lequel A. demande compensation, cette question relève du fond du litige.

A. réclame à Gestion des dommages-intérêts punitifs en application des articles 6 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne pour atteinte, de manière illicite et intentionnelle, à son droit à la possession paisible de ses biens. Dans le cadre de cette réclamation, il allègue qu'une part importante des investissements en marché monétaire au sein des Placements PP et GA était composée de PCAA. Gestion affirme que toute réclamation relative aux PCAA est éteinte par l'effet de l'Ordonnance d'homologation rendue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans le cadre de la réorganisation du marché des PCAA entreprise en application de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. En première instance, la juge a conclu que la réclamation fondée sur les PCAA est à sa face même irrecevable sans toutefois relever la distinction entre «PCAA visés» et «Réclamations non visées», telle que traitée au Troisième plan modifié de transaction et d'arrangement ayant fait l'objet de l'Ordonnance d'homologation.

La Cour d'appel a eu raison de conclure que la juge de première instance ne pouvait trancher l'irrecevabilité au stade de l'autorisation. Il est vrai qu'un tribunal peut trancher une pure question de droit au stade de l'autorisation si le sort de l'action collective projetée en dépend, mais déterminer si les PCAA en question font partie des PCAA visés par la quittance et énumérés à son Annexe «A» n'est pas une pure question de droit. Ce n'est pas l'application de l'Ordonnance qui est contestée, mais sa portée qui pourra être débattue ultérieurement et, si nécessaire, la question de la portée des PCAA visés et non visés par l'Ordonnance pourrait être renvoyée à la Cour supérieure de justice de l'Ontario. Au stade de l'autorisation, la prudence s'impose et tout doute devrait jouer en faveur de la continuation des procédures. Le fait de différer cette question n'entraîne pas la perte de droits pour Gestion puisque le recours doit procéder au mérite quant à la réclamation en dommages-intérêts compensatoires. Tout en étant difficile, une réclamation en dommages-intérêts punitifs fondée sur l'atteinte illicite et intentionnelle de l'article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne et portant sur les PCAA non visés par la quittance demeure défendable dans le contexte. Toutefois, il est nécessaire de préciser que tout paiement à chacun des membres du groupe d'une somme à titre de dommages-intérêts punitifs est sujet à réclamation uniquement en lien avec des Réclamations non visées, au sens de l'article 1 du Troisième plan modifié de transaction et d'arrangement daté du 12 janvier 2009.

Mme la juge Côté, dissidente en partie, à l'opinion de laquelle souscrivent les juges Moldaver et Rowe: Le pourvoi devrait être accueilli en partie. L'autorisation du recours collectif proposé contre Cabinet devrait être refusée et l'autorisation du recours collectif proposé contre Gestion devrait être accordée mais seulement à l'égard de la réclamation en dommages-intérêts compensatoires.

Les objectifs d'accès à la justice, de modification des comportements préjudiciables et d'économie des ressources judiciaires visés par le recours collectif ne peuvent être atteints que si une procédure rigoureuse est suivie pour encadrer son autorisation. Le recours collectif constitue un véhicule procédural lourd qui représente une démarche énorme pour tous les acteurs concernés, y compris les tribunaux. L'autorisation se veut davantage qu'une simple formalité. Elle vise à protéger les intérêts de tous les intervenants au recours collectif, non seulement ceux du représentant et des membres absents, mais également ceux des défendeurs et même de l'administration de la justice. L'étape de l'autorisation confère au recours collectif toute sa légitimité.

Malgré son rôle plus actif en matière de recours collectif, le tribunal ne peut s'arroger le rôle de partie ou d'avocat et réorienter à sa guise le recours tel que présenté par la partie requérante. Il n'appartient pas au tribunal de lire entre les lignes dans le but de deviner le fondement du recours qu'on cherche à faire autoriser ou du syllogisme juridique en l'absence d'allégations spécifiques quant à un élément essentiel de la cause d'action. Le tribunal d'autorisation peut compléter les allégations avec la preuve au dossier et en tirer des inférences et présomptions. Toutefois, le tribunal n'a pas à tenir pour avérées les allégations juridiques du requérant; il peut trancher une pure question de droit au stade de l'autorisation si le sort du recours collectif projeté en dépend. Lorsque le juge tranche une question de droit dont dépend le sort du recours collectif à l'étape de l'autorisation, cela favorise l'atteinte des objectifs de prévisibilité juridique et d'économie judiciaire qui sous-tendent le système d'administration de la justice. Le rôle du juge à l'étape de l'autorisation est de filtrer les recours frivoles ou insoutenables, mais aussi de vérifier que toutes les conditions de l'article 1003 C.P.C. (ancien) soient satisfaites. Une requête qui ne remplit pas toutes les conditions n'est pas par ce fait même frivole. Puisque le tribunal doit tenir les faits allégués pour avérés, les allégations doivent être claires et complètes, plutôt que vagues, générales ou imprécises. Des carences de forme sont pardonnables; des carences de substance ne le sont pas. Ces allégations doivent être lues avec attention afin d'analyser le caractère défendable du syllogisme juridique qu'elles proposent.

Le juge dispose à l'étape de l'autorisation d'une importante marge de manoeuvre dans l'appréciation des conditions énoncées à l'article 1003 C.P.C. (ancien). Lorsqu'il est d'avis que chaque condition est satisfaite, il doit autoriser le recours et il n'a pas discrétion de refuser l'autorisation. Le pouvoir d'intervention d'une cour d'appel demeure limité et celle-ci doit faire preuve de déférence envers la décision du juge dans son appréciation des conditions. La norme d'intervention en appel applicable à cette appréciation est celle de l'erreur manifeste et déterminante.

En l'espèce, la juge de première instance ne commet aucune erreur lorsqu'elle affirme que les conventions de dépôt des Placements PP et GA ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité contractuelle de Cabinet puisqu'elles interviennent entre les clients et leurs caisses populaires respectives. Le contrat susceptible d'engager la responsabilité contractuelle de Cabinet serait plutôt celui qui intervient entre le client et Cabinet, par l'entremise de la représentante, soit un contrat de services dont le seul objet est le conseil. Même si la prestation de base du contrat est le conseil, cela n'empêche pas qu'un devoir d'information existe également. Or, la juge a également analysé le recours contre Cabinet tel qu'il a été présenté, c'est-à-dire sous l'angle de la responsabilité contractuelle de Cabinet découlant d'un manquement au devoir d'information, dans le cadre d'un fondement contractuel qui découlerait de la relation mandant-mandataire entre les représentants de Cabinet et les clients. Son appréciation des conditions d'autorisation commandait la déférence en appel en l'absence d'une erreur manifeste et déterminante.

L'exigence de questions communes suivant l'article 1003 a) C.P.C. (ancien) n'est pas satisfaite à l'égard du recours proposé contre Cabinet. La responsabilité de conseillers financiers pour un manquement au devoir d'information et de conseil ne se prête pas à un recours collectif en raison du caractère hautement individuel de la relation entre un client et son conseiller dans le cadre d'un contrat de services de placement. L'analyse de la responsabilité devrait alors être reprise dans chacun des cas individuels. La jurisprudence est constante à cet égard: il ne peut y avoir de questions communes dans de telles circonstances. Toutefois, lorsqu'un requérant parvient à démontrer que le manquement revêt un caractère systématique, la condition des questions communes ne fera pas obstacle à l'autorisation. Or, A. n'a ni allégué ni démontré quelque manquement systématique que ce soit au devoir d'information des conseillers qui pourrait être imputé à Cabinet. De son propre aveu, il n'a aucune idée si d'autres clients étaient dans la même situation que lui. C'est donc l'absence de caractère systématique qui est fatal au recours de A. et non le fait qu'il vise des conseillers financiers.

Le devoir d'information se veut plus général que le devoir de conseil incombant aux représentants de Cabinet; cependant, le devoir d'information est une obligation à géométrie variable modulée par les circonstances propres à chaque cas, comme l'a confirmé l'arrêt Bail ltée. Cela est d'autant plus vrai dans un cas où le devoir d'information est l'accessoire d'une prestation principale ayant pour objet le conseil. En l'espèce, l'obligation d'information s'inscrit dans le contexte plus large de la prestation de services de conseiller financier, qui varie selon plusieurs facteurs, notamment la durée de la relation, les objectifs du client et son niveau d'expertise. L'obligation du conseiller ou du courtier de connaître son client vient moduler sa relation avec ce dernier; il est clair que les circonstances spécifiques du client ont une importance significative. Il n'est donc pas surprenant qu'A. ignore s'il existe d'autres membres dans la même situation que lui. Sa situation ne peut être extrapolée à celle des autres membres du groupe proposé. Ainsi, même s'il ne faut pas s'attarder aux particularités de chacun des membres au stade de l'autorisation du recours collectif, il demeure qu'en l'espèce, les éléments de la faute, la causalité et le préjudice invoqués par A. au nom du groupe sont éminemment variables. Étant donné la nécessité d'une telle analyse contextuelle, il ne peut donc y avoir de caractère commun à la question de savoir s'il y a eu manquement au devoir d'information en l'absence d'une démonstration de son caractère systématique. L'analyse individualisée exigée par le recours éclipse la possibilité de procéder sur une base collective. L'appréciation des faits et l'analyse juridique devra être répétée systématiquement pour chaque relation entre un conseiller financier et son client, de sorte que la question suggérée ne saurait faire avancer le litige de façon non négligeable.

En ce qui concerne le recours proposé contre Gestion, l'intervention de la Cour d'appel n'était justifiée qu'en partie. La Cour d'appel avait raison d'autoriser le recours contre Gestion, sauf en ce qui concerne la réclamation en dommages-intérêts punitifs. Sur ce dernier point, la juge d'autorisation a, à juste titre, tenu compte de la quittance relative aux PCAA contenue dans l'Ordonnance d'homologation et de sa portée afin de conclure que la réclamation en dommages-intérêts punitifs contre Gestion en lien avec les PCAA ne présentait pas une cause défendable.

Généralement, les moyens de défense dont dispose la partie défenderesse sont examinés lors du procès sur le fond. Néanmoins, le tribunal peut trancher une pure question de droit au stade de l'autorisation si le sort de l'action collective projetée en dépend. Ce principe couvre également l'interprétation d'une quittance incluse à une ordonnance d'homologation rendue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario, laquelle a pleine vigueur et effet au Québec selon l'article 16 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

Le sort de la portion du recours proposé quant aux dommages-intérêts punitifs en lien avec les PCAA dépend de l'interprétation des termes de la quittance. Si une preuve s'avère nécessaire afin de pouvoir statuer sur l'application d'une quittance contenue à une ordonnance d'homologation, cette question devrait procéder au fond. À l'inverse, si une telle preuve n'est pas nécessaire, comme en l'espèce, il ne serait ni logique ni souhaitable, dans une perspective d'économie judiciaire et de proportionnalité des procédures, de différer la détermination de cette question de droit lorsque le tribunal a la possibilité de la trancher au stade de l'autorisation. Cela est particulièrement vrai pour les quittances qui résultent d'une transaction ou d'un arrangement homologué par un tribunal en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Les quittances font progresser l'un des objectifs importants de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies qui est de favoriser la restructuration en évitant les risques de litiges. Les articles 16 et 17 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies prévoient qu'il est impératif que les tribunaux du Québec donnent effet aux ordonnances de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, peu importe la juridiction où se sont déroulées les procédures.

En l'espèce, la quittance comporte deux obstacles qui sont fatals à la réclamation de A. en dommages-intérêts punitifs fondée sur les PCAA. Le premier obstacle découle de la cause d'action limitée qui est autorisée pour une Réclamation exclue: la réclamation doit être fondée sur des déclarations frauduleuses expresses faites au demandeur potentiel par un représentant autorisé du défendeur potentiel. Or, la réclamation en dommages-intérêts punitifs n'est pas fondée sur une fausse déclaration mais sur la faute de Gestion qui réside dans la conception et la gestion déficientes contraire à ses obligations et devoirs d'agir avec prudence et diligence et de suivre des pratiques de gestion saine et prudente. La requête n'allègue pas une cause d'action qui relève de la définition de Réclamation exclue.

Le deuxième obstacle à la réclamation en dommages-intérêts punitifs concerne les délais stricts pour présenter une demande. Le délai de neuf semaines a commencé à courir à la date de remise de l'avis par le contrôleur, qui était essentiellement la date à laquelle l'Ordonnance d'homologation a été rendue, c'est-à-dire le 5 juin 2008. La requête de A. pour autorisation d'exercer un recours collectif fut signifiée le 16 septembre 2011. En conséquence, la réclamation de A. en dommages-intérêts punitifs fondée sur l'utilisation par Gestion d'une stratégie d'investissement incluant des PCAA a été déposée hors délai. La quittance fait obstacle au syllogisme juridique de A. quant à la faute de Gestion et la demande fondée sur les PCAA doit être rejetée car elle ne revêt pas l'apparence de droit qu'exige l'article 1003 b) C.P.C. (ancien).

Dans la mesure où la responsabilité de Gestion est recherchée à titre de conceptrice et gestionnaire des produits, le recours peut être autorisé à l'égard des dommages-intérêts compensatoires. En invoquant les effets de la crise financière de 2008 pour refuser d'autoriser cette partie du recours, la juge d'autorisation s'est avancée sur le fond du recours. Or, cet aspect du recours n'est pas pour autant dénué de fondement. Il s'agit là d'une erreur qui justifiait l'intervention de la Cour d'appel.


Dernière modification : le 30 juillet 2022 à 19 h 01 min.