Signalement(s)
Air Canada a annoncé un prix inférieur à celui exigé des consommateurs lors de la vente de billets d'avion sur son site Internet; toutefois, les consommateurs n'ayant subi aucun préjudice des suites de cette pratique interdite, l'action collective intentée en leur nom est rejetée.
Air Canada a contrevenu à la Loi sur la protection du consommateur en annonçant un prix inférieur à celui exigé des consommateurs lors de la vente de billets d'avion sur son site Internet; par contre, puisque les consommateurs n'ont subi aucun préjudice, l'action collective intentée contre le transporteur est rejetée.

Les articles 224 c) de la Loi sur la protection du consommateur et 91.8 du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur sont applicables et opérants à l'égard de la vente de billets d'avion sur le site Internet d'Air Canada; le transporteur n'a pas démontré que la doctrine de l'exclusivité des compétences et celle de la prépondérance fédérale s'appliquaient à sa situation.
L'action collective intentée contre Air Canada au nom des consommateurs qui ont acheté des billets d'avion sur son site Internet et qui ont payé un prix supérieur à celui annoncé est rejetée; les consommateurs n'ont subi aucun préjudice des suites de cette pratique interdite.
Il n'est pas nécessaire de condamner Air Canada à payer des dommages punitifs pour avoir contrevenu à la Loi sur la protection du consommateur en annonçant un prix inférieur à celui exigé des consommateurs lors de la vente de billets d'avion sur son site Internet; son comportement ne constitue pas «une conduite marquée par de l'ignorance, de l'insouciance ou de la négligence sérieuse» à l'égard de ses obligations ou des droits du consommateur.
Résumé
Action collective en réclamation d'une somme d'argent et de dommages punitifs. Rejetée.
La Cour d'appel a autorisé la demanderesse à exercer une action collective contre Air Canada au nom des consommateurs qui ont acheté un titre de transport aérien par l'intermédiaire de son site Internet entre le 30 juin 2010 et le 8 février 2012 et qui ont payé un prix supérieur à celui annoncé. Le site Internet d'Air Canada ne précisait pas, à la première étape de la navigation, le montant des taxes, des frais, des charges et des surcharges compris dans le prix final exigé à l'achat du titre de transport. La demanderesse allègue que cette pratique contrevient à l'article 224 c) de la Loi sur la protection du consommateur et à l'article 91.8 du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur. Elle soutient également que le jugement d'autorisation de la Cour d'appel lie le tribunal en vertu de la règle du stare decisis vertical, de sorte que celui-ci doit nécessairement conclure qu'Air Canada a contrevenu à l'article 224 c).

La demanderesse réclame une réduction du prix payé par les membres du groupe équivalant à la somme de ces taxes, charges, surcharges et frais exigés sans droit, à l'exclusion des taxes de vente, ainsi que des dommages punitifs totalisant 10 millions de dollars.

Pour sa part, Air Canada soutient que la doctrine de l'exclusivité des compétences rend l'article 224 c) de la loi constitutionnellement inapplicable à la vente de titres de transport par l'entremise de son site Internet ou, subsidiairement, que cette disposition est inopérante en application de la doctrine de la prépondérance fédérale. Elle est aussi d'avis qu'elle n'a pas contrevenu à la loi. Enfin, en raison du cadre d'analyse particulier d'une demande en autorisation d'intenter une action collective, Air Canada est d'avis que le jugement de la Cour d'appel ne peut lier le juge du fond, et ce, que ce soit suivant le principe de la chose jugée ou de la règle du stare decisis vertical.

Décision
Le jugement d'autorisation de la Cour d'appel n'emporte pas la chose jugée sur les questions en litige, leur détermination ultime étant réservée au juge du fond qui entendra toute la preuve. Par contre, ce n'est pas parce que la Cour d'appel «autorise» l'action collective qu'elle devient un juge autorisateur dont les enseignements ne lient pas le juge du fond. L'une des particularités du présent dossier est que les faits tenus pour avérés qui ont été pris en considération par la Cour d'appel lors de son analyse sont essentiellement les mêmes que ceux mis en preuve lors de l'instruction, et ces faits ne sont pas contestés. De plus, le jugement d'autorisation répond à de «pures questions de droit» à la suite d'une analyse rigoureuse portant sur l'interprétation de textes législatifs. Il confirme que le montant annoncé dès la première étape de navigation est le prix annoncé aux fins de la loi et que le test de l'impression générale ne s'applique pas à l'analyse effectuée dans le cadre d'un manquement possible à l'article 224 c) de la loi. La Cour d'appel se prononce clairement et avec force sur ces questions. Sa position en droit fait donc partie de la notion de ratio decidendi, et il s'agit d'un précédent qui lie le tribunal. Par conséquent, en annonçant seulement les tarifs à la première étape de la navigation sur son site Internet, Air Canada a annoncé un prix inférieur au prix final exigé des consommateurs, le tout en violation de l'article 224 c) de la loi, et ce, sans égard au test de l'impression générale.

Les dispositions contestées sont applicables et opérantes à l'endroit des activités d'Air Canada. Cette dernière n'a pas démontré que les doctrines constitutionnelles s'appliquent à sa situation.

En effet, l'article 224 c) de la loi n'empiète pas sur le «contenu essentiel irréductible» de la compétence aéronautique réservée au Parlement du Canada. Il ne touche aucunement l'activité aéronautique et n'a aucun lien avec les activités comprises dans le coeur de la compétence fédérale en la matière. Il s'agit d'une mesure prise par le législateur provincial qui se limite à encadrer l'annonce d'un prix en prohibant sa décomposition à l'étape préliminaire et en obligeant le commerçant à afficher le prix complet tôt dans le processus afin de protéger le consommateur. Par ailleurs, même s'il y avait empiétement, celui-ci n'aurait pas le niveau de gravité requis pour menacer la compétence du Parlement en matière d'aéronautique. La doctrine de l'exclusivité des compétences ne s'applique donc pas.

De plus, il n'existe pas de conflit opérationnel ni de conflit d'objet entre les 2 ordres de gouvernement qui ferait intervenir la doctrine de la prépondérance fédérale.
L'argument d'Air Canada selon lequel l'article 224 c) de la loi entrerait en conflit avec l'abstention du Parlement de légiférer à l'égard de la publicité des prix a d'ailleurs été rejeté par les tribunaux. En effet, la Cour d'appel a confirmé que la décision de s'abstenir de légiférer signifie qu'on laisse place aux libres forces du marché, y compris aux règles découlant du droit provincial (Bell Canada c. Directeur des poursuites criminelles et pénales (Office de la protection du consommateur), (C.A., 2022-03-24), 2022 QCCA 408, SOQUIJ AZ-51839978, 2022EXP-908). De même, l'entrée en vigueur ultérieure des dispositions fédérales n'a pu créer de conflit puisque, en fin de compte, elles reprennent en substance celles de la législation provinciale.

Toutefois, les membres du groupe n'ont pas subi de préjudice des suites de la pratique interdite d'Air Canada. L'entreprise pouvait facturer les charges et surcharges exigées. Celles-ci étaient d'ailleurs prévues au contrat lors de l'achat des titres de transport. Ce qui pose problème n'est pas le montant de ces charges et surcharges, mais leur affichage à la deuxième étape de la navigation seulement. Or, une annonce visible sur la page Internet à la première étape de navigation mettait en garde les consommateurs, mentionnant que seuls les tarifs figuraient sur cette page et que d'autres frais s'ajouteraient à l'étape suivante. La pratique interdite n'était donc pas «susceptible d'influer sur le comportement adopté par le consommateur relativement à la formation, à la modification ou à l'exécution du contrat de consommation» (Richard c. Time Inc. (C.S. Can., 2012-02-28), 2012 CSC 8, SOQUIJ AZ-50834275, 2012EXP-836, J.E. 2012-469, [2012] 1 R.C.S. 265, paragr. 124).

Enfin, il n'y a pas lieu non plus d'accorder des dommages punitifs. Le comportement d'Air Canada ne démontre pas une «conduite marquée d'ignorance, d'insouciance ou de négligence sérieuse» à l'égard de ses obligations ou des droits du consommateur (Richard, paragr. 180). L'entreprise a pris des mesures concrètes pour s'assurer que le consommateur qui navigue sur son site Internet ne soit pas induit en erreur et qu'il comprenne que le tarif figurant à la première étape n'est pas le prix qui sera exigé de lui lors de l'achat du titre de transport.


Dernière modification : le 20 août 2024 à 14 h 53 min.