En bref

Rejet du recours collectif intenté contre la Compagnie de la Baie d'Hudson visant à réduire le taux d'intérêt payé par les détenteurs de cartes de crédit HBC.

Résumé de l'affaire

Action en réduction des intérêts payés sur des cartes de crédit. Rejetée.

La demanderesse a intenté un recours collectif contre la Compagnie de la Baie d'Hudson (HBC) au nom de tous les détenteurs de carte de crédit HBC qui ont payé des intérêts sur celles-ci depuis le 1er mai 1994. La demanderesse soutient avoir payé, entre cette date et juin 1996, des intérêts sur le solde quotidien moyen de sa carte à un taux de 28,8 %. Estimant que ce taux est abusif et lésionnaire, elle demande de le réduire conformément à l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur et à l'article 1437 du Code civil du Québec (C.C.Q.). HBC demande pour sa part le rejet du recours collectif et l'inapplicabilité sur le plan constitutionnel de l'article 8 de la loi et de l'article 1437 C.C.Q. à toute demande de réduction ou de remboursement d'intérêts relatifs aux frais de crédit afférents aux soldes de ses cartes de crédit.

Résumé de la décision

Lorsqu'une question de compétence législative est soulevée, le «caractère véritable» de la loi au sujet de laquelle elle est posée doit d'abord être déterminé. Il doit l'être sous deux aspects, soit l'objet de la loi de même que son effet juridique. Les tribunaux se sont prononcés à plusieurs reprises sur le caractère véritable de la Loi sur la protection du consommateur et, si l'on tient compte de cette jurisprudence, on ne peut conclure à l'absence de compétence de la Cour supérieure pour accueillir la réclamation de la demanderesse. En effet, l'article 8 de la loi ne prévoit pas d'intervention du tribunal pour maintenir ou diminuer le taux d'intérêt prévu dans un contrat de crédit, mais plutôt une possibilité d'intervenir s'il constate une disproportion entre les prestations respectives des parties à ce contrat. Cet article est donc conforme au but de la loi et reconnu par la jurisprudence, soit la protection du consommateur contre les pratiques commerciales douteuses, qui relève de la compétence provinciale. La distinction proposée par HBC pour contester la compétence de la Cour supérieure selon que le recours est fondé sur la lésion objective seule ou sur la lésion à la fois objective et subjective n'est pas pertinente car, dans les deux cas, la réduction ne constitue qu'un effet incident à la constatation d'une disproportion prévue à l'article 8 de la loi. Quant à l'article 1437 C.C.Q., il s'agit également d'une disposition de droit civil adoptée en vertu de l'article 92 paragraphe 13 de la Loi constitutionnelle de 1867, et on doit lui appliquer les mêmes principes que ceux prescrits relativement à l'article 8 de la loi.

La présente affaire implique un ensemble de considérations beaucoup plus complexes que celles étudiées dans des décisions fondées sur la lésion objective. Le jugement de la Cour d'appel qui a autorisé le présent recours collectif semble représenter la seule jurisprudence utile à la solution du litige. On peut cependant retenir dans certaines décisions et dans la doctrine des passages pour procéder à l'analyse de celui-ci, notamment quant à l'application de l'article 1437 C.C.Q.

La première question en litige a trait à l'existence d'un consensus social voulant que le taux de 28,8 % soit abusif. Or, cela ne fait pas partie des critères mentionnés aux articles 8 de la loi et 1437 C.C.Q. De plus, même si tel était le cas, une preuve plus exhaustive que celle faite par la demanderesse serait nécessaire pour établir un consensus social. La deuxième question porte sur le taux d'intérêt réel de la carte HBC. Selon la demanderesse, il serait de 32,92 %. Or, rien ne démontre qu'il en est ainsi. Selon HBC, il serait inférieur à 28,8 % dans 92 % des cas. Cette constatation ne peut être mise de côté, d'autant moins qu'elle rejoint celle déposée par le Conseil canadien du commerce de détail dans un mémoire daté de février 1997 où le taux véritable de rendement est établi à 24 %. Le taux d'intérêt de 28,8 % de la carte HBC est d'ailleurs comparable à des taux exigés pour les cartes de crédit délivrées par des institutions financières compte tenu des différentes caractéristiques entre les cartes de crédit. La troisième question en litige consiste à déterminer si l'information contenue dans des rapports de gestion interne et dans des notes sectorielles publiées dans les rapports annuels de HBC permet de tirer des conclusions sur le profit réalisé par HBC grâce à son programme de cartes de crédit. Or, les rapports de gestion interne sont d'abord préparés pour permettre au directeur d'un centre de responsabilité d'en évaluer la performance et les renseignements qu'ils contiennent sont incomplets parce que plusieurs dépenses ne sont pas comptabilisées. Il faut conclure de la même façon en ce qui concerne les notes sectorielles. La question suivante vise le profit réalisé par Crédit HBC. La mesure appropriée pour l'établir est celle préconisée par l'expert d'HBC, soit le «rendement des actifs» ou le «rendement du portefeuille», plutôt que celle retenue par l'expert de la demanderesse, soit la «marge de profit net des services financiers». Par ailleurs, il est essentiel de tenir compte des quatre dépenses déterminées par l'expert d'HBC pour établir correctement le profit, soit les impôts, les coûts de financement du portefeuille, les dépenses d'exploitation et de promotion ainsi que les mauvaises créances nettes.

La cinquième question en litige,,, la principale,,, concerne l'existence d'une disproportion considérable ou d'un désavantage excessif et déraisonnable entre HBC et les détenteurs de la carte de crédit nécessitant une intervention du tribunal. D'une part, les détenteurs acquièrent une marge de crédit variable en vertu de laquelle ils décident du moment et du montant de leurs achats ainsi que du moment et du montant des paiements à effectuer, à la condition de payer la somme minimum requise et de respecter la limite de crédit accordée. De plus, la carte HBC leur confère des avantages que ne leur offrent pas les cartes de crédit d'institutions financières. En contrepartie, les détenteurs doivent payer les achats portés à leur compte et, le cas échéant, les intérêts qui pourront leur être réclamés et dont le taux ne sera jamais supérieur à 28,8 %. D'autre part, HBC prend des risques plus importants que les émetteurs de cartes de crédit concurrents. De 1994 à 2001, son rendement annuel moyen a été de 0,83 %, ce qui est inférieur à la moyenne de l'industrie. Même si l'on acceptait la mesure du profit d'HBC proposée par l'expert de la demanderesse, soit la marge de profit net des services financiers, et en tenant compte de dépenses qu'il a eu tort de laisser de côté, on obtient des pourcentages qui varient de 4 % à 11 % pour les années 1994 à 1997. Par ailleurs, la demanderesse a proposé des hypothèses de travail quant aux taux d'intérêt que le tribunal pourrait retenir, mais ceux-ci varient de 23,24 % à 26,99 %. Elle a reconnu que ces hypothèses de travail, formulées au moment où elle ne possédait pas une information complète, étaient irréalistes, car elles entraîneraient pour HBC des pertes substantielles mettant sa survie en péril. D'ailleurs, ces hypothèses de travail étaient erronées dans leur conception même et ne sont d'aucune utilité. La demanderesse n'a donc pas réussi à démontrer que le tribunal devait intervenir, la prépondérance de preuve favorisant nettement la position défendue par HBC.


Dernière modification : le 19 octobre 2004 à 14 h 46 min.