Résumé de l'affaire

Pourvoi contre un arrêt de la Cour d'Appel du Québec. Accueilli, avec dissidences.

En novembre 1980, l'intimée a demandé en Cour supérieure un jugement déclarant que les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur, qui interdisaient la publicité commerciale destinée à des personnes de moins de 13 ans étaient ultra vires de l'Assemblée nationale du Québec et, subsidiairement, qu'ils enfreignaient la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La Cour supérieure a rejeté l'action en jugement déclaratoire. En appel, l'intimée a aussi invoqué la Charte canadienne des droits et libertés, qui était entrée en vigueur après le jugement de la Cour supérieure. La Cour d'Appel a accueilli l'appel; elle a conclu que les dispositions contestées enfreignaient l'article 2 b) de la charte canadienne et que la limite imposée à la liberté d'expression par les articles 248 et 249 n'était pas justifiée en vertu de l'article premier de la charte canadienne. La Cour suprême décide que: 1) Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont pas ultra vires de la législature provinciale ni privés d'effet en vertu de l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion. 2) La disposition dérogatoire de l'article 364 de la Loi sur la protection du consommateur a cessé d'avoir effet le 27 juin 1987. 3) Les articles 248 et 249 violent l'article 2 b) de la charte canadienne et l'article 3 de la charte québécoise. 4) Le juge en chef Dickson et les juges Lamer et Wilson (les juges Beetz et McIntyre sont dissidents): Les articles 248 et 249 sont justifiés en vertu de l'article premier de la charte canadienne et de l'article 9.1 de la charte québécoise. 5) L'article 7 de la charte canadienne ne peut être invoqué par l'intimée.

 

Résumé de la décision

(1) La Loi constitutionnelle de 1867. Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur, tels que modifiés ou complétés par les règlements, sont comme dans l'affaire P.G. du Québec c. Kellogg's Co. of Canada (C.S. Can., 1978-01-19), SOQUIJ AZ-78111097, [1978] 2 R.C.S. 211, des dispositions législatives d'application générale relatives à la protection du consommateur et ne sont pas une tentative déguisée, sous l'apparence d'une loi d'application générale, de légiférer en matière de publicité télévisée. L'aspect dominant de la loi aux fins de sa qualification est la réglementation de toutes les formes de publicité destinée aux personnes de moins de 13 ans plutôt que l'interdiction de la publicité télévisée, dont on ne peut pas dire qu'elle soit le but exclusif ni même principal de la loi. L'importance relative de la publicité télévisée et des autres formes de publicité destinée aux enfants visées par les exemptions et l'interdiction ne constitue pas un fondement suffisant pour conclure à l'existence d'une législation déguisée. Les articles 248 et 249 ne visent pas à s'appliquer aux entreprises de télédiffusion. Il est clair que ces articles, lus en corrélation avec l'article 252 de la Loi sur la protection du consommateur, s'appliquent aux actes d'un annonceur et non à ceux d'un radiodiffuseur. Les dispositions contestées ne portent donc pas atteinte à la compétence exclusive du Fédéral en prétendant s'appliquer à une entreprise fédérale et, ce faisant, en touchant un élément essentiel de son exploitation. En outre, l'importance des revenus de publicité dans l'exploitation d'une entreprise de télédiffusion et le fait que l'interdiction de la publicité commerciale destinée aux personnes de moins de 13 ans porte atteinte à la capacité de présenter des émissions pour enfants ne constituent pas une base suffisante pour conclure que l'effet des dispositions était d'entraver l'exploitation de l'entreprise en ce sens que l'entreprise était «paralysée dans ses fonctions et ses activités». Tout au plus peut-on affirmer que les dispositions peuvent «incidemment porter atteinte au revenu d'une ou plusieurs stations de télévision». Les articles 248 et 249 n'entrent pas en conflit avec l'article 3 c) de la Loi sur la radiodiffusion. Cet article ne vise pas à empêcher que des lois provinciales d'application générale aient un effet incident sur des entreprises de télédiffusion. Il n'y a ni conflit ni incompatibilité opérationnelle entre la réglementation fédérale applicable aux télédiffuseurs adoptée par le C.R.T.C. et la législation provinciale sur la protection du consommateur applicable aux annonceurs. Les deux systèmes ont été conçus pour coexister. Dans la mesure où le gouvernement fédéral ne tente pas de faire de la norme moins élevée la seule applicable, il n'y a aucune raison pour invoquer la théorie de la prépondérance. L'article 92 paragraphe 15 de la Loi constitutionnelle de 1867 donne à la province la compétence pour édicter des lois pénales provinciales à l'égard d'objectifs provinciaux valides par ailleurs.

(2) Application de la charte canadienne. Selon les motifs de Ford c. Québec (Procureur général) (C.S. Can., 1988-12-15), SOQUIJ AZ-89111009, J.E. 89-30, [1988] 2 R.C.S. 712, l'article 364 de la Loi sur la protection du consommateur (la disposition dérogatoire type édictée par l'article premier de la Loi concernant la Loi constitutionnelle de 1982) est entré en vigueur le 23 juin 1982 et a cessé d'avoir effet le 23 juin 1987. Puisque l'article 364 n'a pas été adopté de nouveau en vertu de l'article 33 paragraphe 4 de la charte canadienne, les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont plus soustraits à l'application de la charte canadienne par une disposition dérogatoire valide et en vigueur.

(3) Liberté d'expression. M. le juge Dickson (juge en chef), M. le juge Lamer et Mme la juge Wilson: L'activité de la demanderesse relève bien du champ des activités protégées par la liberté d'expression. En adoptant les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur et les articles 87 à 91 du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, l'objet que poursuivait le gouvernement était d'interdire le contenu particulier d'une expression au nom de la protection des enfants. Ces dispositions apportent donc des restrictions à l'article 2 b) de la charte canadienne et à l'article 3 de la charte québécoise. MM. les juges Beetz et McIntyre: Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur, qui interdisent la publicité destinée aux enfants, enfreignent l'article 2 b) de la charte canadienne et l'article 3 de la charte québécoise. Les articles 248 et 249 restreignent une forme d'expression: l'expression commerciale qui est protégée par l'article 2 b) et l'article 3. (4) Les limites raisonnables. M. le juge Dickson (juge en chef), M. le juge Lamer et Mme la juge Wilson: Les articles 248 et 249 sont assez précis pour constituer une restriction prescrite par une règle de droit. Pour démontrer que l'objet de la loi est urgent et réel, le gouvernement ne peut invoquer a posteriori un objet qui n'a pu motiver l'adoption de la loi à l'origine. Toutefois, pour établir que l'objectif premier demeure urgent et réel, le gouvernement peut certainement et doit même faire appel aux meilleurs éléments de preuve qui existent au moment de l'analyse. Il en est de même en ce qui concerne la preuve selon laquelle la mesure est proportionnelle à son objectif. Il est également possible d'établir qu'un objet dont le caractère urgent et réel ne pouvait pas être établi à l'époque de l'adoption du texte législatif a acquis ce caractère avec le temps et l'évolution des circonstances. Compte tenu des documents relatifs aux articles premier et 9.1, les articles 248 et 249 apportent une limite raisonnable à la liberté d'expression et sont justifiés en vertu de l'article premier de la charte canadienne et de l'article 9.1 de la charte québécoise. L'objectif de réglementer la publicité commerciale destinée à des enfants est conforme au but général d'une loi sur la protection du consommateur, soit de protéger un groupe qui est très vulnérable à la manipulation commerciale. Les enfants n'ont pas la capacité des adultes pour évaluer la force persuasive de la publicité. Le législateur a conclu avec raison qu'il fallait empêcher les annonceurs d'exploiter la crédulité des enfants. Les moyens choisis par le gouvernement sont proportionnels à son objectif. Premièrement, il n'y a pas de doute que l'interdiction de la publicité destinée aux enfants a un lien rationnel avec l'objectif de protéger les enfants contre la publicité. Les mesures prises par le gouvernement visent précisément le problème traité dans les documents relatifs aux articles premier et 9.1. Il est important de souligner que nous ne sommes pas en présence d'une interdiction générale de la publicité de produits pour enfants, mais simplement d'une interdiction de présenter des messages publicitaires à ceux qui ne sont pas conscients du fait que ces messages visent à persuader. Les messages publicitaires peuvent certainement s'adresser aux véritables acheteurs, les parents ou d'autres adultes. En fait, la publicité éducative non commerciale destinée aux enfants est permise. Deuxièmement, la preuve étaye le caractère raisonnable de la conclusion du législateur qu'une interdiction de la publicité à but commercial destinée aux enfants portait le moins possible atteinte à la liberté d'expression tout en se conformant à l'objectif urgent et réel de protéger les enfants de la manipulation qu'exerce la publicité. Dans les cas où le gouvernement est en quelque sorte l'adversaire singulier de l'individu dont le droit a été violé, les tribunaux peuvent décider avec un certain degré de certitude si les moyens les moins radicaux ont été choisis pour atteindre l'objectif gouvernemental. En revanche, dans les cas où le gouvernement arbitre entre les revendications d'individus et de groupes opposés, le choix des moyens comme celui des fins exige souvent l'évaluation de preuves scientifiques contradictoires et de demandes légitimes mais contraires quant à la répartition de ressources limitées, ce que les tribunaux ne peuvent faire avec le même degré de certitude. Bien que, selon la preuve, le gouvernement dispose d'autres options comportant une intrusion moindre et qui répondent à des objectifs plus modestes, la preuve démontre aussi la nécessité d'interdire la publicité pour parvenir aux objectifs que le gouvernement s'est raisonnablement fixés. Cette Cour n'adoptera pas une interprétation restrictive de la preuve en matière de sciences humaines au nom du principe de l'atteinte minimale et n'obligera pas les législatures à choisir les moyens les moins ambitieux pour protéger des groupes vulnérables. Néanmoins, les conclusions du gouvernement doivent s'appuyer sur des éléments de preuve solides. Troisièmement, on ne laisse pas entendre que les effets de l'interdiction sont tellement sévères qu'ils l'emportent sur l'objectif urgent et réel du gouvernement. Il est toujours loisible aux annonceurs d'adresser leur message aux parents et aux autres adultes. Ils sont également libres de participer à la publicité éducative. La véritable préoccupation à l'origine de la contestation de la loi est qu'elle touche les revenus dans une certaine mesure. Cela signifie simplement que les annonceurs devront inventer de nouvelles stratégies de commercialisation des produits pour enfants.

  1. les juges Beetz et McIntyre, dissidents: Les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur ne sont pas justifiés en vertu de l'article premier de la charte canadienne ou de l'article 9.1 de la charte québécoise. Promouvoir le bien-être des enfants est un objectif qui répond à une préoccupation urgente et réelle pour tout gouvernement, mais il n'a pas été démontré en l'espèce que la publicité télévisée destinée aux enfants met en danger leur bien-être. De plus, les moyens choisis ne sont pas proportionnels à l'objectif. Une interdiction totale de la publicité télévisée destinée aux enfants jusqu'à un certain âge, fixé arbitrairement, indique qu'il n'a pas été tenté de satisfaire à l'exigence de proportionnalité. La liberté d'expression est trop importante pour être écartée ou restreinte à la légère. La liberté d'expression, qu'elle soit politique, religieuse, artistique ou commerciale, ne devrait être supprimée que dans des cas où existent des motifs urgents et impératifs de le faire, et seulement alors dans la mesure et pour le temps nécessaires à la protection de la collectivité. Ce n'est pas le cas en l'espèce. (5) Justice fondamentale. On ne peut retenir la prétention de l'intimée selon laquelle les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur portent atteinte à l'article 7 de la charte canadienne. Dans la présente espèce, les poursuites concernent une compagnie et non des individus. À la différence de ses dirigeants, une société ne peut invoquer la protection qu'offre l'article 7 de la charte. Le mot «chacun» à l'article 7, compte tenu du reste de l'article, exclut les sociétés et les autres entités qui ne peuvent jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, et ne comprend que les êtres humains.


Dernière modification : le 27 avril 1989 à 0 h 00 min.