Résumé de l'affaire

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté la requête visant à faire déclarer illégale une décision de la ministre de l'Éducation relative aux frais d'inscription universitaire des étudiants canadiens ne résidant pas au Québec. Rejeté.
L'appelant, originaire de la Colombie-Britannique, étudiait à l'Université McGill depuis 1995. En novembre 1996, la ministre de l'Éducation a annoncé qu'il y aurait dorénavant, aux fins de la tarification des frais de scolarité, trois catégories d'étudiants: les résidants du Québec, les non-résidants mais citoyens canadiens et les non-résidants étrangers. Le requérant et l'association étudiante de l'université ont invoqué l'incompatibilité de la décision de la ministre avec les articles 1.3 de la Loi sur le ministère de l'Éducation et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, la garantie de liberté d'établissement prévue à l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, le droit à l'égalité prévu à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et l'obligation de courtoisie des provinces les unes envers les autres. La Cour supérieure a conclu que les règles budgétaires constituaient des directives et non des règlements et que la ministre avait pris sa décision de façon légitime pour des motifs cohérents et pertinents. De plus, elle a décidé que la distinction fondée sur la résidence ne constituait pas une discrimination fondée sur l'origine ethnique ou nationale et que les règles budgétaires ne portaient pas atteinte à la libre circulation des personnes et à leur droit de gagner leur vie dans toutes les provinces.

Décision

M. le juge Rothman: Le règlement est un acte normatif de caractère général et impersonnel, édicté en vertu d'une loi. Son adoption déclenche une procédure formelle en vertu de la Loi sur les règlements. Lorsqu'il est en vigueur, il a force de loi, lie l'administration et est sujet à la sanction judiciaire. Au contraire, la directive est plus intimement liée à l'administration. La jurisprudence a refusé de reconnaître un caractère réglementaire aux règles budgétaires. En l'espèce, l'objet des règles budgétaires est de fixer les conditions et les modalités des subventions de fonctionnement versées aux universités. La ministre indique la façon de répartir les sommes et fixe des balises laissant à l'université le choix d'adopter une tarification différente, la directive n'ayant pas force de loi. Ces règles ne contiennent aucune disposition sanctionnant la conduite de l'université qui refuse de s'y conformer. L'université qui n'aura pas respecté les règles budgétaires verra simplement sa subvention ajustée en conséquence. C'est un organisme autonome dont l'administration financière n'est pas soumise à la ministre et elle est libre d'accepter ou non toute subvention. Par conséquent, les règles budgétaires visées n'ont pas toutes les caractéristiques essentielles de la législation déléguée. Elles s'apparentent beaucoup plus à la notion de directive.

Quant au pouvoir du ministre d'adopter des règles budgétaires, c'est l'article 1.3 de la Loi sur le ministère de l'Éducation qui en constitue l'assise. Par l'expression «aux conditions qu'il croit devoir fixer», le législateur lui confie une discrétion à l'égard des fonds publics d'une très large portée. La gestion des fonds publics amène l'État à trancher entre différents intérêts, et le nombre de situations et de critères adoptés pour les gérer varie à l'infini. Les règles budgétaires visent à déterminer comment et à quelles conditions sera répartie l'aide financière aux universités et, pour ce faire, on a fixé des objectifs et des critères. La généralité de l'expression de l'article 1.3 de la loi ne peut être restreinte et la large discrétion de la ministre inclut l'adoption d'un critère fondé sur la résidence.

En ce qui a trait au contrôle de la légalité d'une directive, celle-ci n'est pas sujette à sanction judiciaire à moins qu'elle ne soit adoptée de mauvaise foi, à des fins impropres, selon des principes erronés ou que la discrétion ait été exercée de façon arbitraire ou erronée. Elle doit également être conforme à la loi habilitante ainsi qu'aux chartes canadienne et québécoise. En l'espèce, la ministre a agi de bonne foi. Les frais de scolarité au Québec ne peuvent être qualifiés d'abusifs et, compte tenu du fait que l'État a demandé une contribution à sa population pour assurer le support financier aux universités, il est logique et pertinent de demander à des non-résidants une contribution additionnelle. La démarche ministérielle repose sur des bases logiques et pertinentes en conformité avec le devoir législatif d'assurer à la population un soutien adéquat en matière d'éducation. Quant à la violation des chartes, l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit notamment à tout citoyen canadien le droit de se déplacer, de s'établir et de gagner sa vie dans toute province. On ne peut considérer que les frais de scolarité exigés de l'étudiant canadien ne résidant pas au Québec constituent un frein à la libre circulation ou à l'établissement alors que des frais du même ordre seraient payables si l'appelant étudiait dans sa province d'origine. Étudier n'est pas, au sens de cet article, une activité économique où il y a production de valeur et les règles budgétaires ne contreviennent pas à ses dispositions. Quant à l'article 15 de la charte canadienne, le droit à l'égalité, comme tout droit, n'est pas absolu. Il y a une relation étroite entre le droit à l'égalité et la dignité humaine. Toute distinction n'emporte pas nécessairement une discrimination au sens de l'article 15. Il faut démontrer que le traitement est fondé sur l'un des motifs énumérés ou analogues et que les règles budgétaires ont un objet et un effet discriminatoires. La prétention des appelants voulant que la distinction soit fondée sur un motif énuméré ne peut être retenu. On ne peut prétendre que, dans le contexte politique actuel, le seul fait d'habiter une province particulière confère une nationalité différente par rapport à un résidant d'une autre province. Par ailleurs, il n'est pas question dans le cas présent d'un motif analogue quant à l'objet poursuivi par l'article 15, qui est la préservation de la dignité humaine par l'élimination du traitement discriminatoire. La comparaison entre un étudiant canadien résidant au Québec et un étudiant canadien qui n'y réside pas ne laisse voir aucune discrimination portant atteinte à la dignité humaine. En ce qui a trait au droit à l'égalité prévu à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, il ne s'agit pas d'un droit autonome comme celui de la charte canadienne. Ce droit constitue une modalité des droits et libertés de la personne et, bien que les règles budgétaires créent une distinction, une exclusion ou une préférence, elles ne se fondent pas sur l'un des motifs énumérés à l'article 10, condition essentielle pour être discriminatoire.

En ce qui a trait à une contravention aux règles canadiennes de courtoisie, les règles budgétaires n'ont pas une portée extraterritoriale et ne visent pas l'imposition d'une norme applicable dans un contexte interprovincial. En fait, ces règles tiennent compte de l'appartenance du Québec au Canada. Elles font la distinction entre l'étudiant résidant et l'étudiant étranger dont les frais de scolarité sont de loin supérieurs à ceux des Canadiens non-résidants, lesquels bénéficient de leur appartenance canadienne.


Dernière modification : le 5 août 2022 à 15 h 43 min.