Résumé de l'affaire
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant infirmé un jugement de la Cour supérieure. Accueilli.
En octobre 2006, un accident a endommagé le vilebrequin et l'assise du moteur principal d'un navire appartenant à une entreprise de marine marchande. Celle-ci a choisi d'acquérir un vilebrequin remis à neuf auprès d'un fournisseur. Les parties ont conclu un contrat à Montréal, au Québec, le lieu d'affaires du fournisseur. Le contrat était assorti d'une garantie de six mois, et la responsabilité du fournisseur y était limitée à 50 000 euros. La clause de désignation du droit applicable dans le contrat stipule qu'il devait être régi par les lois en vigueur à l'endroit où est établi le siège social du fournisseur. Bien après l'expiration de la garantie, le moteur principal du navire a subi un bris majeur. L'entreprise de marine marchande a intenté une action contre le fournisseur, fondant sa demande sur un vice caché entachant les pièces de moteur achetées du fournisseur.

La juge de première instance a conclu que le vilebrequin vendu par le fournisseur comportait un vice caché qui avait causé les dommages au navire. Elle a ensuite conclu que le litige était régi par le Code civil du Québec (C.C.Q.), plutôt que par le droit maritime canadien. À son avis, bien que le litige relatif à la vente se rattachait à des activités maritimes, il n'était pas intégralement lié à ces activités. En conséquence, la clause de limitation de responsabilité dans le contrat conclu entre les parties était inexécutoire et le fournisseur était responsable du plein montant des dommages-intérêts. Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont accueilli l'appel en partie. Ils ont conclu que la demande était régie par le droit maritime canadien, et donc que le fournisseur était justifié d'invoquer la clause de limitation de responsabilité qui limitait sa responsabilité à 50 000 euros. L'entreprise de transport maritime se pourvoit devant la Cour.
Décision
MM. les juges Gascon et Rowe et Mme la juge Côté, à l'opinion desquels souscrivent les juges Moldaver, Karakatsanis et Martin: Le Code civil du Québec régit ce litige. En conséquence, le fournisseur ne peut se prévaloir de la clause de limitation de responsabilité qui figure dans le contrat conclu entre les parties. La vente de pièces de moteur de navire destinées à un bâtiment commercial est suffisamment et intégralement liée à la navigation et aux bâtiments ou navires pour relever de la compétence législative fédérale indiquée à l'article 91 paragraphe 10 de la Loi constitutionnelle de 1867 et donc être valablement régie par le droit maritime canadien. Toutefois, l'article 1733 C.C.Q., qui porte sur les clauses de garantie figurant dans les contrats de vente, est également une disposition législative provinciale valablement adoptée qui, de par son caractère véritable, touche à la propriété et aux droits civils aux termes de l'article 92 paragraphe 13 de la Loi constitutionnelle de 1867, et demeure applicable et opérante. La vente de pièces de moteur de navire présente donc un double aspect: un ensemble de règles de droit fédérales de source non statutaire et une disposition législative provinciale visant valablement la même situation de fait se chevauchent. Ni la doctrine de l'exclusivité des compétences ni celle de la prépondérance fédérale n'écartent l'application de l'article 1733 C.C.Q.; il est donc en définitive la disposition qui régit le présent litige, car étant donné que l'article 1733 est un texte législatif, le droit maritime canadien non statutaire ne peut l'emporter sur lui.

Le droit maritime canadien est un ensemble complet de règles de droit fédérales, uniformes partout au Canada, qui a pour objet de régir toutes les demandes en matière maritime et d'amirauté, sous réserve seulement de la portée de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires prévue à l'article 91 paragraphe 10 de la Loi constitutionnelle de 1867. Une grande partie du droit maritime canadien est d'origine non statutaire, c'est-à-dire que ses principes sont tirés de la jurisprudence et des coutumes et qu'il est susceptible d'évoluer au gré de la jurisprudence tant et aussi longtemps qu'il ne sera pas remplacé par une loi fédérale valablement adoptée. Le droit maritime canadien existe en tant qu'ensemble de règles de droit ayant une identité distincte, parallèlement à la common law. Lorsque le droit maritime canadien régit valablement un litige, il forme un ensemble de règles homogènes et universelles qui permet de résoudre tout différend juridique relevant de son champ d'application parce que ses règles sont élaborées par analogie lorsqu'une affaire relève de son champ d'application. Afin d'établir si le droit maritime canadien peut s'appliquer à un litige, il faut se demander si l'affaire relève de la compétence sur la navigation et les bâtiments ou navires prévue à l'article 91 paragraphe 10 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le droit maritime canadien régit toute demande qui est intégralement liée aux affaires maritimes ou d'amirauté. Sa portée non statutaire est établie par la jurisprudence.

Les deux étapes de l'analyse du partage des compétences sont la qualification de la matière en cause et la classification de cette matière en fonction des différents chefs de compétence législative. Cette analyse prend une forme particulière lorsqu'il est question de navigation et de bâtiments ou navires — et plus particulièrement, de droit maritime canadien non statutaire. Lorsqu'il s'agit d'un litige qui peut être régi par le droit maritime canadien, les tribunaux doivent déterminer au cas par cas si le droit maritime canadien peut valablement s'y appliquer. Lorsque le droit maritime canadien prétendument applicable est non statutaire, la qualification est essentielle; il faut qualifier la matière au moyen de l'examen du droit substantiel en cause et de la situation factuelle donnée. Lorsque le litige est d'ordre contractuel, ce qui importe, c'est la nature de l'entente en cause — interprétée à la lumière des modalités et de l'objet du contrat ainsi que des circonstances dans lesquelles il a été conclu. Il faut qualifier la matière avec précision afin que le caractère suffisant du lien avec la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires puisse être correctement évalué. Le contexte maritime en cause doit nécessairement être assez restreint pour qu'il soit possible d'établir, à l'étape de la classification, si la matière relève de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires. Dans la présente affaire, la matière en cause peut être qualifiée, avec la précision nécessaire, de vente de pièces de moteur de navire destinées à un bâtiment commercial.

La deuxième étape, décrite comme la classification, exige que les tribunaux déterminent de quelle «catégorie de sujets» la matière relève. Il peut être nécessaire d'examiner la portée du chef de compétence pertinent. L'application de critères précis énonçant la portée des compétences particulières est plutôt courante et souvent nécessaire au bon fonctionnement du partage des compétences. La compétence du Parlement en matière de navigation et de bâtiments ou navires a été interprétée de façon large pour tenir compte de l'importance nationale de l'industrie maritime, favorisant ainsi l'élaboration de règles uniformes applicables partout au Canada. Toutefois, les vastes compétences du fédéral doivent nécessairement demeurer dans les limites qui s'imposent, surtout lorsqu'elles ont le potentiel d'empiéter considérablement sur les compétences des provinces, comme dans le cas de la navigation et des bâtiments ou navires. Ce chef de compétence n'est pas défini par renvoi à un domaine précis du droit mais vise plutôt des activités. En conséquence, le Parlement peut légiférer, par l'adoption de règles de droit public et par l'adoption de règles de droit privé, de façon à établir le cadre des relations juridiques découlant des activités propres à la navigation et aux bâtiments ou navires, et faire ainsi entrer dans le champ de compétence législative fédérale des matières qui seraient par ailleurs assujetties à la compétence législative provinciale. Dans la mesure où les règles et principes contractuels visent des activités qui font partie intégrante du domaine de la navigation et des bâtiments ou navires, ils peuvent relever de la compétence législative fédérale. Cette interprétation de la compétence législative fédérale vise expressément la navigation et les bâtiments ou navires.

Le test du lien intégral devrait être utilisé pour établir si une matière relève bien de la compétence sur la navigation et les bâtiments ou navires. Il faut en définitive établir si les éléments maritimes de la matière sont suffisants pour que celle-ci soit intégralement liée au chef de compétence sur la navigation et les bâtiments ou navires. Ce test est important pour éviter tout empiétement sur des matières relevant de la compétence législative provinciale et il doit être appliqué rigoureusement pour éviter que la compétence fédérale englobe des matières qui ne se rattachent que vaguement à la navigation et aux bâtiments ou navires. Le test du lien intégral englobe plusieurs facteurs non exhaustifs qui peuvent recevoir une importance différente selon les faits dans un cas donné. En l'espèce, les facteurs pertinents quant au test du lien intégral étayent abondamment l'opinion selon laquelle la vente de pièces de moteur de navire destinées à un bâtiment commercial est intégralement liée à la navigation et aux bâtiments ou navires.

La conclusion selon laquelle le droit maritime canadien peut régir valablement un litige ne met pas fin à l'analyse lorsqu'il y a chevauchement avec une règle provinciale. L'analyse du partage des compétences qui s'articule autour de la conception moderne du fédéralisme exprimée par la Cour dans l'arrêt Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta (C.S. Can., 2007-05-31), 2007 CSC 22, SOQUIJ AZ-50435443, J.E. 2007-1068, [2007] R.R.A. 241 (rés.), [2007] 2 R.C.S. 3, s'applique au chevauchement entre la compétence sur la navigation et les bâtiments ou navires et la compétence provinciale, tout comme elle s'applique aux autres catégories de sujets énumérés dans la Loi constitutionnelle de 1867. La théorie du double aspect reconnaît que des situations de fait identiques peuvent être réglementées suivant des perspectives différentes, l'une relevant d'une compétence provinciale et l'autre, d'une compétence fédérale. La compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires n'est pas étanche et demeure assujettie à cette conception souple du partage des compétences. Un texte législatif provincial valide pourra avoir des effets accessoires sur un chef de compétence fédérale à moins qu'il soit conclu que la doctrine de l'exclusivité des compétences ou celle de la prépondérance fédérale s'applique. Il s'ensuit que ces doctrines doivent s'appliquer à la navigation et aux bâtiments ou navires de la même façon que dans tous les cas de partage des compétences.

La vente de marchandises est une matière qui relève clairement de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils prévue à l'article 92 paragraphe 13 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le simple fait que cette matière, dans le contexte de la vente de pièces de moteur de navire, relève également de la compétence relative à la navigation et aux bâtiments ou navires ne compromet pas la validité des dispositions pertinentes du Code civil du Québec. Dans la présente affaire, la vente de pièces de moteur de navire destinées à un bâtiment commercial peut être abordée à la fois selon la perspective générale de la réglementation de la vente de marchandises, qui constitue un exercice de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils, et selon la perspective plus étroite de l'exercice de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires. Les deux ensembles de règles et de principes contractuels sont donc valides.

Suivant la doctrine de l'exclusivité des compétences, le contenu essentiel des chefs de compétence exclusive prévus dans la Loi constitutionnelle de 1867 peut être protégé contre les effets d'une loi valablement adoptée par l'autre ordre de gouvernement. S'il est conclu que la doctrine s'applique, les dispositions contestées demeurent valides, mais sont déclarées inapplicables aux matières qui relèveraient du contenu essentiel de la compétence exclusive de l'autre ordre de gouvernement. Pour que la doctrine s'applique, la disposition contestée doit empiéter sur le contenu essentiel d'un chef de compétence exclusive prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867 et cet empiétement doit entraver l'exercice d'une activité relevant du contenu essentiel du chef de compétence. Il est essentiel de définir les éléments essentiels et vitaux du chef de compétence en cause en se reportant à la jurisprudence. Le contenu essentiel du chef de compétence est nécessairement plus étroit que la portée de la compétence, qui ressort ici du test du lien intégral. Le contenu essentiel de la navigation et des bâtiments ou navires ne s'applique pas aux questions contractuelles soulevées par la demande en question, car il n'est pas essentiel à l'exercice de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires qu'un seul ensemble de règles de droit — le droit maritime canadien — réglemente les contrats de vente d'équipement destiné à un navire commercial. L'exclusivité des compétences ne s'applique donc pas en l'espèce.

Selon la doctrine de la prépondérance fédérale, lorsque des lois provinciales et fédérales valides sont incompatibles, la loi fédérale l'emporte et la loi provinciale est déclarée inopérante dans la mesure du conflit. La doctrine de la prépondérance fédérale vise à ce que l'intention du législateur fédéral l'emporte en cas de conflit avec une loi provinciale valide. Cependant, le fait que des règles créées par des tribunaux aient préséance sur une loi valide perturberait l'interaction qui doit exister dans les régimes de common law entre les règles créées par les tribunaux et celles adoptées par les autorités législatives. Il serait donc contraire à l'objet de la doctrine de la prépondérance fédérale de déclarer que les règles non statutaires du droit maritime canadien peuvent l'emporter sur des lois provinciales valides. La prépondérance de l'intention législative fédérale sur l'intention législative provinciale dans certaines circonstances ne peut s'étendre aux règles de droit élaborées par les tribunaux ayant compétence en matière d'amirauté au Canada. Puisque les règles du droit maritime canadien qui pourraient être applicables en l'espèce sont non statutaires, la présente affaire ne présente pas de conflit entre une loi provinciale et une loi fédérale qui ferait intervenir la doctrine de la prépondérance fédérale. L'article 1733 C.C.Q. est donc opérant et régit le litige opposant l'entreprise de transport maritime et le fournisseur.

M. le juge en chef Wagner et M. le juge Brown, à l'opinion desquels souscrit la juge Abella: Il y a accord avec la majorité pour dire que le Code civil du Québec régit les demandes de l'entreprise de marine marchande et que le pourvoi devrait donc être accueilli. Toutefois, les questions sur le partage des compétences soulevées dans le présent pourvoi doivent être tranchées de la même manière qu'elles le sont relativement à tout autre chef de compétence, soit au moyen de l'application du critère du caractère véritable. Bien que la demande en l'espèce touche à des questions relatives à la navigation et aux bâtiments ou navires, elle concerne, de par son caractère véritable, une matière relevant de la propriété et des droits civils, à l'égard de laquelle l'Assemblée nationale du Québec a le pouvoir exclusif de légiférer. En conséquence, par application des articles 1729 et 1733 C.C.Q., le fournisseur, en tant que «vendeur professionnel», ne peut se prévaloir de la clause de limitation de responsabilité et l'entreprise de marine marchande est en droit de recevoir la totalité du montant convenu des dommages-intérêts.

Le critère du caractère véritable s'applique pour établir si une matière relève de la compétence sur la navigation et les bâtiments ou navires prévue à l'article 91 paragraphe 10 de la Loi constitutionnelle de 1867, tout comme il s'applique pour établir si une matière relève de tout autre chef de compétence. L'application du critère du caractère véritable commence normalement par la qualification de la loi ou de la disposition contestée afin qu'elle soit rattachée à un chef de compétence car, dans la plupart des affaires, les tribunaux sont appelés à examiner une loi édictée par le Parlement ou une législature provinciale, et le litige opposant les parties porte sur la question de savoir si cette loi relève ou non de la compétence de l'organisme qui l'a adoptée. Cependant, lorsque, comme en l'espèce, il n'est pas question d'une loi qui doit être rattachée à l'un ou l'autre de ces chefs de compétence mais plutôt d'une demande en dommages-intérêts pour la perte de profits, l'analyse du partage des compétences exige la détermination de la matière de la demande, qu'il faut rattacher à l'un des chefs de compétence énoncés dans la Constitution. Que la matière soit soulevée par une loi ou par une demande ne change pas l'ordre de gouvernement qui a le pouvoir constitutionnel de légiférer à l'égard de cette matière. Dans bien des cas, le fait de dégager la matière en cause permettra de la rattacher sans difficulté à un chef de compétence. Il est souvent nécessaire d'examiner la demande, plutôt qu'une loi, pour déterminer la matière en cause dans les cas où une partie allègue que la matière relève du pouvoir du Parlement sur la navigation et les bâtiments ou navires, étant donné qu'une bonne partie du droit sur lequel se fondent les parties et les tribunaux dans les affaires portant sur la navigation et les bâtiments ou navires n'est pas de nature législative. Il y a désaccord avec les juges majoritaires pour dire que la question porte sur la compétence à l'égard d'un ensemble de règles de droit substantiel plutôt que sur la compétence à l'égard d'une demande. Les juges majoritaires analysent le litige entre les parties (c.-à-d. le droit appliqué aux faits), qui est indissociable de la qualification d'une demande et entraîne le même examen.

Après avoir établi la matière en cause, le tribunal doit déterminer l'ordre de gouvernement qui a compétence pour légiférer à l'égard de celle-ci. Toutefois, selon ces décisions — sur la matière en cause et sur l'ordre de gouvernement qui a compétence — il est possible que l'analyse du droit applicable ne soit pas terminée. Le recours aux doctrines constitutionnelles, comme celle de la prépondérance et celle de l'exclusivité des compétences, pourrait être nécessaire. Ces doctrines constitutionnelles s'appliquent aux matières qui relèvent de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires, comme elles s'appliquent à toute matière qui relèverait d'un autre chef de compétence.

L'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales ne définit pas, et ne peut définir, l'étendue de la compétence législative du Parlement sur la navigation et les bâtiments ou navires. Il constitue simplement une attribution de compétence que le Parlement accorde à la Cour fédérale. Bien que le droit maritime canadien soit un ensemble de règles de droit fédérales qui s'appliquent aux matières relevant de l'article 91 paragraphe 10 de la Loi constitutionnelle de 1867, c'est le chef de compétence lui-même — c.-à-d., la navigation et les bâtiments ou navires — qui délimite la compétence fédérale. Ce n'est pas parce qu'une affaire survient dans un contexte maritime qu'elle se rattache automatiquement à la navigation et aux bâtiments ou navires. Bien que l'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales représente l'opinion réfléchie du législateur sur ce qui constitue le «droit maritime canadien», on ne peut affirmer qu'il énonce la teneur de la compétence législative du Parlement sur la navigation et les bâtiments ou navires prévu à l'article 91 paragraphe 10. Il ne définit pas le droit maritime canadien et ne crée pas de règle de droit applicable. L'analyse du partage des compétences ne prend pas fin simplement parce qu'il peut être démontré qu'une demande relève de l'article 22 (2) de la Loi sur les Cours fédérales; une simple attribution de compétence à la Cour fédérale est inefficace s'il n'existe pas un ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l'attribution législative de compétence. Le Parlement ne peut, au moyen d'une loi, définir la portée de sa compétence législative de manière à écarter l'application du critère du caractère véritable, en tant que moyen d'établir si une matière relève ou non de cette compétence législative. L'attribution législative de compétence à la Cour fédérale n'a donc aucune valeur juridique dans l'analyse du partage des compétences.

Lorsqu'une matière relève de la compétence législative du Parlement sur la navigation et les bâtiments ou navires, il n'y a aucune raison logique d'appliquer un critère différent fondé sur la démonstration de l'existence d'un lien intégral avec le droit maritime canadien. L'analyse du partage des compétences comporte toujours l'application du critère du caractère véritable. On ne peut appliquer le critère du caractère véritable pour établir si une matière relève de la compétence législative provinciale et appliquer un autre critère pour établir si cette même matière relève de la compétence législative fédérale. L'analyse du partage des compétences est une seule décision, prise en fonction d'un critère unique, qui déterminera de quels chefs de compétence relève la matière en cause. Le critère du lien intégral superpose un test supplémentaire au critère du caractère véritable; il ne se rapporte pas à la question de savoir si une activité précise relève de l'article 91 paragraphe 10, mais plutôt à la profondeur du lien entre cette activité et la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires. Un tel critère n'existe pas pour les autres chefs de compétence, et un tel critère ne devrait pas être appliqué pour décider si une matière relève de la compétence législative du Parlement sur la navigation et les bâtiments ou navires.

Le souci d'uniformité ne peut pas guider l'analyse du partage des compétences. L'uniformité du droit maritime est un facteur important pour déterminer l'étendue de la compétence législative du Parlement en matière de navigation et de bâtiments ou navires. Il guide la manière dont sont traitées les matières qui relèvent de chefs de compétence fédérale, particulièrement lorsque les lois qui régissent de telles matières doivent nécessairement s'appliquer dans toutes les provinces. Cependant, le souci d'uniformité ne guide pas l'analyse préalable sur la question de savoir si les matières relèvent même de ces chefs de compétence. Le souci du traitement uniforme des matières qui relèvent d'un chef de compétence fédérale comme la navigation et les bâtiments ou navires ne peut toujours s'imposer, de manière à écarter les lois provinciales d'application générale. L'article 91 paragraphe 10 n'est pas une disposition étanche qui confère compétence aux lois fédérales, dont l'application ne peut être accessoirement touchée par les chefs de compétence provinciale. Une telle interprétation de l'article 91 paragraphe 10 irait carrément à l'encontre de la jurisprudence de la Cour sur le fédéralisme, et des réalités contemporaines de la fédération canadienne. La Cour a jugé que le droit privilégie, dans la mesure du possible, l'exercice concurrent du pouvoir par les deux ordres de gouvernement. Il y a de la place pour l'application des lois provinciales dans le contexte maritime. Bien que cela restreigne considérablement le rôle que joue la doctrine de l'exclusivité des compétences dans l'analyse du partage de ces dernières, il n'y a pas lieu de s'en inquiéter. La doctrine de l'exclusivité des compétences ne devrait pas être la première doctrine examinée dans le cadre d'un différend sur le partage des compétences — une application large du principe de l'exclusivité des compétences est contraire au fédéralisme souple et ne tient pas compte des inévitables chevauchements de compétences.

Le recours au courant dominant du caractère véritable devrait être privilégié au lieu du recours à la doctrine de l'exclusivité des compétences, qui n'est qu'un contre-courant de la jurisprudence sur le fédéralisme. Tenter de définir le contenu essentiel d'une compétence fédérale présente des dangers, particulièrement dans le contexte de chefs de compétence fédérale larges et généraux qui s'appliquent à de nombreuses activités. Les tribunaux doivent donc être particulièrement prudents lorsqu'ils tentent de définir le contenu essentiel de la compétence sur la navigation et les bâtiments ou navires, puisque le chef de compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires est incontestablement large. La doctrine de l'exclusivité des compétences risque de créer une grave incertitude, et le Parlement peut toujours légiférer de manière suffisamment précise pour que les personnes assujetties n'aient aucun doute sur l'application de la législation provinciale.

Bien que l'étendue de la compétence législative accordée au Parlement en matière de navigation et de bâtiments ou navires soit indéniablement vaste, les tribunaux doivent prendre soin de veiller à ce qu'elle n'englobe pas les matières qui relèvent de la compétence législative provinciale, que ce soit relativement à la propriété et aux droits civils ou à d'autres chefs de compétence provinciale. La première étape pour établir la matière dont il est question dans la demande de l'entreprise de marine marchande consiste à qualifier la nature du contrat. Les demandes dans cette affaire se rapportent aux modalités contractuelles convenues par les parties aux termes d'un contrat de vente de marchandises. Pour cette raison, la matière en cause est la vente de marchandises, bien qu'elle ait eu lieu dans le contexte maritime. Cette qualification est conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour. Dans les affaires qui portent sur la question de savoir si une matière relève des articles 91 paragraphe 10 ou 92 paragraphe 13 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour a défini à maintes reprises la matière comme étant un domaine particulier de droit privé dans le contexte maritime. Cette qualification reflète également le degré approprié de précision.

La jurisprudence canadienne dominante appuie la conclusion selon laquelle la vente de marchandises, même dans le contexte maritime, est, en raison de son caractère véritable, une matière qui relève de la compétence conférée aux législatures provinciales en vertu de l'article 92 paragraphe 13. La vente de marchandises dans le contexte maritime ne faisait pas partie de l'ensemble historique de règles de droit appliquées par les cours d'amirauté d'Angleterre. Il n'y a rien de particulièrement «maritime» concernant la vente de marchandises qui nécessiterait qu'elle tombe sous le coup de la compétence législative du Parlement. La vente de marchandises n'implique pas le transport sécuritaire de marchandises, le transport maritime, la navigabilité du navire, la bonne navigation ou les conventions maritimes internationales, et il n'existe pas non plus de règles de procédure spéciales régissant la vente de marchandises dans le contexte maritime qui bénéficieraient d'une application uniforme dans tous les ressorts. Lorsque les provinces ont élaboré un ensemble exhaustif de règles de droit régissant la vente de marchandises, la Cour ne dispose d'aucune raison valable de l'écarter simplement parce que la demande découlant d'une vente précise comporte un certain lien avec les activités maritimes. Une telle définition large d'un chef de compétence fédérale serait contraire à la source principale de compétence législative provinciale visant la réglementation du commerce local et des échanges et, en conséquence, au partage constitutionnel des pouvoirs, qui est la principale expression textuelle dans la Constitution du Canada du principe du fédéralisme. En conséquence, la demande dans cette affaire soulève une question qui est, en raison de son caractère véritable, une matière relevant de la propriété et des droits civils, qui relève de la compétence législative exclusive dont sont investies les législatures provinciales en vertu de l'article 92 paragraphe 13, et les dispositions du Code civil du Québec, notamment les article 1729 et 1733, régissent le litige. Étant donné que la demande concerne une question qui, de par son caractère véritable, relève uniquement de l'article 92 paragraphe 13, il n'est pas nécessaire d'examiner l'applicabilité de la doctrine de la prépondérance ou de celle de l'exclusivité des compétences.


Dernière modification : le 14 août 2022 à 16 h 38 min.