Résumé de l'affaire

Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant confirmé une décision de la Cour supérieure qui avait accueilli une demande en réception de l'indu. Rejeté, avec dissidence.
Le 10 septembre 2007, R., un retraité, décide d'aller faire une promenade près de chez lui. Tragiquement, il ne revient jamais et on ne peut le retrouver. À compter de sa disparition, R. devient un absent au sens de l'article 84 du Code civil du Québec (C.C.Q.) et T., son ancienne conjointe de fait, sa légataire universelle et la liquidatrice de sa succession, est nommée tutrice à R. La présomption de vie établie à l'article 85 C.C.Q. oblige l'ancienne employeuse de R. à continuer de lui verser des prestations de retraite malgré sa disparition, car les modalités de son régime de retraite prévoient le versement de prestations jusqu'à son décès. Presque six ans après la disparition de R., ses restes sont découverts. Le décès a été consigné à l'acte de décès comme étant survenu le lendemain de sa disparition. L'ancienne employeuse de R. demande alors le remboursement du montant des prestations versées à R. entre le jour de sa disparition et la date du dernier versement. Le juge de première instance statue que les paiements faits après la date consignée de décès doivent être considérés comme indus — car les trois conditions auxquelles il doit être satisfait pour établir le bien-fondé d'une demande en réception de l'indu sont réunies — et peuvent faire l'objet de restitution. La Cour d'appel confirme pour l'essentiel la décision du juge de première instance.

Décision

M. le juge en chef Wagner et M. le juge Gascon, à l'opinion desquels souscrivent les juges Abella, Karakatsanis, Rowe et Martin: Le régime de retraite prévoit sans équivoque la cessation du versement des prestations à la date du décès réel de R., et non à la date à laquelle son décès est officiellement reconnu. Devant le sens clair du libellé du régime, R. n'avait pas droit à des prestations après le mois de son décès. La réfutation de la présomption de vie a fait disparaître rétroactivement le droit de R. aux prestations de retraite versées alors qu'il avait la qualité d'absent. Puisque le fondement juridique des paiements a disparu, la demande de l'ancienne employeuse de R. pour la restitution de l'indu en application de l'article 1491 C.C.Q. doit être accueillie: suivant une appréciation rétrospective, les paiements ont été faits par erreur et en l'absence de dette.

Selon le Code civil du Québec, l'absent est celui qui, alors qu'il a son domicile au Québec, cesse d'y paraître sans donner de nouvelles, et sans que l'on sache s'il vit encore. Le régime québécois actuel de l'absence est une innovation relativement récente et il marque un virage fondamental du droit québécois classique en la matière. L'absent n'est plus considéré comme n'étant ni vivant ni mort. L'article 85 C.C.Q. dispose plutôt que l'absent est présumé vivant durant les sept années qui suivent sa disparition, à moins que son décès ne soit prouvé avant l'expiration de ce délai, et il jouit de la pleine personnalité juridique durant cette période. Si la preuve du décès est faite à l'intérieur du délai de sept ans à compter de la disparition, auquel cas la présomption de vie est repoussée, les droits et les obligations qui reposent sur l'existence continue de l'absent alors qu'il est présumé vivant sont rétroactivement éteints à partir de la date réelle du décès.

Le libellé de l'article 85 ne nous fournit que quelques indications sur la question de la rétroactivité: l'article prévoit que l'absent est présumé vivant durant sept ans à moins que son décès ne soit prouvé avant l'expiration de ce délai, et non jusqu'à ce que son décès soit prouvé. Toutefois, cet indice textuel que la réfutation de la présomption de vie a un effet rétroactif est renforcé par des considérations plus larges. Premièrement, l'article 85 dispose clairement que la présomption de vie sera repoussée si le décès est prouvé à l'intérieur du délai de sept ans. La présomption de vie est donc une présomption simple, c'est-à-dire une présomption légale de fait d'une durée de sept années qui peut être repoussée par une preuve contraire ou confirmée par le retour de l'absent. L'article 85 protège l'absent pendant une période limitée — mais en établissant une présomption simple, il ne crée pas de droits permanents en faveur de l'absent. Lorsque la présomption est repoussée, elle disparaît et est remplacée par la réalité. Aucune disposition du Code civil du Québec n'oblige à faire abstraction de cette réalité ou à permettre à la personnalité juridique de continuer après la mort. Il faudrait une disposition explicite du Code civil du Québec pour faire ainsi abstraction de la réalité. Contrairement au Code civil français, lequel renferme une disposition expresse prévoyant que la réfutation de la présomption de vie s'applique prospectivement, le Code civil du Québec ne contient aucune disposition semblable.

Deuxièmement, lorsque, dans d'autres parties du régime de l'absence, le Code civil du Québec veut que l'on fasse abstraction de la réalité, il l'énonce expressément. En particulier, le mécanisme du jugement déclaratif de décès représente clairement un cas où une fiction juridique l'emportera sur le véritable état des choses pour donner priorité à la certitude. Dans ce cas, le Code civil du Québec permet de prononcer un jugement déclaratif de décès, que la mort de l'absent puisse être tenue pour certaine ou non, lorsque la présomption de vie n'est ni confirmée ni repoussée dans les sept années qui suivent la disparition de l'absent. Inversement, la présomption de vie est un mécanisme qui protège avant tout les intérêts de l'absent dans l'espoir de son retour, mais qui permet au véritable état des choses de prévaloir quand cette issue n'est plus possible. Le législateur québécois, en établissant le régime de l'absence, a choisi un délai de sept ans comme point clé à partir duquel on permet à une fiction juridique de l'emporter à la plupart des égards sur le véritable état des choses.

Troisièmement, la rétroactivité est conforme aux objectifs de la présomption de vie: conférer de la stabilité à ce qui serait autrement un état des choses nébuleux et incertain et protéger les intérêts de l'absent. La réalisation de ces deux objectifs est favorisée si la présomption est repoussée avec effet rétroactif. Une approche prospective déborde largement ces objectifs. Le fait que la rétroactivité mène à une certaine incertitude à l'égard d'un petit sous-ensemble d'opérations ou de circonstances n'a pas pour effet de renverser ou de miner la stabilité des opérations que vise la présomption de vie. À l'inverse de l'ancien régime de l'absence, les deux phases distinctes du régime actuel de l'absence offrent une simplicité et une stabilité qui permettent d'effectuer des opérations sans controverse et sans un ensemble de règles complexe. Même si une approche prospective protégeait les intérêts de l'absent, elle transformerait par ailleurs la présomption en une source de droits substantiels pour enrichir la succession de l'absent.

Quatrièmement, en considérant que la réfutation de la présomption a un effet rétroactif, on fait en sorte qu'à l'intérieur du délai de sept ans, les personnes intéressées ne reçoivent que ce à quoi elles ont droit, conformément au véritable état des choses. À l'inverse, si la réfutation de la présomption n'avait qu'un effet prospectif, il serait impossible de restituer les paiements qui reposaient sur l'existence de l'absent et qui ont été versés alors que l'absent était, en réalité, mort en fait et en droit. Une approche prospective produirait des gains fortuits que le régime de l'absence ne vise pas à procurer.

Parce que la plupart des obligations doivent être acquittées que l'absent soit vivant ou non, la réfutation n'aura aucune incidence sur la majorité des affaires de l'absent pendant la période d'absence. Toutefois, il existe un petit sous-ensemble d'opérations qui sont touchées lorsque la présomption de vie est repoussée — à savoir les paiements qui sont reçus ou faits en raison de l'existence présumée de l'absent pendant la période de l'absence. Le fondement même de ces types d'obligations, qui sont directement liés à l'existence continue et reposent directement sur celle-ci, disparaît rétroactivement. Il n'y a aucune voie directe entre la réfutation de la présomption de vie et les dispositions qui traitent de la restitution des prestations. Néanmoins, le recours en réception de l'indu est recevable en pareil cas même si certains des éléments que requiert ce recours ne sont pas présents au moment du paiement, mais se manifestent plus tard.

Une demande de restitution de l'indu fondée sur l'article 1491 C.C.Q. comprend trois éléments essentiels: (1) il doit y avoir un paiement; (2) le paiement doit être fait en l'absence de dette entre les parties; et (3) le paiement doit être fait par erreur ou en protestant pour éviter un préjudice. Lorsque ces trois conditions sont réunies, il peut y avoir restitution en application de l'article 1492 C.C.Q., conformément aux règles de la restitution des prestations. La condition d'absence de dette est essentielle à l'analyse. C'est l'absence de dette qui rend un paiement «indu». Toutefois, la simple absence de dette entre les parties ne suffit pas. Le paiement doit en outre avoir été fait par erreur ou en protestant. Lorsqu'il n'y a, en fait, aucune obligation, la personne qui paie est généralement dans l'erreur. Dès lors que la payeuse a prouvé l'absence de dette, il incombe à la bénéficiaire de prouver que le paiement résultait d'une intention libérale. Si la bénéficiaire ne peut prouver que la payeuse effectue un paiement tout en sachant qu'il n'y a aucune obligation de le faire, le paiement est réputé fait par erreur et indu. L'erreur empêche de se servir de l'article 1491 C.C.Q. comme outil afin d'imposer unilatéralement à autrui de payer pour des services sous le prétexte d'une demande de restitution.

Dans les circonstances, l'article 1491 C.C.Q. commande l'approche rétrospective. Les conditions de la réception de l'indu doivent être appréciées rétrospectivement à l'époque de la demande et en connaissance du véritable état des choses. S'il y avait une dette à un moment donné mais dont le fondement a disparu par la suite, l'existence de la dette doit être déterminée rétrospectivement. Pour réaliser les objectifs du régime de restitution, le tribunal doit se demander si le fondement de cette dette est demeuré intact au moment de la demande. Une conception rétrospective de l'article 1491 C.C.Q. s'harmonise parfaitement avec le cadre et les objectifs plus larges d'outils de restitution semblables que l'on trouve ailleurs dans le Code civil du Québec. Tous ces outils ont un dénominateur commun: un paiement est fait en exécution d'une obligation tout à fait valide et véritable qui disparaît par la suite en raison d'un événement subséquent. La restitution devient possible à la suite d'un événement imprévu ou anormal. Rien n'indique que l'article 1491 C.C.Q. fonctionne différemment de ces autres mécanismes de restitution semblables. L'appréciation de l'absence de dette à l'époque du paiement en pareil cas aurait pour effet de contrecarrer les objectifs de l'article 1491 C.C.Q. et d'en faire une anomalie dans l'ensemble plus large des mécanismes de restitution prévus dans le Code civil du Québec. Sans rétrospectivité, des paiements autrefois valides seraient mis à l'abri pour toujours et les parties seraient incapables de recouvrer des paiements indus, ce qui permettrait à des paiements et à des gains fortuits de se retrouver hors de portée de la disposition.

MM. les juges Côté et Brown, à l'opinion desquels souscrit le juge Moldaver, dissidents: Il y a lieu d'accueillir le pourvoi. Rien dans le Code civil du Québec ne justifie que l'on ordonne à la tutrice de restituer les sommes d'argent reçues de l'ancienne employeuse; la réfutation de la présomption de vie signifiait l'extinction de l'obligation de l'ancienne employeuse seulement à l'égard des versements de prestations en cours (c'est-à-dire futurs). Les articles 1491 et 1492 C.C.Q. ne peuvent être ajustés pour permettre aux tribunaux de remonter dans le temps et conclure que les paiements de l'ancienne employeuse à l'absent ont été faits par erreur, ce qui a pour effet d'annuler des droits et des obligations qui étaient validement exigibles au moment où ils ont été exécutés. La demande de restitution de l'ancienne employeuse fondée sur les dispositions du Code civil du Québec en matière de réception de l'indu doit donc être rejetée.

La réfutation de la présomption établie à l'article 85 C.C.Q. ne saurait avoir d'effets rétroactifs sur les droits et obligations substantiels de l'absent. Si la preuve du décès de l'absent est faite avant l'expiration du délai de sept ans, la présomption de vie n'est repoussée que prospectivement, si bien qu'aucun droit ou obligation reposant sur l'existence de l'absent ne peut être revendiqué ou exécuté pour l'avenir, c'est-à-dire pour le reste de la période de sept ans.

Une approche prospective cadre avec les modifications apportées au régime de l'absence entre le Code civil du Bas-Canada (où l'incertitude persistait pendant toute la période de 30 ans d'absence et faisait en sorte qu'il était impossible pour quiconque de revendiquer un droit échu à l'absent pendant cette période) et le Code civil du Québec (où la présomption de vie procure de la certitude pendant la période d'absence de sept ans et fait en sorte que les droits et obligations de l'absent sont valides jusqu'à ce que la présomption soit repoussée). Le régime de l'absence du Code civil du Bas-Canada était indument complexe, rigide et surtout — truffé d'incertitude persistante. Les difficultés concernant le régime ont mené à des révisions. Selon le Code civil du Québec, l'absent est automatiquement présumé vivant durant les sept années qui suivent sa disparition. La présomption de vie prévue à l'article 85 représentait un changement important au droit de l'absence au Québec. C'est cette présomption qui favorise la certitude en faisant en sorte que les absents soient aptes à recueillir des droits et à être tenus d'obligations. Celui qui revendique le droit de réclamer des prestations de retraite pendant une absence n'a plus à prouver que l'absent était, en fait, vivant à l'époque où le droit lui était échu. Il suffit d'établir que l'absent était présumé vivant en droit au moment où le droit lui a échu pour qu'il acquière ce droit pendant son absence. Que ce soit au moyen de l'exécution forcée par ordonnance du tribunal ou de l'exécution volontaire par une personne tenue de respecter la loi, les droits et obligations de l'absent bénéficient d'une présomption absolue de validité tant que la présomption de vie produit ses effets.

La présomption de vie cesse de s'appliquer après sept années d'absence, puisqu'elle est remplacée par la présomption du décès de l'absent. Pour obtenir un jugement déclaratif de décès sept ans après la disparition de l'absent, il n'est pas nécessaire de faire la preuve concluante du décès de l'absent, justement parce que l'absent est alors présumé décédé; il suffit de prouver l'absence de la personne et le fait que l'absence a duré sept ans à compter de la disparition. Ce changement au droit de l'absence a rapproché le droit québécois du droit allemand et du droit français. Une autre révision particulièrement importante était que la présomption de décès court à compter du jugement déclaratif de décès, et non pas à compter de la disparition de l'absent. La date du décès est fixée à l'expiration de sept ans à compter de la disparition. La présomption de décès et le jugement déclaratif de décès n'ont pas pour effet d'écarter la présomption de vie qui était en vigueur pendant la période d'absence de sept ans. Si la date du départ de l'absent était peut-être moins arbitraire pour fixer son décès, celle du jugement déclaratif de décès était plus certaine. Le caractère rétroactif de la présomption de décès a été rejeté parce qu'il aurait pour effet de valider tous les actes irréguliers faits depuis le départ de l'absent. Cette règle générale de non-rétroactivité de la présomption de décès n'est l'objet que d'exceptions explicites.

Une approche prospective s'accorde également avec la présomption de longue date de non-rétroactivité en matière d'interprétation statutaire. Puisque le libellé de l'article 85 ne nous fournit que quelques indications et que le texte de l'article 85 et le contexte du Code civil du Québec ne prévoient pas expressément la rétroactivité ni ne militent en faveur de celle-ci, le point de départ devrait être la présomption de longue date de non-rétroactivité. La rétroactivité doit avoir pour assise l'intention claire du législateur. À l'inverse, pour conclure que la présomption de vie opère prospectivement, une disposition expresse n'est pas nécessaire. Les effets rétroactifs de la réfutation de la présomption de décès et de l'annulation du jugement déclaratif de décès sur les droits et obligations substantiels sont expressément prévus dans le Code civil du Québec. Cela contraste nettement avec le silence absolu du Code civil du Québec sur la question de savoir si la présomption de vie peut ou non être repoussée avec des effets rétroactifs sur les droit et obligations substantiels de l'absent. On ne peut tout simplement pas inférer d'une exception une règle générale de rétroactivité pour toutes les fins chaque fois que la date réelle du décès est connue. L'absence de texte législatif exprès commandant l'application rétroactive de la réfutation de la présomption de vie ne milite pas en faveur de la rétroactivité, mais plutôt contre elle. La primauté du droit exige, en règle générale, que des changements de situation subséquents n'aient aucune incidence sur les droits et obligations tels qu'ils existent à un moment donné.

Une approche prospective s'accorde en outre avec les régimes de l'absence français et allemand. Les régimes québécois et français s'inspirent tous les deux du modèle germanique, et chacun arrive manifestement à des résultats semblables sur des questions semblables. Vu qu'ils s'inspirent tous les deux du même modèle germanique, on s'attendrait à ce que le Code civil du Québec mène à un résultat semblable à celui du Code civil français, lequel prévoit expressément que les droits acquis sans fraude sur le fondement de la présomption d'absence ne sont pas remis en cause lorsque le décès de l'absent vient à être établi ou judiciairement déclaré, quelle que soit la date retenue pour le décès. La présence, dans le Code civil du Québec, d'une disposition équivalente à celle du Code civil français est inutile et, d'ailleurs, superflue, en raison de l'existence d'une disposition claire prévoyant en termes exprès une présomption de vie. En l'absence de disposition expresse appuyant une approche rétrospective, il n'y a aucune raison d'isoler le Québec du reste du monde civiliste et de la tendance européenne de laquelle s'est inspiré le Code civil du Québec au moment de son adoption.

Enfin, une approche prospective est conforme aux trois objectifs du régime de l'absence et au rôle du tuteur, et des tiers liés, dans l'atteinte de ces objectifs, voire commandée par ces objectifs et ce rôle. La présomption de vie a pour but, pendant qu'elle est en vigueur, de conférer de la certitude et de la stabilité à ce qui serait autrement un état des choses nébuleux et incertain. Un état des choses précaire, introduit dans le régime de l'absence si la présomption de vie est réfutable avec des effets rétroactifs, est tout simplement incompatible avec l'état des choses certain que le régime de l'absence en général et la présomption de vie en particulier étaient censés permettre d'atteindre. En interprétant le Code civil du Québec d'une manière qui reflète le véritable état des choses, on sacrifie la certitude — un objectif important du régime de l'absence — sur l'autel de la justesse. Ne sachant pas si le revenu aura peut-être à être rendu à un moment donné dans le délai de sept ans, le tuteur ne peut pas honorer en toute confiance les obligations de l'absent, surtout les obligations qui ne pourraient pas être l'objet d'une ordonnance de restitution en faveur de l'absent si la présomption de vie est réfutable avec des effets rétroactifs. Cela mine le deuxième objectif du régime de l'absence en général et de la présomption de vie en particulier, à savoir de protéger les intérêts de l'absent en les préservant dans l'éventualité de son retour. L'imposition d'effets rétroactifs sur les droits de l'absent paralyse le tuteur, qui ne peut plus en toute sécurité employer les rentrées d'argent de l'absent pour acquitter ses obligations à mesure qu'elles arrivent à échéance, faisant ainsi obstacle aux objectifs du régime. Elle représente l'antithèse de la certitude que le régime de l'absence était censé procurer, et elle mine le rôle dévolu au tuteur dans la gestion des affaires de l'absent. Suivant une approche rétrospective, les tiers ne peuvent plus employer en toute sécurité les sommes d'argent qu'ils touchent, parce que s'il est découvert que l'absent était de fait décédé au cours de la période de sept ans, ces sommes doivent être rendues. Pareille approche constitue non seulement une abrogation judiciaire de la présomption de vie en ce qui concerne les droits de l'absent, elle constitue également une abrogation inacceptable du même ordre en ce qui concerne les obligations de l'absent. Si éviter des gains fortuits en faveur de la succession de l'absent était une préoccupation qui sous-tend le régime de l'absence, le législateur aurait édicté — à l'expiration du délai de sept ans et sans retour de l'absent — une présomption de décès rétroactive au jour de la disparition, et le droit aurait exigé que la date du décès soit fixée, non pas à l'expiration de sept ans à compter de la disparition, mais à la date de la disparition. Par conséquent, éviter que la succession de l'absent touche des gains fortuits n'est tout simplement pas une préoccupation qui sous-tend le régime de l'absence. D'occasionnels gains fortuits sont un effet inévitable de l'objectif de certitude qui imprègne l'ensemble du régime de l'absence. De plus, l'utilisation du terme «gain fortuit» ne tient pas compte de la source du droit — un droit acquis sans fraude.

L'ajustement des exigences classiques de l'article 1491 C.C.Q. est rendu nécessaire suivant l'approche rétrospective afin de résoudre le problème que pose la conclusion selon laquelle la présomption de vie peut être repoussée avec des effets rétroactifs sur les droits et obligations substantiels de l'absent, car l'article 85 ne crée pas expressément d'obligation de restitution. Il s'agit d'une dérogation au droit existant et à la jurisprudence. Les trois conditions qui doivent être satisfaites avant qu'une personne qui reçoit un paiement doive le restituer à la personne qui l'a fait doivent habituellement être interprétées avec prudence, sinon restrictivement. En l'absence de tout recours, le mécanisme qu'il convient d'employer pour indemniser la personne appauvrie aux dépens de laquelle une autre personne s'est enrichie est l'action en enrichissement injustifié — et non un ajustement des exigences de l'article 1491 C.C.Q.

En l'espèce, la condition d'absence de dette n'a pas été remplie dans la mesure où les paiements faits étaient juridiquement dus lorsqu'ils ont été faits, en raison de la présomption établie à l'article 85 C.C.Q. La condition d'erreur n'a pas non plus été satisfaite. Il n'existait aucune croyance erronée que le paiement était exigible lorsqu'il a été effectué. L'enrichissement de la tutrice est justifié: les prestations de retraite ont été versées conformément à la présomption de vie. L'ancien employeur ne s'est pas acquitté de son fardeau de prouver que la tutrice avait l'obligation de rendre les prestations de retraite reçues.


Dernière modification : le 5 août 2022 à 15 h 33 min.