Résumé de l'affaire

Appels d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une action collective en réclamation d'une somme d'argent. Les deux appels sont rejetés, l'un avec dissidence.

Gagnon a intenté une action collective contre Bell Mobilité inc. en remboursement des frais de résiliation payés par les membres du groupe dont il est le représentant. Ces membres ont conclu avec Bell un contrat à durée déterminée qui leur a permis de bénéficier d'un rabais sur le prix d'achat d'un téléphone portable. Ils ont résilié leur contrat avant terme et ils ont été tenus au paiement de sommes stipulées à la clause «Frais de résiliation». Dans un premier temps, la juge de première instance a conclu que les membres du groupe n'avaient pas renoncé à leur droit de résilier le contrat prévu à l'article 2125 du Code civil du Québec (C.C.Q.) lorsqu'ils avaient accepté la clause des frais de résiliation, qu'ils avaient exercé validement ce droit en mettant fin au contrat avant terme et qu'ils s'étaient alors obligés en vertu de ce qui était prévu à l'article 2129 C.C.Q. Elle s'en est ensuite tenue à cette dernière disposition pour déterminer les sommes dues à Bell par les membres à la suite de la résiliation de leur contrat. La juge a exclu du préjudice que Bell avait pu subir les profits anticipés pour la période postérieure à la résiliation et a conclu que le rabais accordé sur l'appareil sans fil constituait le préjudice réel subi. Pour quantifier le préjudice, après avoir constaté que la réclamation de Bell excédait de 13 $ la valeur de son préjudice et déterminé que 76 225 personnes avaient payé des frais de résiliation, elle a ordonné à Bell de rembourser près de 1 million de dollars. Cette conclusion signifiait que la valeur du préjudice de Bell correspondait au coût du rabais dans tous les cas, peu importe que la résiliation soit survenue au début du contrat, plus tard ou tout à la fin. Enfin, sans en discuter longuement, la juge a écarté l'idée que les frais de résiliation constituaient une clause pénale, que cette clause était abusive et que les modifications législatives postérieures à la période de réclamation auraient été pertinentes. En appel, Bell demande le rejet de l'action collective, tandis que Gagnon souhaite hausser la condamnation à 12 millions de dollars, plus 1 million en dommages punitifs.

Décision

Mme la juge Bélanger, à l'opinion de laquelle souscrit le juge Kasirer: Les clients de Bell n'ont pas renoncé à leur droit de résilier le contrat, mais ce droit n'emporte pas nécessairement l'application de l'article 2129 C.C.Q. Par ailleurs, la clause des frais de résiliation, qui détermine un préjudice excédant le réel préjudice subi par Bell du fait de la résiliation, est abusive et réductible puisque Bell profite, en quelque sorte, d'une position dominante et qu'elle s'écarte des pratiques contractuelles généralement acceptées. En ce qui concerne l'amortissement du rabais accordé sur les téléphones portables, l'argument du représentant revêt un caractère hautement factuel et ce dernier n'a démontré aucune erreur entachant la détermination factuelle de la juge sur cette question; cette détermination est donc à l'abri d'une intervention en appel. En l'espèce, le rabais accordé aux clients au moment de la conclusion du contrat n'est pas récupéré par Bell à même les frais mensuels, qui sont les mêmes pour tous les clients. Il est donc inexact de prétendre que le rabais est remboursé par les clients au fil de leurs paiements mensuels. Néanmoins, la juge n'a pas erré en affirmant qu'une partie des frais de résiliation perçus excédait le préjudice subi.

M. le juge Vézina, dissident dans le dossier no 500-09-024747-149: Les membres du groupe n'ont pas renoncé au droit de résiliation prévu à l'article 2125 C.C.Q. par leur premier choix d'un contrat à durée déterminée plutôt qu'indéterminée et par celui, subséquent, de la durée de leur contrat parmi celles offertes par Bell. La juge, qui a conclu à l'absence de renonciation au droit de résiliation, ne pouvait extrapoler et déduire de ce constat que les membres étaient tenus de payer à Bell les éléments prévus à l'article 2129 C.C.Q. Elle devait plutôt constater que la clause des frais de résiliation modifiait l'une des composantes de l'article 2129 en y substituant une indemnité prédéterminée pour le préjudice subi par Bell. La clause des frais de résiliation est toutefois abusive et l'obligation en résultant est donc réductible. En effet, en y incluant des profits à venir, Bell dénature ce contrat de services à exécution successive, par nature résiliable, en transformant ce privilège du client de mettre fin à ses obligations en une obligation de les exécuter par équivalence. La juge a donc eu raison d'ordonner le remboursement d'une partie des frais de résiliation, quoique le remboursement ordonné soit insuffisant. En effet, chaque mois écoulé où le client paie le forfait convenu, l'objectif de l'investissement de Bell lui rapporte en partie le bénéfice escompté et réduit le dommage qu'aurait causé la résiliation le mois précédent. Le préjudice de Bell diminuait donc de mois en mois, en proportion égale, et c'est sur ce fondement que doit être calculé le trop-perçu, établi en l'espèce à 10 millions de dollars. Quant aux dommages punitifs, les modifications à la Loi sur la protection du consommateur de 2010, qui encadrent maintenant les frais de résiliation, ont éliminé l'abus des trop-perçus dans certains cas. La fonction préventive de l'attribution de dommages punitifs perd donc de sa pertinence.

NDLR

Le même jour, la Cour d'appel a rejeté l'appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une action collective contre un autre distributeur de téléphonie sans fil. Les motifs du juge Vézina dans cet arrêt sont complémentaires à ceux donnés dans les présentes. Cet arrêt est diffusé à SOQUIJ AZ-51324124 (dossier no 500-09-024972-150) et résumé à 2016EXP-3080 ainsi qu'au J.E. 2016-1665.


Dernière modification : le 30 juillet 2022 à 18 h 55 min.