Résumé de l'affaire

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande d'exercer une action collective. Accueilli. Requêtes pour permission de produire une nouvelle preuve indispensable. Rejetées.

Le juge de première instance a rejeté la demande de l'appelante pour être autorisée à exercer une action collective contre l'intimée, qui commercialise au Canada l'Oscillococcinum et une version pour enfants de ce même produit, soit un remède homéopathique qu'elle prétend avoir la capacité de soulager les symptômes de la grippe. Selon le juge, le syllogisme juridique de l'appelante à la base de son recours ne satisfait pas aux conditions prévues à l'article 1003 b) du Code de procédure civile (C.P.C.) (ancien) et cette dernière n'a pas les qualités requises pour agir à titre de représentante du groupe proposé (art. 1003 d) C.P.C. (ancien)). Dans le contexte de son pourvoi, l'appelante a demandé, au moyen de deux requêtes, la permission de produire une preuve nouvelle indispensable.

Décision

M. le juge Levesque: L'appelante souhaite déposer en preuve une étude du Australian Government National Heath and Medical Research Council, un reportage de CBC-Radio-Canada sur les produits disponibles en pharmacie ainsi qu'une note de Santé Canada, diffusée postérieurement au jugement a quo et ayant comme objet d'informer relativement à certaines modifications à l'étiquetage. Or, cette preuve ne respecte pas les critères et les conditions prévus à l'article 380 C.P.C. Quant au fond du litige, en l'absence d'une erreur de droit, la Cour fait preuve de déférence à l'égard des conclusions du juge qui décide du sort de la demande d'autorisation. Eu égard à l'article 1003 b) C.P.C. (ancien), il est de bon droit de soutenir que la demande d'autorisation d'exercer une action collective est un processus de filtrage et de vérification du mérite possible de l'action. Une telle demande est nécessaire afin d'écarter les recours insoutenables ou frivoles. Cela doit toutefois se faire en ayant à l'esprit que les conditions d'autorisation doivent recevoir une interprétation et une application larges afin que se réalisent les objectifs de ce type de véhicule procédural. Ainsi, l'article 1003 b) C.P.C. (ancien) se limite à établir que la demande d'autorisation d'exercer une action collective doit être accueillie si «les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées». En l'espèce, en choisissant d'exclure de la preuve les éléments provenant des articles scientifiques déposés par l'appelante parce qu'ils visaient à discréditer l'homéopathie en général et que, en cela, ils devenaient peu crédibles, le juge s'est carrément écarté de son rôle et de l'approche large et libérale qu'il devait adopter. En outre, il ne s'est pas limité à l'examen du caractère soutenable du syllogisme juridique mis de l'avant par l'appelante comme c'était son obligation de le faire; il a plutôt tranché le débat sur le fond. Or, les allégations de la demande modifiée tenues pour avérées sont, à la lumière des pièces produites à leur soutien, de nature à soutenir prima facie le syllogisme juridique que l'appelante met de l'avant. D'autre part, le juge, qui n'avait pas le bénéfice des principes se dégageant de l'arrêt Sibiga c. Fido Solutions inc. (C.A., 2016-08-10), 2016 QCCA 1299, SOQUIJ AZ-51313351, 2016EXP-2637, J.E. 2016-1461, s'est mépris en rejetant la candidature de l'appelante comme représentante du groupe. En droit de la consommation, l'exigence est minimale. Ici, la preuve relative à la participation de l'appelante ainsi qu'à sa capacité de représenter le groupe, avec une approche souple et libérale, satisfait aux exigences minimales prévues à l'article 1003 d) C.P.C. (ancien). En conséquence, il y a lieu d'autoriser l'action collective.

Mme la juge Bich: L'appelante possède les qualités requises pour représenter adéquatement les membres du groupe visé au sens de l'article 1003 d) C.P.C. (ancien), disposition qui doit être interprétée de façon large et libérale. En effet, sa situation personnelle, sur le plan factuel, est l'exemple même de celle des membres du groupe en question (d'où son intérêt juridique); elle n'est pas en situation de conflit d'intérêts avec les autres membres du groupe; et elle suffisamment investie dans l'affaire pour que l'on puisse envisager de lui reconnaître le statut qu'elle sollicite. Sur ce dernier point, la loi n'exige pas de la personne qui souhaite entreprendre une action collective qu'elle soit une activiste de la cause qu'elle entend défendre, s'y consacre quotidiennement avec ardeur, soit constamment aux premières lignes du combat judiciaire, la supervise dans ses moindres détails ou en tienne étroitement les rênes, que ce soit stratégiquement ou autrement. D'ailleurs, il est normal que, tout en portant attention au cheminement du recours, le représentant s'en remette aux avocats qui le représentent, comme le font du reste la plupart des justiciables. D'autre part, le syllogisme juridique que propose ici l'appelante répond aux exigences prévues à l'article 1003 b) C.P.C. (ancien). Enfin, eu égard au processus d'autorisation de l'action collective, vu l'état du droit en la matière, il y a lieu de se demander si ce que la Cour suprême définit comme un mécanisme de filtrage (n'exigeant qu'une simple possibilité d'avoir gain de cause et non une possibilité réaliste ou raisonnable) a encore aujourd'hui une vocation utile en tant que préalable à l'action collective (autrement que pour régler certaines questions plus techniques, comme la description du groupe, la définition précise des questions en jeu ou les modalités de la publicité). Bien que l'action collective se veuille un moyen de faciliter l'accès à la justice, trop souvent, paradoxalement, le processus d'autorisation préalable, dans sa forme actuelle, entrave cet accès.


Dernière modification : le 23 juillet 2022 à 19 h 18 min.