RESPONSABILITÉ : Le fabricant pharmaceutique s'est déchargé de son obligation d'information en mettant en garde adéquatement les intermédiaires compétents, c'est-à-dire les pharmaciens et les médecins, des risques d'effets secondaires de nature neuropsychiatrique en lien avec la prise du médicament Biaxin.
PROTECTION DU CONSOMMATEUR : La vente de médicaments sur ordonnance par un pharmacien ne constitue pas un contrat de consommation entraînant la responsabilité du fabricant en vertu de l'article 53 de la Loi sur la protection du consommateur.
ACTION COLLECTIVE (RECOURS COLLECTIF) : L'action collective des appelants, qui cherchaient à faire sanctionner des manquements à l'obligation de renseignement de l'intimée, Laboratoires Abbott Limitée, à titre de fabricant pharmaceutique, en ce qui a trait aux effets secondaires de nature neuropsychiatrique du Biaxin, un antibiotique à large usage, est rejetée.
Résumé
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une action collective. Rejeté.
Les appelants cherchent à faire infliger des sanctions pour des manquements l'obligation de renseignement de la part de l'intimée à titre de fabricant pharmaceutique en ce qui a trait aux effets secondaires de nature neuropsychiatrique du Biaxin, un antibiotique à large usage commercialisé par cette dernière. La juge de première instance avait conclu que les appelants n'avaient pas démontré de lien de causalité entre la consommation du Biaxin et des effets de nature neuropsychiatrique observés de façon concomitante de la prise du médicament.
Décision
M. le juge Ruel: Le régime de responsabilité applicable au vice de sécurité des biens est le régime extracontractuel prévu aux articles 1468, 1469 et 1473 du Code civil du Québec (C.C.Q.). Il s'agit d'un régime de responsabilité sans faute de la nature d'une garantie de sécurité.
Pour obtenir réparation contre le fabricant en application de l'article 1468 C.C.Q., l'usager doit démontrer, par une preuve prépondérante: 1) que le bien comporte un danger; 2) que l'usager subit un préjudice; et 3) qu'il existe un lien de causalité entre les 2, c'est-à-dire que le préjudice constitue la matérialisation concrète du danger. S'il réussit à faire cette démonstration, il y a présomption de responsabilité du fabricant. Ce dernier peut s'exonérer s'il démontre avoir satisfait à son obligation de renseignement en transmettant aux usagers des informations adéquates sur les dangers de son produit. Le cas échéant, il pourra invoquer le fait que l'usager connaissait ou était en mesure de connaître le danger. S'il prouve que le danger ne pouvait être connu, compte tenu de l'état des connaissances au moment de la fabrication ou de la mise en marché du bien, il pourra également s'exonérer s'il prouve qu'il n'a pas été négligent dans son devoir d'information lorsqu'il a appris l'existence de ce danger (art. 1473 C.C.Q.).
En matière de responsabilité du fabricant pour vice de sécurité d'un médicament, la preuve d'un danger peut être faite de 2 manières. Premièrement, le poursuivant peut démontrer la capacité du médicament de provoquer un effet secondaire indésirable particulier. Deuxièmement, même en l'absence de preuve prépondérante de la capacité du médicament de déclencher un tel effet secondaire, la présence documentée d'un effet secondaire grave survenant en concomitance de la prise de ce dernier peut établir la présence d'un danger.
Une fois l'existence d'un danger et d'une obligation corrélative de renseignement du fabricant pharmaceutique démontrée, l'intensité de cette obligation sera adaptée en fonction des circonstances. En fait, le fabricant a le devoir de mettre en garde les patients sur les effets secondaires potentiellement dangereux qu'il connaît ou qu'il devrait connaître au moment de la commercialisation puis au fur et à mesure de l'avancée des connaissances scientifiques et des données postcommercialisation. En principe, la mise en garde du fabricant d'un bien doit être faite directement à l'utilisateur. Cependant, dans des circonstances bien précises, la règle de l'intermédiaire compétent fait exception à ce principe. Celle-ci trouve application dans le droit québécois en ce qui a trait à la mise en oeuvre de l'obligation de renseignement d'un fabricant de médicaments sur ordonnance lorsque l'intervention d'intermédiaires compétents, soit les médecins et les pharmaciens, est incontournable. Ainsi, l'intimée se sera acquittée de son obligation de renseignement si elle démontre qu'elle a adéquatement informé les médecins et les pharmaciens des risques d'effets secondaires de nature neuropsychiatrique en lien avec la prise du Biaxin.
En l'espèce, l'intimée a adéquatement informé les usagers des risques d'effets secondaires de nature neuropsychiatrique dès la mise en marché du Biaxin, et de manière évolutive par la suite, en fonction de l'avancement des connaissances. Les monographies successives du Biaxin, qui sont approuvées par Santé Canada en lien avec la commercialisation du médicament, font état des diverses formes d'effets secondaires de nature neuropsychiatrique. Étant donné que la capacité du médicament de causer des effets secondaires de nature neuropsychiatrique n'a pu être établie, et ce, malgré de rigoureuses évaluations pendant presque 30 ans, et puisque la prévalence de tels effets est très faible, l'intimée était fondée à inclure ceux-ci dans la section «Effets secondaires» de la partie I des monographies successives du Biaxin au lieu de la présenter dans la section «Mises en garde et précautions» de la même partie, qui traite des effets graves et prouvés pouvant mettre en péril la santé immédiate de l'usager.
Par l'inclusion des informations contenues aux monographies successives du Biaxin, l'intimée s'est déchargée de son obligation d'informer les intermédiaires compétents, c'est-à-dire les pharmaciens et les médecins, des risques et des dangers de l'utilisation du médicament. Ces intermédiaires devraient prendre connaissance des informations contenues dans les monographies et en informer à leur tour leurs patients, selon leur jugement professionnel, compte tenu notamment du niveau de risque.
Enfin, la vente de médicaments sur ordonnance par un pharmacien ne constitue pas un contrat de consommation entraînant la responsabilité du fabricant, en vertu de l'article 53 de la Loi sur la protection du consommateur.