En bref
Au nom des membres du recours collectif, les intimés sont en droit de réclamer le remboursement des frais perçus par quatre banques, mais uniquement pour les périodes où ces frais n'ont pas été divulgués.
Les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur concernant l'obligation de divulgation des frais et des taux de crédit ne sont pas incompatibles avec la législation fédérale; toutefois, afin d'éviter un conflit d'objectifs et de rendre la législation fédérale efficace et cohérente, les dispositions en matière de plaintes doivent être déclarées inopérantes pour ce qui est des institutions financières de compétence fédérale, et ce, en raison de la prépondérance fédérale.
Les frais exigés lors de l'utilisation d'une carte de crédit pour effectuer un paiement en devises étrangères ne constituent pas des frais de crédit au sens de la Loi sur la protection du consommateur, n'entrent pas dans le calcul du taux de crédit et ne bénéficient pas d'un délai de grâce; ils ne font pas non plus partie des coûts d'emprunt et du taux d'emprunt de la législation fédérale.
La Cour d'appel infirme le jugement ayant accueilli un recours collectif contre cinq banques concernant la perception de frais lors de l'utilisation d'une carte de crédit pour effectuer des paiements en devises étrangères (frais de conversion) et réduit la condamnation ou la période de recouvrement collectif dans le cas de quatre autres banques.
Résumé de l'affaire
Appels d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie un recours collectif visant le remboursement de frais de crédit et en réclamation de dommages exemplaires. Accueillis en partie.
L'intimé Marcotte est détenteur d'une carte de crédit émise par la Banque de Montréal (BMO) tandis que l'intimé Laparé détient une carte de la Banque Amex du Canada. En 2003, ils ont intenté un recours collectif contre les neuf banques appelantes au motif qu'elles avaient enfreint la Loi sur la protection du consommateur en omettant de traiter les frais de conversion facturés lors de l'utilisation d'une carte de crédit pour effectuer des paiements en devises étrangères comme des frais de crédit au sens de cette loi. Selon eux, les frais de conversion devaient être inclus dans le taux de crédit indiqué sur les relevés de compte, calculé selon la méthode prévue à la loi, et ils ne pouvaient être exigés des clients qui acquittaient le solde de leur compte dans le délai de grâce applicable. Ils reprochent également à cinq des banques d'avoir, à certaines périodes, carrément omis de dévoiler l'existence de ces frais. Le juge de première instance a rejeté l'argument des banques relatif à l'absence d'intérêt juridique des représentants invoqué après le jugement d'autorisation et il a accueilli en partie le recours collectif. Selon lui, dès l'autorisation du recours, l'intérêt juridique doit s'analyser dans sa dimension collective et non dans la seule perspective du représentant. De plus, il a conclu que les dispositions de la loi devaient être interprétées à la lumière d'une situation de fait commune à toutes les banques et qu'exiger des recours collectifs distincts contre chacune d'entre elles irait à l'encontre des objectifs visés par ce type de recours. Enfin, il a conclu que les banques autres que BMO et Amex ne subissaient aucun préjudice du fait que les représentants ne soient pas leurs clients. Sur le fond, le juge a rejeté l'argument d'exclusivité fédérale et a statué que la loi s'appliquait aux banques. Il a ensuite retenu que les frais de conversion constituaient des frais de crédit au sens de la loi, lesquels devaient être inclus dans le calcul du taux de crédit et divulgués aux consommateurs. Il a donc exigé le remboursement des frais de conversion et ordonné un recouvrement collectif ou individuel, en fonction de la preuve présentée. De plus, les cinq banques ayant omis de déclarer les frais en violation de l'article 12 de la loi ont été condamnées à payer des dommages exemplaires de 25 $ par membre. En appel, les banques invoquent d'abord l'absence d'intérêt juridique des représentants à l'égard des institutions dont ils ne sont pas clients. Ensuite, elles prétendent que la Loi sur la protection du consommateur ne s'applique pas à elles, car leurs activités en matière de cartes de crédit relèvent de la compétence fédérale. Subsidiairement, elles affirment que les frais de conversion ne constituent pas des frais de crédit au sens de la loi. Enfin, elles invoquent divers arguments relatifs à la renonciation et à la prescription.
Résumé de la décision
M. le juge Dalphond: Lorsqu'un recours collectif est dirigé contre plusieurs défendeurs, il n'est pas nécessaire que le représentant ait une cause d'action personnelle contre chacun d'entre eux (Regroupement des CHSLD Christ-Roi (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades (C.A., 2007-08-07), 2007 QCCA 1068, SOQUIJ AZ-50445561, J.E. 2007-1595, [2007] R.J.Q. 1753). Il suffit, comme en l'espèce, qu'il existe un sous-groupe réel de membres pour chacun des défendeurs. D'ailleurs, exiger autant de représentants qu'il y a de défendeurs irait à l'encontre de l'article 4.2 du Code de procédure civile, qui doit être pris en considération dans l'analyse des conditions d'autorisation du recours collectif (Marcotte c. Longueuil (Ville), (C.S. Can., 2009-10-08), 2009 CSC 43, SOQUIJ AZ-50578384, J.E. 2009-1852, [2009] 3 R.C.S. 65, et Apple Canada Inc. c. St-Germain (C.A., 2010-07-28), 2010 QCCA 1376, SOQUIJ AZ-50660165, 2010EXP-2564, J.E. 2010-1430, [2010] R.J.Q. 1627). Ainsi, une approche souple doit être adoptée dans l'application de l'arrêt Bouchard c. Agropur Coopérative (C.A., 2006-10-18), 2006 QCCA 1342, SOQUIJ AZ-50395496, J.E. 2006-2095, [2006] R.J.Q. 2349, invoqué par les banques. Le recours collectif ayant été autorisé et le statut juridique de représentant ayant été accordé à Marcotte, celui-ci a donc l'intérêt juridique suffisant pour agir à l'égard de toutes les banques.
En ce qui concerne l'argument constitutionnel de ces dernières, il doit également être rejeté. En effet, la délivrance d'une carte de crédit par une banque ne relève pas exclusivement de la compétence fédérale prévue à l'article 91 (15) de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s'agit plutôt d'une façon pour les banques, expressément permise par la Loi sur les banques, d'accorder du crédit à leurs clients et de leur offrir des services accessoires. Une telle activité ne peut être considérée comme hors de portée des lois provinciales, ainsi que le rappelle la Cour suprême dans Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta (C.S. Can., 2007-05-31), 2007 CSC 22, SOQUIJ AZ-50435443, J.E. 2007-1068, [2007] R.R.A. 241 (rés.), [2007] 2 R.C.S. 3. Toutefois, en cas de conflit entre les dispositions fédérales et les lois provinciales, les premières prévalent en vertu du principe de la prépondérance du fédéral. En l'espèce, trois mesures législatives fédérales sont applicables: la Loi sur les banques, le Règlement sur le coût d'emprunt (banques) ainsi que la Loi sur l'Agence de la consommation en matière financière du Canada. De son côté, la Loi sur la protection du consommateur contient des dispositions concernant notamment l'obligation de divulgation des frais et des taux de crédit, lesquelles ne sont pas incompatibles avec la législation fédérale. Toutefois, afin d'éviter un conflit d'objectifs et de rendre la législation fédérale efficace ainsi que cohérente, les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur en matière de plaintes doivent être déclarées inopérantes relativement aux institutions financières de compétence fédérale, et ce, en raison de la prépondérance fédérale. Par contre, les recours civils des consommateurs, faute de dispositions particulières dans le régime fédéral, continuent d'être régis par le droit provincial.
Pour les motifs rendus ce jour dans Fédération des caisses Desjardins du Québec c. Marcotte (C.A., 2012-08-02), 2012 QCCA 1395, SOQUIJ AZ-50881448, les frais exigés à l'occasion de l'utilisation de la carte pour effectuer un paiement en devises étrangères ne constituent pas des frais de crédit au sens de la loi, n'entrent pas dans le calcul du taux de crédit et ne bénéficient pas d'un délai de grâce. Ils ne font pas non plus partie des coûts d'emprunt ni du taux d'emprunt de la législation fédérale. Cependant, pour les motifs rendus ce jour dans Amex Bank of Canada c. Adams (C.A., 2012-08-02), 2012 QCCA 1394, SOQUIJ AZ-50881447, les cinq autres banques appelantes ont commis une faute en omettant, durant certaines périodes, de dévoiler aux usagers de leurs cartes de crédit que l'utilisation de celles-ci pour effectuer des paiements en devises étrangères comportait des frais de conversion. Il y a donc lieu de réduire les montants accordés aux seules périodes de non-divulgation. Dans le cas d'Amex, l'appel est accueilli et le recouvrement collectif dans l'autre dossier est privilégié. Quant aux réclamations à titre de dommages exemplaires, elles doivent être rayées, ainsi qu'il est indiqué dans Amex Bank of Canada, sauf en ce qui concerne la Banque Toronto Dominion, contre qui le juge a ordonné un recouvrement individuel. Enfin, les arguments de droit civil invoqués par les banques, notamment la renonciation, la prescription et l'absence de préjudice, sont également mal fondés. En effet, la prescription de trois ans prévue à l'article 273 de la loi commençait à courir dès la connaissance du manquement (art. 2904 du Code civil du Québec) et les recours contre les banques ayant caché les frais de conversion n'étaient pas prescrits.
NDLR
Le jugement de la Cour d'appel ayant rejeté le recours collectif intenté contre la Fédération des caisses Desjardins du Québec est diffusé à SOQUIJ AZ-50881448 et résumé à EXP2012-3044 ainsi qu'au J.E. 2012-1633 (dossier no 500-09-019846-096) et celui ayant accueilli en partie l'appel d'Amex Bank of Canada est diffusé à SOQUIJ AZ-50881447 et résumé à EXP2012-3042 ainsi qu'au J.E. 2012-1631 (dossier no 500-09-019842-095).