Résumé de l'affaire

Pourvoi contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant infirmé un jugement de la Cour supérieure qui avait accueilli la requête en révision judiciaire d'une sentence arbitrale de grief. Accueilli.
Un policier à l'emploi d'une municipalité plaide coupable à plusieurs infractions criminelles, toutes visées par les sanctions distinctes prévues par l'article 116 paragraphe 6 de la Loi sur les cités et villes (LCV) et par l'article 119 alinéa 2 de la Loi sur la police (LP). À l'issue de l'enquête interne qui suit, la municipalité le destitue. Le syndicat dépose un grief. L'arbitre statue que, en présence d'une sanction disciplinaire spécifique dans la Loi sur la police qui impose la destitution du policier coupable d'une infraction criminelle sous réserve d'une possibilité d'exception limitée aux infractions mixtes, la disqualification automatique de cinq ans, sans exception, prévue par la Loi sur les cités et villes ne s'applique pas. Il conclut ensuite que les drames familiaux, problèmes psychologiques et abus d'alcool du policier l'ont conduit à commettre les infractions et que cela constitue des «circonstances particulières» donnant ouverture à une sanction autre que la destitution, au sens de l'exception prévue par l'article 119 alinéa 2 LP. Il ordonne la réintégration. La Cour supérieure annule la sentence arbitrale, mais cette sentence est rétablie par la Cour d'appel.

Décision

M. le juge Bastarache, à l'opinion duquel souscrivent la juge en chef McLachlin et les juges Binnie et Charron: Deux normes de contrôle sont requises. Il convient d'adopter des normes de contrôle multiples uniquement lorsque des questions clairement définies font intervenir des intérêts différents dans le cadre de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. La question de savoir s'il existe un conflit entre l'article 119 alinéa 2 LP et l'article 116 paragraphe 6 LCV et, le cas échéant, quelle disposition a préséance soulève manifestement des préoccupations autres que la question de savoir si l'arbitre a bien interprété et appliqué l'article 119 alinéa 2. Bien que l'on trouve dans le Code du travail (C.tr.) une clause privative relativement rigoureuse, la question de la compatibilité est une pure question de droit qui ne fait pas intervenir les connaissances spécialisées de l'arbitre en matière de droit du travail. En outre, il s'agit d'une question d'importance générale qui a valeur de précédent. Quant à l'objet de la loi, même si le Code du travail prévoit certainement que les arbitres sont appelés à interpréter et à appliquer la loi afin d'assurer le règlement rapide, définitif et exécutoire de griefs, il ne s'ensuit pas que la question de la conciliation de dispositions législatives incompatibles devrait relever de la compétence exclusive de l'arbitre de griefs ni que cette fonction soit fondamentale au sein de l'objet de l'arbitrage des griefs. Somme toute, la question de la compatibilité doit être assujettie à la norme de contrôle la plus rigoureuse, soit la norme de la décision correcte. [19, 21-23]

La question de savoir si l'arbitre a correctement interprété l'article 119 alinéa 2 LP et l'a correctement appliqué à la conduite du policier est une question mixte de droit et de fait. Elle requiert une analyse qui relève davantage des fonctions normalement exercées par un arbitre de griefs aux termes de l'article 100.12 f) C.tr. Elle doit aussi être résolue en tenant compte d'intérêts opposés: les intérêts du policier menacé de destitution, les intérêts de la municipalité, en sa qualité d'employeur autant que d'organisme public responsable de la sécurité du public, ainsi que les intérêts de l'ensemble de la collectivité, à qui les policiers doivent inspirer respect et confiance. Mais les facteurs à prendre en compte ne militent pas tous en faveur du degré le plus élevé de retenue. La question a, dans une certaine mesure, valeur de précédent; aux termes de l'article 119 alinéa 2 LP, le pouvoir discrétionnaire de l'arbitre est plus restreint qu'il le serait par ailleurs aux termes de l'article 100.12 a) et f) C.tr. et la Loi sur la police ne fait partie ni de la convention collective ni du code. Somme toute, la norme de la décision raisonnable est celle qu'il convient d'appliquer à cette question. [24-28]

Les policiers municipaux sont assujettis tant à la Loi sur la police qu'à la Loi sur les cités et villes en tant qu'employés de la municipalité. Alors que l'article 119 LP et l'article 116 paragraphe 6 LCV s'appliquent sans problème hors du contexte de la police municipale ou lorsqu'un policier municipal est reconnu coupable d'un acte criminel, il y a clairement chevauchement et incompatibilité dans la zone d'application commune à ces deux dispositions législatives. Les deux dispositions s'appliquent à la conduite du policier en l'espèce. L'un des textes législatifs comporte un régime d'exception à la règle de la destitution et lui permet de conserver son emploi s'il peut démontrer l'existence de circonstances particulières, mais pas l'autre. Le conflit ne peut être évité parce qu'une loi retire implicitement ce que l'autre loi autorise explicitement. En présence d'un conflit, l'article 119 alinéa 2 LP doit avoir préséance sur l'article 116 paragraphe 6 LCV. L'article 119 LP satisfait aux exigences des deux présomptions élaborées pour faciliter la tâche de cerner l'intention du législateur puisqu'il est à la fois plus récent et plus spécifique que l'article 116 paragraphe 6 LCV. De plus, le régime d'exception des circonstances particulières visait à tenir compte des observations, faites à l'époque de l'adoption de cette disposition, concernant la sévérité de la règle de la destitution. La conclusion voulant que l'article 116 paragraphe 6 LCV doive avoir préséance sur l'article 119 alinéa 2 LP irait à l'encontre d'un objectif clairement déclaré de la loi. Enfin, le fait que le législateur n'ait pas modifié l'article 116 paragraphe 6 LCV depuis l'adoption de la nouvelle Loi sur la police pourrait indiquer une intention de sauvegarder les intérêts pris en compte lors de la rédaction de l'article 119 LP sans influer sur l'application de l'article 116 paragraphe 6 LCV aux autres employés municipaux. [40] [46-49] [57-59] [61-63]

Il n'était pas raisonnable que l'arbitre conclue que les circonstances particulières soulevées par le policier permettaient de satisfaire à l'exception prévue à l'article 119 alinéa 2 LP. Le policier avait le fardeau de la preuve. En décidant si la preuve de circonstances particulières a été faite ou non, un arbitre peut tenir compte de toute circonstance relative à l'infraction qui se rapporte à la capacité future du policier de servir le public avec efficacité et crédibilité. L'arbitre se croyait investi, aux termes de l'article 119 alinéa 2 LP, du pouvoir qu'il exercerait normalement selon l'article 100.12 f) C.tr. et il n'a pas apprécié adéquatement les répercussions de la conduite criminelle du policier sur la capacité de celui-ci d'exercer ses fonctions, ce qui a perturbé la rationalité de sa décision. S'il est parfois utile de soupeser les circonstances atténuantes ou aggravantes dans d'autres situations relevant du droit du travail, il aurait fallu en l'espèce tenir compte des questions uniques que soulève la conduite criminelle d'un policier. Il est question ici de violence conjugale, et le policier a reconnu sa culpabilité à une accusation de voies de fait contre sa conjointe. Il s'agit là d'une considération très importante puisque le public s'en remet aux interventions des policiers en de tels cas et l'arbitre ne pouvait raisonnablement pas écarter cet élément. De plus, on ne peut mettre les infractions relatives aux armes à feu sur le compte des problèmes personnels du policier, ni les justifier en les qualifiant d'infractions à caractère technique, comme l'arbitre a tenté de le faire. La décision consciente de l'agent de police de ne pas se conformer à l'engagement qu'il avait pris envers le tribunal de ne pas communiquer avec sa conjointe est encore plus sérieuse. Le manquement à un engagement judiciaire est particulièrement grave dans le cas d'un policier, étant donné le rôle de ce dernier dans l'administration de la justice. Un tel comportement dénote un manque de respect pour le système judiciaire dont le policier fait partie intégrante. Enfin, la confiance du public était un facteur qu'il fallait prendre en compte. Les reportages des médias sur la conduite criminelle des policiers ont des répercussions sur la confiance du public. Mais en limitant son examen de cette question à la justesse de l'information communiquée au public au sujet des circonstances personnelles entourant les infractions commises, l'arbitre a omis de tenir compte de la gravité de ces infractions et de leur incidence possible sur la confiance du public. [68-79]

Mme la juge Deschamps et M. le juge Fish: La sanction de destitution doit être rétablie. L'article 119 alinéa 2 LP et l'article 116 paragraphe 6 LCV ne sont pas incompatibles. Les tribunaux, dans la mesure du possible, restreignent le sens du mot «conflit» à sa portée la plus étroite. Le simple fait qu'une norme soit plus contraignante que l'autre, impose des conditions différentes, ou s'applique à la même personne et à la même situation de faits ne suffit pas pour conclure à l'inapplication de l'une d'elles. [82-83] [87]

En l'espèce, la lecture conjointe de la Loi sur la police et de la Loi sur les cités et villes fait voir que l'incompatibilité n'est qu'apparente: la première régit la capacité d'agir comme policier et les sanctions qui sont attachées aux manquements aux conditions d'admissibilité à cette fonction, tandis que la deuxième régit les conditions d'admissibilité à une fonction municipale. Dans le cas où une personne cumule les deux fonctions, elle doit satisfaire aux conditions prescrites par les deux lois. Si un policier municipal commet un acte criminel, il sera, par l'effet de l'article 119 alinéa 1 LP et de la Loi sur les cités et villes, à la fois exclu des rangs de la police et disqualifié pour cinq ans comme employé municipal, dans ce dernier cas sous réserve d'un lien avec l'emploi. Il en va de même s'il commet une infraction mixte punissable d'une peine d'emprisonnement d'un an ou plus et qu'il ne peut prouver de circonstances particulières selon la Loi sur la police. En présence d'une preuve de telles circonstances, il ne sera pas destitué mais sera pourtant disqualifié pour cinq ans en vertu du droit municipal. Le fait que, dans cette dernière situation, une application concomitante prive le policier de son emploi comme fonctionnaire municipal pour une période de cinq ans alors qu'il n'a pas perdu son habilité à être policier n'est pas source d'incompatibilité. [91-93] [99]

L'interprétation proposée ne fait pas non plus obstacle à l'objet des dispositions en question. Bien que l'article 119 LP s'inscrive dans un contexte disciplinaire, l'arbitre n'a pas le droit de réviser la décision d'un employeur de mettre fin à l'emploi du policier déclaré coupable d'un acte criminel puisque ce policier n'est plus éligible à la fonction de policier, ni selon l'article 115 ni selon l'article 119 LP. Cependant, lorsque le policier est reconnu coupable d'une infraction mixte et qu'il bénéficie de l'exception de l'article 119, il pourra postuler un emploi dans un corps de police autre que municipal parce qu'il n'aura pas perdu son habilité en vertu de la Loi sur la police. L'exception dont peut bénéficier le policier en vertu de l'article 119 LP doit se refléter dans une interprétation de l'article 115 LP qui respecte l'objectif manifeste de l'exception — c'est-à-dire permettre à l'intéressé de poursuivre sa carrière comme policier. [92-95] [98-99]

Mme la juge Abella: La décision de l'arbitre concernant l'opportunité d'appliquer l'article 119 LP ne doit pas être assujettie à une norme de contrôle différente de celle retenue pour la façon d'appliquer cet article. La clause privative de l'article 101 C.tr., précisant que la sentence arbitrale est sans appel, protège la compétence exclusive de l'arbitre en matière d'arbitrage de griefs tandis que l'article 100.12 a) C.tr. lui confère le pouvoir de décider de quelle manière toute disposition législative pertinente devrait s'y appliquer. Compte tenu de l'expertise de l'arbitre en matière de conflits de travail et de l'objet de la loi qui est d'assurer un règlement rapide et définitif de ces différends, ces dispositions offrent un argument solide à l'appui d'une norme intégrée d'évaluation de l'interprétation par l'arbitre de sa compétence comme de la façon de l'exercer. Pour les motifs que donne le juge Bastarache, même suivant une seule norme de contrôle, la décision de l'arbitre eu égard à la sanction à imposer est insoutenable et la sanction de la destitution doit être rétablie. [107-109] [117]


Dernière modification : le 16 août 2022 à 12 h 34 min.