Signalement(s)

Le recours subrogatoire de l'assureur contre le distributeur d'un robinet et le fabricant des produits ménagers Lysol est accueilli; ces derniers ont contrevenu à leur obligation de renseignement en omettant d'aviser les utilisateurs du risque de corrosion qui existe lorsqu'un contenant de Lysol se trouve à proximité du raccord flexible dont le robinet en cause est muni.

Le recours subrogatoire de l'assureur, qui découle d'un dégât d'eau causé par la corrosion d'un raccord de robinet, est accueilli à l'endroit du distributeur du robinet et du fabricant du produit ménager à l'origine de la corrosion, mais rejeté à l'endroit de l'entrepreneur qui a construit la maison; celui-ci n'était pas présumé connaître les vices touchant le robinet du distributeur, qui a été vendu aux acheteurs par son intermédiaire.

Ni l'entrepreneur général qui a construit la maison ni le distributeur d'un robinet dont le raccord flexible a été détruit par de la corrosion en raison de vapeurs de chlore dégagées par un produit ménager ne peuvent être tenus responsables du vice caché; la responsabilité du second est toutefois retenue en raison de son omission d'aviser les acheteurs du risque de corrosion.

Les conditions d'utilisation normale du robinet, à la lumière de l'article 38 de la Loi sur la protection du consommateur, ne visent pas un environnement corrosif causé par des vapeurs d'acide chlorhydrique provenant d'un produit ménager; le distributeur n'est donc pas responsable d'un défaut de conception et de qualité du robinet, mais sa responsabilité est retenue étant donné son manquement à son obligation de renseignement.

Résumé

Demande en réclamation de dommages-intérêts (125 000 $). Accueillie.

La demanderesse réclame le remboursement de l'indemnité d'assurance qu'elle a versée à ses assurés Tremblay et Thibeault à la suite d'un dégât d'eau survenu dans leur résidence. Elle poursuit, d'une part, Construction McKinley inc., l'entrepreneur général qui a construit la maison en 2012, et, d'autre part, Céramique Décor MSF inc., le distributeur du robinet de marque Rubi qui a été installé dans la salle de bains des assurés et dont le raccord flexible a cédé, ainsi que Reckitt Benckiser (Canada) inc., le fabricant d'un produit de la marque Lysol dont les émanations de chlore ont causé un phénomène de corrosion qui a abîmé la gaine tressée faite en acier inoxydable du raccord flexible. En effet, dans leur salle de bains, les assurés avaient l'habitude de ranger leur produit Lysol Advanced sur la tablette la plus élevée du cabinet fermé soutenant le lavabo, ce qui faisait en sorte que le bouchon du contenant Lysol était situé à quelques pouces de la trajectoire du tuyau qui conduisait l'eau vers le robinet. Ce sont les vapeurs dégagées par le produit qui ont progressivement détruit la gaine du raccord flexible à l'origine du dégât d'eau.

Décision

Premièrement, la demanderesse recherche la responsabilité de McKinley, qui a facilité l'achat par les assurés du robinet vendu par Céramique Décor, l'un des fournisseurs avec lesquels elle faisait le plus souvent affaire, et qui a procédé à l'installation du robinet dans la salle de bains des assurés. En l'espèce, la responsabilité de McKinley ne peut être retenue à l'égard des dommages causés. En effet, elle n'a pas participé à la conception et à la fabrication des robinets de la marque vendue par Céramique Décor ni n'a suggéré ce modèle aux assurés. Elle est bien un vendeur professionnel d'ouvrages immobiliers, mais n'est pas un vendeur spécialisé d'accessoires mobiliers incorporés aux résidences. Ainsi, elle a repoussé la présomption de connaissance du vice prévue à l'article 1729 du Code civil du Québec (C.C.Q.) et ne peut être considérée comme responsable du défaut de conception et de qualité du raccord. Elle n'a pas non plus commis, contrairement à ce que soutient la demanderesse, un manquement à son devoir d'information quant aux dangers associés au raccord.

 

L'article 1468 C.C.Q. ne peut trouver application dans son cas puisque cette disposition ne vise pas le vendeur d'un bien au sens strict, mais plutôt le fabricant, le distributeur, le fournisseur, le grossiste et le détaillant. Le simple fait d'accommoder ses clients, les assurés, en portant son prix d'achat au compte de l'entrepreneur jusqu'au paiement de la propriété n'est pas suffisant pour qualifier McKinley de distributeur. De plus, celle-ci n'a pas vendu «un bien de sa spécialité» et elle n'est donc pas présumée connaître les vices touchant celui-ci en lien avec un problème de corrosion se déclenchant quand certaines conditions chimiques sont réunies.

 

Deuxièmement, en ce qui concerne Céramique Décor, elle n'est pas responsable du défaut de conception et de qualité du raccord. D'abord, les conditions d'utilisation normale du robinet, à la lumière de l'article 38 de la Loi sur la protection du consommateur, ne visent pas un environnement corrosif causé par des vapeurs contenant de 10 % à 15 % d'acide chlorhydrique. L'examen du robinet et des raccords dont il est muni doit être effectué de façon autonome, sans l'incidence extérieure de produits corrosifs, puisque ce ne sont pas tous les produits ménagers qui émettent des vapeurs de chlore. Par ailleurs, les expertises produites ne démontrent pas que les raccords flexibles des robinets que Céramique Décor distribue comportent un vice caché. Enfin, même s'il avait fallu conclure à l'existence de celui- ci, Céramique Décor aurait pu repousser la présomption de connaissance du vice puisque, en tant que distributeur, elle n'aurait pu découvrir ce problème, même en prenant toutes les précautions raisonnables. Cependant, sa responsabilité est retenue étant donné qu'elle a contrevenu à son devoir d'information quant aux dangers associés au raccord. En effet, même si les gaines tressées en acier inoxydable ne sont pas touchées d'un vice, elles sont très sensibles à la corrosion en présence d'émanations de chlore. Or, depuis 2014, Céramique Décor, qui a reçu plusieurs plaintes relatives à la rupture de conduits flexibles, est au courant de ce problème, ce qui l'a amenée, en 2015, à modifier son guide d'installation des robinets de cette marque afin d'avertir ses nouveaux clients d'éviter les contacts entre le robinet et des produits ménagers chimiques. Toutefois, elle a omis d'aviser ses anciens clients, soit ceux ayant acheté des robinets de marque Rubi avant 2014, des risques et des dangers associés à la corrosion. Cette omission de leur envoyer un avis en ce sens constitue une négligence à l'égard de son devoir d'information.

 

Troisièmement, la responsabilité de Reckitt a été établie. En effet, même si celle-ci ne peut évidemment être fautive pour avoir mis le produit Lysol sur le marché, sa responsabilité est retenue puisqu'elle ne s'est pas acquittée de son devoir d'information à l'endroit des utilisateurs de son produit. En effet, les indications qui se trouvaient sur l'étiquette arrière du contenant Lysol, et qui rappellent notamment à l'usager qu'il doit «[g]arder le contenant fermé hermétiquement dans un endroit frais et bien aéré», sont insuffisantes pour avertir le consommateur des effets corrosifs du produit sur les métaux se trouvant à proximité de celui-ci. Un consommateur crédule et inexpérimenté n'est pas en mesure de prévoir que, s'il oublie de fermer parfaitement le contenant, le produit Lysol risque de causer la dégradation des métaux situés dans son environnement immédiat. Puisque cet oubli peut entraîner un phénomène de corrosion, il fallait que ce danger soit indiqué dans les instructions.

 

Quant aux assurés, leur responsabilité à l'égard des dommages n'a pas été démontrée. En effet, faute d'indications précises sur l'étiquette quant aux risques liés au produit Lysol, il ne peut être reproché à Tremblay de n'avoir pas scrupuleusement respecté la consigne de fermer le bouchon du contenant de façon hermétique ni de ne pas avoir lu les instructions du produit. Ce n'est pas aux assurés d'assumer les conséquences découlant du déficit d'informations dans les instructions et les mises en garde du produit Lysol.

Enfin, Reckitt, dont le manquement à son devoir d'information est l'élément causal le plus déterminant dans la survenance des dommages, doit être considéré comme responsable de ceux-ci aux trois quarts, alors que Céramique Décor est responsable du quart restant. Puisque Reckitt n'a pas été mise en demeure et que la solidarité entre celle-ci et Céramique Décor est imparfaite, la mise en demeure visant Céramique Décor ne vaut pas à l'égard de Reckitt. Ainsi, le point de départ du calcul des intérêts et de l'indemnité additionnelle relativement à la condamnation in solidum de Reckitt et de Céramique Décor tiendra compte du fait que seule cette dernière a été mise en demeure.


Dernière modification : le 31 août 2023 à 10 h 00 min.