résumé

 

 Lorsque la qualité véritable du bien vendu n’est pas conforme à celle de son apparence, le Code civil du Québec confère à l’acheteur une protection juridique sur mesure: la garantie de qualité. Cependant, cette solution dissimule elle aussi ses secrets. La garantie en question sert de façade à ses fondements juridiques qui échappent à la vue. Un des objectifs du présent ouvrage est de les rendre visibles.

 La vente est le contrat le plus courant de notre société et probablement du monde entier. La garantie de qualitéa, connue sous l’empire du Code civil du Bas Canada comme la garantie contre les vices cachés, est de loin l’obligation la plus importante que notre droit civil impose au vendeur. De fait, l’obligation de délivranceb du bien est normalement accomplie sans difficulté. Quant à la garantie du droit de propriétéc, l’ancienne garantie contre l’éviction, qui fut l’objet de grandes discussions théoriques à l’époque préindustrielle, elle ne soulève guère d’accroc de nos jours, car la vente des biens meubles est, en général, conclue par le vendeurprofessionnel et celle des immeubles bénéficie de la publicité foncière, ce qui lui assure une grande stabilité.

 En revanche, au cours de la même période, la garantie contre les vices a pris une importance inattendue pour les responsables de la première codification de notre droiten 1866, de même que pour ceux de la codification française de 1804. Le rôle majoré de la garantie découle d’une foule de facteurs dont la complexification des biens, en particulier la montée de leur niveau technique et dangereux, l’emploi de matériaux sans cesse nouveaux, la montée relativement récente de la doctrine du consumérisme, la transformation des techniques de commercialisation des biens meubles et immeubles ainsi que les méthodes modernes de fabrication permettant la production massive et en série de biens meubles et immeubles. Dès lors, la préoccupation sociale au sujet des biens défectueux a justifié l’introduction dans le Code civil du Québec d’une nouvelle responsabilité dans le domaine extracontractuel traitant précisément des biens non sécuritairesd.

 En 1866, la garantie fut envisagée comme une obligation liant uniquement le vendeur immédiat qui devait assurer l’absence de vices compromettant l’intégrité physique du bien. La jurisprudence, en vertu de l’ancien Code, l’a transformée en une responsabilité du fabricant à l’égard de tout sous-acquéreure. En introduisant dans notre droit la règle dite de non-cumul, le Code civil du Québec l’investit du rôle presque exclusif d’une responsabilité du fait des produits en matière contractuellef.

 Malgré son importance, la garantie se présente dans le Code sous une allure vague et imprécise. D’apparence, elle est constituée d’une série de règles et de notions aussi disparates que générales dont l’unité ne tient qu’au vœu et à l’œuvre du législateur. Ses dispositions font référence à des notions peu ou nullement définies telles que «vice», caractère «caché», le vendeur «ne pouvant ignorer» le vice et le «délai raisonnable». Chacune de ces notions paraît indépendante, devant établir ses propres sens et orientation, en l’absence de tout principe commun. 

 La jurisprudence qui porte sur la garantie de qualité du droit civil québécois ne manque pas. Nos recherches ont confirmé l’existence de plus de 1500 arrêtsquébécois qui en font l’application. Au Québec, entre 1976 et 1997, la garantie faisait, en moyenne, l’objet de 27 jugements publiés par année. Depuis 1998, le nombre moyen de jugements publiés qui portent sur la garantie de qualité a augmenté à 82 par année. Cependant, la doctrine québécoise traditionnelle ne lui a consacré que des commentaires sommaires et la doctrine moderne, malgré l’ampleur de la jurisprudence dont elle fait l’objet et peut-être en raison de celle-ci, s’est limitée à décrire les grandes lignes de ses règles principales. Aucune analyse n’a tenté d’examiner la garantie de façon globale afin de préciser ses fondements juridiques modernes, ce qui permettrait de faire le lien entre ceux-ci et les différentes règles particulières qui la composent. En raison d’une jurisprudence encombrante et d’une absence d’orientation unitaire de ses règles, la garantie est devenue un instrument juridique de stabilité douteuse et de vocation incertaineg. La mise en évidence de ses principes directeurs contribuera certainement à l’application cohérente de son contenu.

 Nous chercherons, dans le présent ouvrage, à déterminer si la garantie se résume à la somme de ses dispositions ou, au contraire, repose sur quelques fondements juridiques essentiels. De tels fondements doivent transcender le texte particulier des dispositions pour leur procurer une orientation commune. Ils doivent donner à la garantie une certaine logique interne. Enfin, ils devraient permettre de rendre compte des limites d’adaptabilité de la garantie et de sa capacité ou non de dépasser son cadre conceptuel.

 Les fondements juridiques de la garantie, s’ils existent, ont nécessairement une histoire. Dans un chapitre préliminaire, nous retracerons l’évolution de la garantiedepuis ses origines romaines en suivant ses développements et ses codifications successives dans notre droit. Nous aurons alors l’occasion d’observer l’évolution de la notion juridique de protection de la qualité du bien vendu jusqu’à son aboutissement dans le cadre actuel d’une garantie légale du vendeur dans le Code civil du Québec. L’examen nous permettra de montrer que la garantie résulte d’une fusion de deux obligations distinctes, dérivées d’un long développement, duquel découlent tout naturellement ses deux fondements juridiques modernes.

 La mise en évidence et la délimitation de l’influence de ses fondements juridiques imposent, à notre avis, l’examen de la totalité du contenu juridique de lagarantie.

10  Dans une première partie, nous tâcherons de disséquer à dessein l’essence même de la garantie, à savoir sa nature juridique, son domaine d’application et sa notion centrale de vice caché. Il sera alors possible de constater dans quelle mesure la garantie constitue un moyen d’expression de ses fondements juridiques et de mieux établir le véritable sens ainsi exprimé. L’analyse nous permettra aussi de vérifier si la garantie a su dépasser sa conception d’origine afin de répondre aux exigences commerciales, sociales et sécuritaires modernes. 

11  Dans une deuxième partie, nous nous emploierons à scruter le contenu de la garantie qui assure sa sanction, soit son exigence particulière de dénonciation dans un délai raisonnable et son régime d’indemnisation. Ce faisant, nous évaluerons comment ces aspects de la garantie servent ensemble d’instrument à l’actualisation de ses fondements juridiques. Cela nous donnera également l’occasion d’examiner si le régime indemnitaire de la garantie, dont la conception vise à réparer l’absence de qualitédu bien, permet à cette obligation d’assumer le rôle d’une responsabilité contractuelle du fait des produits que lui confère le Code civil du Québec.


Dernière modification : le 1 janvier 2008 à 19 h 30 min.