Résumé de l'affaire:

Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant confirmé une décision de la Cour supérieure qui avait autorisé un recours collectif en dommages-intérêts aux termes de la Loi sur les valeurs mobilières. Accueilli.

Au printemps 2010, Theratechnologies inc. (Thera) attendait que la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis approuve un nouveau médicament qui réduit l'excès de gras abdominal chez les patients atteints du VIH. Pendant que la demande suivait son cours, Thera a informé régulièrement ses actionnaires et la Commission des valeurs mobilières du Québec de l'évolution du processus à la FDA. Elle a également informé régulièrement ses actionnaires au sujet du résultat de ses études cliniques visant à évaluer l'efficacité et l'innocuité du médicament, y compris ses effets secondaires possibles. Les études indiquaient que les avantages du médicament étaient «obtenus sans effets secondaires significatifs».

Comme il est courant dans le cadre du processus d'approbation d'une drogue nouvelle, la FDA a soumis à un comité consultatif d'experts un certain nombre de questions au sujet de ce médicament, notamment des questions au sujet de ses effets secondaires possibles. La FDA a également rendu publiques ces questions en les incorporant dans une série de documents d'information affichés sur son site Web. Thera croyait que les documents d'information déjà fournis par elle à la FDA et les résultats cliniques déjà communiqués à ses investisseurs répondaient de façon exhaustive aux questions précises soulevées par la FDA. Lorsque des entreprises de cotation boursière ont publié ces questions, le prix des actions de la société a chuté. 121851 Canada inc., une société de portefeuille, a vendu ses actions de Thera au cours de cette période. En fin de compte, la FDA a approuvé le médicament et le prix des actions de Thera s'est rétabli.

121851 a demandé au tribunal l'autorisation d'intenter un recours collectif en dommages-intérêts contre Thera, conformément à l'article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières, alléguant que les renseignements au sujet des effets secondaires possibles du médicament et les questions de la FDA au sujet de ces effets secondaires équivalaient à un changement important dans l'activité, l'exploitation ou le capital de Thera, ce qui donnait naissance à l'obligation, prévue à l'article 73 de la Loi sur les valeurs mobilières, de fournir l'information occasionnelle.

L'article 225.4 confère au tribunal un rôle d'un gardien qui accorde une autorisation «s'il estime que l'action est intentée de bonne foi et qu'il existe une possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause». Le premier juge a conclu que le mécanisme d'autorisation prévu à l'article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières impose un critère préliminaire plus strict que celui prévu à l'article 1003 du Code de procédure civile (C.P.C.), qui traite de l'autorisation générale d'intenter un recours collectif, mais il a jugé que la preuve était suffisante pour étayer la conclusion que l'action intentée par 121851 avait une possibilité raisonnable de succès. La Cour d'appel a convenu avec le premier juge que le mécanisme de filtrage prévu à l'article 225.4 était plus exigeant que le critère d'autorisation d'un recours collectif prévu par l'article 1003 C.P.C. et qu'il exigeait plus qu'une simple possibilité d'avoir gain de cause. Elle a également conclu qu'il avait été satisfait à ce critère en l'espèce.

Décision
Mme la juge Abella: L'article 225.4 de la Loi sur les valeurs mobilières s'inscrit dans un nouveau régime visant à lutter contre les atteintes à l'obligation d'information continue dans le marché secondaire, le marché où se négocient publiquement les actions qu'une entreprise a émises ou distribuées. La réforme s'inspire des recommandations faites par le comité Allen à la suite d'un certain nombre d'affaires médiatisées de déclarations inexactes impliquant des sociétés ouvertes. Le comité a conclu que les recours offerts aux investisseurs du marché secondaire lésés par une divulgation trompeuse étaient si difficiles à exercer qu'ils étaient largement illusoires. En conséquence, il a recommandé la création d'un régime légal de responsabilité civile qui aiderait les investisseurs à poursuivre en justice les émetteurs, les dirigeants et les administrateurs qui manquent à leurs obligations légales d'information.Sous le nouveau régime québécois, lorsqu'un titre est acquis ou transféré à la suite d'une fausse déclaration ou d'un défaut de fournir une information qui aurait dû l'être, la fluctuation de la valeur du titre est présumée être attribuable à cette faute. Les investisseurs se trouvent ainsi libérés du fardeau de démontrer que l'écart enregistré dans le prix du marché pour ce titre est lié à cette information erronée ou à ce défaut de fournir l'information, et du fardeau de démontrer qu'ils se sont personnellement fiés à cette information ou à l'absence de l'information au moment de l'achat ou du transfert du titre. Afin de décourager le genre de recours opportunistes devenus courants aux États-Unis en vertu de régimes plus favorables aux investisseurs, le régime québécois a prévu un mécanisme d'autorisation — l'article 225.4 — afin de ne permettre que les actions intentées de bonne foi, s'il existe une «possibilité raisonnable que le demandeur ait gain de cause». Le régime visait donc l'atteinte d'un équilibre entre la volonté de mettre un frein aux recours injustifiés ou opportunistes et celle d'offrir aux investisseurs un recours valable lorsque les émetteurs ne respectent pas leurs obligations d'information.

La «possibilité raisonnable» que le demandeur ait gain de cause qu'exige l'article 225.4 établit un critère plus exigeant que le critère général d'autorisation applicable en matière de recours collectif prévu à l'article 1003 C.P.C. Sous le régime de l'article 1003, le tribunal cherche seulement à déterminer si «les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées», c'est-à-dire si le demandeur a établi «une apparence sérieuse de droit». Le législateur québécois a employé un libellé différent à l'article 225.4 pour créer un mécanisme de filtrage qui soit plus significatif dans le contexte des valeurs mobilières et qui fasse ainsi obstacle aux poursuites opportunistes coûteuses et aux demandes non fondées. Le critère préliminaire exige une possibilité raisonnable ou réaliste que le demandeur ait gain de cause.

Pour démontrer une possibilité réaliste d'avoir gain de cause, le demandeur doit présenter des éléments de preuve crédibles à l'appui de sa demande. Les tribunaux doivent donc entreprendre un examen raisonné de la preuve afin de s'assurer que l'action peut être fondée, mais l'étape de l'autorisation prévue par l'article 225.4 ne doit pas être traitée comme un mini procès. Si le mécanisme de filtrage a pour objectif d'écarter les poursuites opportunistes coûteuses et celles qui ont peu de chances d'être accueillies, il s'ensuit que les exigences en matière de preuve ne doivent pas être lourdes au point d'être pratiquement identiques à celles d'un procès. Il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse complète de la preuve. Ce qui est exigé, c'est une preuve suffisante pour convaincre le tribunal de l'existence d'une possibilité réaliste que le demandeur ait gain de cause.

121851 allègue que Thera a dérogé à l'article 73 de la Loi sur les valeurs mobilières qui oblige les émetteurs à fournir aux investisseurs l'information occasionnelle au sujet d'un changement important. Un changement important comporte deux éléments. Il faut un changement dans l'activité, l'exploitation ou le capital de l'émetteur, et ce changement doit être important, c'est-à-dire qu'il doit être raisonnable de s'attendre à ce qu'il ait un effet appréciable sur le cours ou la valeur des titres de l'émetteur. 121851 soutient que lorsque Thera a reçu les documents d'information de la FDA destinés au comité consultatif, elle aurait dû y répondre par un communiqué de presse. Mais 121851 n'a présenté aucun élément de preuve de nature à constituer un changement important dans l'activité, le capital ou l'exploitation de Thera au sens de l'article 5.3 de la Loi sur les valeurs mobilières. Les résultats de ces essais cliniques, y compris les effets secondaires possibles, ont été communiqués aux actionnaires aussitôt qu'ils ont été disponibles. Aucun nouveau renseignement sur les effets secondaires du médicament ne devait faire l'objet d'une information occasionnelle lorsque la FDA a fait mention de ces effets secondaires dans les documents d'information.

121851 n'a pas non plus signalé aucun élément de preuve tendant à indiquer que les questions posées à son comité consultatif par la FDA au sujet de ces effets secondaires, ou, de façon plus générale, que le contenu de ses documents d'information, s'écartaient d'une quelconque façon du processus courant par lequel la FDA décide si un médicament doit être approuvé. Il s'agit plutôt d'une étape courante qui fait partie du travail de la FDA de décider si les avantages d'un médicament l'emportent sur les risques qu'il présente. Il est difficile de considérer ces questions comme constituant, dans les activités commerciales, l'exploitation ou le capital de Thera, une forme de changement exigeant de cette dernière qu'elle réagisse publiquement de façon rassurante.

Étant donné que la preuve ne permet pas de conclure de manière crédible qu'un changement important a donné naissance à des obligations d'information, il n'existe aucune possibilité raisonnable que 121851 ait gain de cause dans son action intentée sur le fondement de l'article 73 de la Loi sur les valeurs mobilières.


Dernière modification : le 23 juillet 2022 à 13 h 27 min.