Résumé de l'affaire

Appels d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté le recours de l'appelante en dommages-intérêts et la demande reconventionnelle de l'intimé en dommages-intérêts. Rejetés.
En novembre 1982, C. a été blessé au cours d'un accident du travail. Victime d'une rechute en novembre 1990, il a subi une intervention chirurgicale en mars 1991 et, le 6 avril suivant, à la suite d'une injection effectuée au moyen d'un cathéter installé dans la région lombaire, il a notamment fait une syncope avec choc vagal et est demeuré trois jours dans le coma à la suite d'arrêts cardiaques, ce qui lui a occasionné des dommages irréversibles au cerveau. En avril 1994, C. et sa conjointe, D., la mère de l'appelante, ont intenté un recours en responsabilité à l'encontre du médecin ayant effectué l'injection et de l'hôpital où les événements s'étaient déroulés. En août 1995, l'intimé a comparu à titre de nouvel avocat au dossier. Celui-ci a suggéré à D. d'obtenir une procuration l'autorisant à agir au nom de C. Le 21 octobre 1996, un mandat professionnel a été officiellement confié à l'intimé. Le 15 octobre 1997, D. a obtenu une deuxième procuration de C., notariée, l'autorisant à gérer et à administrer tous ses biens, meubles et immeubles, sans restriction aucune et qui comportait également une clause d'inaptitude. Le même jour, C. a avantagé D. dans un testament. Le 12 novembre, une transaction est intervenue entre le médecin et les clients de l'intimé. Ce dernier a alors présenté une requête pour faire entériner le règlement signé par C., qui a été accueillie le 21 novembre. Le dossier a continué de cheminer contre l'hôpital et un autre médecin jusqu'à ce que, le 12 mars 2002, D. ait révoqué le mandat de l'intimé. Quelques semaines plus tard, ce dernier a réclamé à ses ex-clients une somme de 32 523 $ en honoraires et, le 19 avril suivant, C. et D. ont répliqué par une demande de conciliation du compte d'honoraires au Barreau du Québec, ce qui a donné lieu à un arbitrage. En mai, l'appelante a été nommée tutrice aux biens et à la personne de C. En août 2004, elle a intenté un recours à l'encontre de l'intimé, lui reprochant de ne pas avoir demandé l'ouverture d'un régime de protection en faveur de C., recherchant l'annulation du mandat professionnel qui lui avait été confié et lui réclamant le remboursement d'une somme de 50 000 $ représentant l'excédent d'une facturation raisonnable pour les services rendus sur la somme totale payée de 95 000 $. L'appelante a également réclamé des dommages-intérêts pour les troubles et les inconvénients subis (25 000 $) ainsi que des dommages exemplaires (25 000 $) en raison de l'exploitation d'une personne que l'intimé savait être dans un état d'inaptitude. Se portant demandeur reconventionnel, l'intimé lui a pour sa part réclamé des honoraires extrajudiciaires pour abus de droit, une indemnité à titre de dommages-intérêts en raison des procédures abusives entreprises tant devant la Cour supérieure que devant le Conseil d'arbitrage de même que le remboursement d'honoraires. La juge de première instance a conclu à l'absence de préjudice en application de l'article 290 du Code civil du Québec (C.C.Q.). Enfin, elle a rejeté la demande reconventionnelle de l'intimé au motif qu'elle était prescrite et sans fondement.

Décision

M. le juge Rochette: Quant à l'appel incident, l'intimé réclame une somme de 48 208 $ qu'il n'a pas demandée à C. à l'occasion du règlement à l'amiable de novembre 1997. Or, ce chef de réclamation est prescrit. En ce qui concerne les agissements répréhensibles de l'appelante, essentiellement un abus de procédures dans la conduite du litige devant le conseil d'arbitrage, sa réclamation pour honoraires extrajudiciaires, troubles et inconvénients ainsi que perte de temps et de salaire est sans fondement. Par conséquent, la juge n'a pas commis une erreur révisable en rejetant sa demande reconventionnelle.

En ce qui concerne l'appel principal, les déterminations de fait de la juge de première instance sont tenues pour avérées tant sur l'état d'inaptitude de C. que sur la connaissance que l'intimé devait en avoir. Par ailleurs, la convention d'honoraires est valide et elle doit produire ses effets, sous réserve de la prétention de l'appelante selon laquelle les obligations financières en découlant doivent être réduites. En l'absence d'une erreur manifeste et déterminante de la juge, il faut également retenir ses conclusions selon lesquelles, notamment, aucun préjudice matériel ou moral n'a découlé de l'absence de représentation juridique, la position de force dans laquelle se trouvait l'intimé n'a pas eu de conséquences négatives sur les intérêts de C. et ce dernier n'a pas été victime d'exploitation. En l'espèce, la convention d'honoraires est intervenue cinq ans et demi avant l'ouverture de la tutelle de C. Quant à l'interprétation qu'il faut donner à l'article 290 C.C.Q. et à la portée qu'il faut attribuer aux termes «sur la seule preuve», il est difficile de dégager clairement l'intention du législateur. Si la nullité relative de l'acte peut être invoquée, auquel cas le contrat est censé ne pas avoir existé et ses effets sont anéantis, les personnes protégées qui ne sont pas assujetties au régime général de la restitution intégrale sont néanmoins tenues de restituer les prestations jusqu'à concurrence de l'enrichissement qu'elles en conservent. Cette avenue ne convenait manifestement pas à l'appelante. Quant à la réduction des obligations (art. 1407 C.C.Q.), il faut retenir que celle-ci est nécessairement liée au préjudice, qu'il s'agisse de la perte contractuelle subie ou de dommages au sens plus large du terme. Dans ce contexte, les articles 1406 et 1604 C.C.Q., sont également pertinents. Ce dernier article précise d'ailleurs, à son troisième alinéa, ce qu'il faut entendre par la réduction proportionnelle d'une obligation corrélative. Il est vrai que, en ce qui concerne les actes faits antérieurement à l'entrée en vigueur de la tutelle, la démonstration d'une lésion ou d'un déséquilibre important n'est pas nécessaire sur preuve que l'inaptitude était connue du contractant. Une lésion présumée n'équivaut toutefois pas nécessairement à un dommage ou à un préjudice. Aux articles 283 et 294 C.C.Q., qui reprennent les termes «sans qu'il soit nécessaire d'établir un préjudice», le mot «préjudice» vise d'ailleurs la lésion et non la réparation. En somme, les articles 284 et 290 C.C.Q. ne dispensent pas le réclamant de démontrer la disproportion dans les prestations ou ses dommages. En l'espèce, la juge a usé judicieusement de la latitude que lui confère la nouvelle philosophie contractuelle adoptée par le Code civil du Québec, qui facilite désormais le réaménagement du contrat lorsque cela paraît indiqué. Par ailleurs, même dans le contexte d'une demande de nullité, et en tenant pour acquis que l'article 1706 C.C.Q. reçoit application, la restitution des prestations n'est pas arbitraire. Le juge doit alors déterminer, sur la foi de la preuve administrée, la quotité de restitution des prestations qui est indiquée pour que la personne protégée ne s'en trouve pas enrichie. Enfin, en ce qui concerne le dernier moyen invoqué par l'appelante, la juge a conclu à bon droit qu'il n'y a pas eu exploitation d'une personne handicapée au sens de l'article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne, et encore moins une atteinte intentionnelle.


Dernière modification : le 9 août 2022 à 20 h 49 min.