En bref
Permis: Le prêteur d'argent dont la créance est garantie par hypothèque mobilière ne bénéficie pas de l'exception prévue au paragraphe 18 e) du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur et il doit être titulaire d'un permis.
Résumé de l'affaire
Requête en révision judiciaire d'une décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ) ayant confirmé une décision de la présidente de l'Office de la protection du consommateur (Office). Rejetée.
En mars 2001, la requérante a présenté une demande de renouvellement de son permis de prêteur d'argent. Le 11 juin suivant, après enquête, le service des permis de l'Office l'a avisée de sa recommandation de refuser sa demande aux motifs que ses contrats de prêt d'argent comportaient des taux d'intérêts abusifs, excessifs et contraires à l'intérêt public et qu'ils enfreignaient la Loi sur la protection du consommateur (la loi) en ne reproduisant pas les mentions requises. La requérante prétend que la réforme du Code civil du Québec de 1994 a transformé le gage en hypothèque mobilière, de sorte que, dorénavant, l'exception prévue à l'article 18 e) du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur s'applique à l'hypothèque mobilière et la dispense de détenir un permis de prêteur sur gages. L'Office soutient que cette exception s'applique strictement au commerçant dont le prêt d'argent est garanti par une hypothèque immobilière. La décision de la présidente de l'Office a été confirmée par le TAQ et la requérante en demande la révision judiciaire. Elle allègue que la présidente n'était pas compétente pour tenir une enquête à son sujet. Enfin, contrairement au TAQ et à la présidente de l'Office, pour qui la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable, la requérante soutient que, en présence d'une question de compétence, l'effet de la clause privative est exclu et que la norme est celle de la décision correcte.
Résumé de la décision
La présidente de l'Office a été valablement saisie d'une demande de renouvellement de permis et elle pouvait se prononcer sur la question à l'intérieur de sa compétence. Dans chaque cas de révision judiciaire, la norme de contrôle doit être déterminée selon la méthode de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Cette méthode implique l'examen de l'intention du législateur en gardant en perspective l'obligation constitutionnelle des tribunaux de protéger la légalité. Par ailleurs, les décisions d'un même organisme peuvent être soumises à des normes différentes en fonction de la nature de la question. En l'espèce, hormis une question de compétence, la combinaison des articles 14, 158 et 159 de la Loi sur la justice administrative constitue une clause privative complète imposant une importante retenue judiciaire. Cependant, même s'il s'agit d'une question de compétence, le législateur a accordé au TAQ des pouvoirs étendus, ce qui invite à considérer la révision judiciaire avec un certain degré de déférence. Par ailleurs, en ce qui concerne l'expertise du tribunal administratif, facteur le plus important à considérer, il est clair que la Section économique du TAQ a une expertise plus grande que le tribunal de révision quant à l'application des conditions de délivrance des permis. Toutefois, la question soulevée porte sur l'effet de l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, une pure question de droit à l'égard de laquelle la Cour supérieure est aussi qualifiée. À expertise égale sur une question d'interprétation d'une loi générale, le tribunal de révision doit faire preuve d'une certaine retenue. Quant à l'objet de la Loi sur la justice administrative, il est d'offrir à l'administré un mécanisme de contestation plus accessible que la révision judiciaire. Il commande une plus grande déférence, mais ce degré de retenue doit être pondéré par les autres facteurs. Enfin, en ce qui a trait à la nature de la question soulevée, il s'agit d'une question de droit nécessitant l'interprétation de lois qui sont étrangères à la loi constitutive du TAQ. Cependant, la réponse à cette question est constitutive de compétence, ce qui oblige à une certaine déférence. En pondérant les différents facteurs, il faut conclure que la décision du TAQ est soumise à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Par ailleurs, cette même norme est celle applicable à la décision du TAQ relativement à la contestation de la décision de la présidente de l'Office.
La loi constitutive du TAQ lui confère le pouvoir de trancher toute question nécessaire à l'exercice de sa compétence et, hormis l'appréciation de l'intérêt public, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée. En l'espèce, le raisonnement du TAQ est fondé sur les règles d'interprétation et la doctrine. Le sens d'un texte législatif doit être recherché dans son contexte, au moment où il a été formulé. On découvrira l'intention du législateur à l'aide notamment de l'historique législatif, de l'objet et de l'esprit de la loi. La Loi sur la protection du consommateur est une loi de protection qui déroge au droit commun. Elle vise à rétablir un certain équilibre dans les rapports juridiques entre commerçants et consommateurs. Elle gouverne notamment les règles de formation des contrats de prêt d'argent et le calcul des frais de crédit. Elle est d'ordre public. En ce qui concerne la notion d'hypothèque, elle ne pouvait, lors de l'adoption de la Loi sur la protection du consommateur, en 1978, ou de son règlement d'application, en 1981, inclure que l'hypothèque immobilière, la notion d'hypothèque mobilière ayant été introduite, plus tard, par le Code civil du Québec. Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres, et la lecture des articles 18 à 24 du règlement précité indique clairement que, chaque fois qu'il est question d'hypothèque, celle-ci est reliée à la notion d'immeuble; aucun des concepts évoqués par ces articles ne s'apparente à la notion de gage avec dépossession. Par ailleurs, on constate que les exclusions ou les exceptions dont font l'objet certains commerçants sont fondées sur le fait que des mesures de protection équivalentes sont offertes par d'autres lois. Ainsi, les hypothèques immobilières sont assujetties au Code civil du Québec, à la Loi sur le notariat et à la Loi sur l'intérêt. En outre, jusqu'à ce jour, le législateur n'a pas mis en vigueur les exceptions à l'application de la loi à l'égard du crédit garanti par hypothèque prévues aux paragraphes c) et d) de l'article 6 de la loi. Cela dénote son intention de ne pas exclure de l'application de la loi les contrats concernant le crédit garanti par hypothèque mobilière.
En cas de conflit de lois, différentes règles d'interprétation permettent de dégager l'intention du législateur. L'application du principe de la préséance de la loi postérieure n'est applicable qu'en cas de lois inconciliables et en l'absence de dispositions expresses de hiérarchisation. De plus, la loi spéciale antérieure doit prévaloir. Ainsi, on donne effet à la loi antérieure pour les cas particuliers qu'elle vise et à la loi postérieure dans les autres cas. En appliquant ces règles à l'espèce, on peut donner effet au Code civil du Québec sans écarter la Loi sur la protection du consommateur. Si le législateur avait voulu soustraire les transactions hypothécaires mobilières à l'application de cette dernière, il l'aurait prévu expressément. Quant aux lois postérieures, elles ne seront prises en considération pour inférer le sens de la loi antérieure que lorsqu'elles portent sur des questions connexes et qu'il y a une réelle ambiguïté. Enfin, la présomption de stabilité du droit fait en sorte que l'on ne peut présumer de l'intention du législateur de déroger au droit existant sans une déclaration expresse à cette fin. En appliquant les règles d'interprétation ci-dessus, il faut conclure que le postulat juridique de la requérante voulant que les prêteurs sur gage soient soustraits à l'application de la loi est irrationnel. Par ailleurs, la requérante ne peut prendre appui sur l'article 134 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil et prétendre que, aux fins de l'interprétation du Règlement d'application de la Loi sur la protection du consommateur, le gage a été transformé en hypothèque mobilière avec dépossession. L'application du principe de correspondance énoncé à l'article 423 de cette dernière loi fait en sorte que l'«hypothèque» dont il est question au Code civil du Bas Canada correspond à la notion d'«hypothèque immobilière» prévue au Code civil du Québec et non aux deux notions que sont les hypothèques mobilières et immobilières. Soulignons que le terme «gage» a été conservé dans le nouveau code lorsqu'il s'agit d'une hypothèque mobilière avec dépossession. Finalement, les mots «gage» ou «nantissement» n'ont jamais été employés à l'article 18 du règlement, et la loi d'application ne peut avoir pour effet d'ajouter des correspondances qui étaient absentes du texte.