En bref
Les frais de conversion facturés aux détenteurs de cartes de crédit émises par la Fédération des caisses Desjardins du Québec pour des achats en devises étrangères constituent des frais associés à l'utilisation d'un service accessoire et non pas des frais de crédit.
Les frais de conversion facturés aux détenteurs de cartes de crédit pour des achats en devises étrangères ne constituent pas des frais de crédit au sens de la Loi sur la protection du consommateur.
L'appel de la Fédération des caisses Desjardins du Québec, qui a été condamnée à rembourser 28 392 240 $ dans le contexte d'un recours collectif concernant la perception de frais lors de l'utilisation d'une carte de crédit pour effectuer des paiements en devises étrangères (frais de conversion), est rejeté.
Résumé de l'affaire
Appels d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli un recours collectif visant le remboursement de frais de crédit. Appel principal accueilli et appel incident rejeté.
L'intimé Marcotte est détenteur d'une carte de crédit Visa émise par la Fédération des caisses Desjardins du Québec. Lorsqu'il a utilisé cette carte à l'étranger pour effectuer des achats en devises locales, Desjardins lui a facturé des frais de conversion. L'intimé a intenté un recours collectif contre neuf banques et contre Desjardins afin de réclamer le remboursement de tous les frais de conversion payés par les détenteurs de cartes de crédit Visa ou MasterCard. Selon lui, les frais facturés par Desjardins lorsqu'une carte de crédit est utilisée pour effectuer des paiements en devises étrangères constituent des frais de crédit au sens des dispositions de la Loi sur la protection du consommateur en matière de crédit variable. Par conséquent, afin d'être légalement réclamés, ils devaient être inclus dans le taux de crédit mentionné au contrat et sur les relevés mensuels. De plus, l'intimé considère que les détenteurs de cartes de crédit devaient bénéficier d'un délai de grâce de 21 jours à l'égard de ces frais, qu'ils n'avaient donc pas à payer s'ils acquittaient leur solde mensuel dans ce délai. Le juge de première instance a accueilli le recours et a condamné Desjardins à rembourser 28 392 240 $ aux membres du groupe pour la période de 2004 à 2007, par voie de recouvrement collectif. Quant à la période de 2000 à 2003, il a déclaré illégale la perception de frais de conversion, mais il a ordonné que leur recouvrement fasse l'objet de réclamations individuelles. Or, Desjardins prétend que les frais de conversion doivent être considérés comme une composante du capital net avancé au sens de l'article 68 de la loi et non comme des frais de crédit au sens des articles 69 et 70 ou, subsidiairement, que ces frais sont régis par l'article 271 de loi, en l'absence de préjudice pour le consommateur. De plus, Desjardins soutient que l'utilisation d'une carte de crédit constitue une opération relative à une lettre de change ou à un billet à ordre au sens de l'article 91 (18) de la Loi constitutionnelle de 1867, laquelle est de compétence fédérale. Enfin, en appel incident, l'intimé demande d'arrêter un montant de 13 102 865 $ pour la période de 2000 à 2003 et d'en ordonner le recouvrement collectif.
Résumé de la décision
M. le juge Dalphond: Dans un premier temps, puisque la presque totalité des frais de conversion de 1,8 % sont au bénéfice de Desjardins, le juge de première instance pouvait considérer que ces frais étaient imposés par cette dernière et non par le système Visa. Par contre, les frais de conversion ne constituent pas des frais de crédit au sens des articles 67 et ss. de la loi. En effet, en vertu de ces dispositions, les montants portés au compte d'un consommateur dans le contexte d'un contrat de crédit variable associé à une carte de crédit sont considérés comme du capital net, soit comme des frais de crédit. Par l'utilisation du mot «notamment» à l'article 70 de la loi, le législateur a voulu donner une interprétation non limitative des termes «frais de crédit», lesquels peuvent être regroupés en deux catégories: les frais associés aux étapes préalables à l'accès au crédit ainsi que les frais subséquents associés à l'utilisation du crédit. Or, lorsqu'un consommateur choisit de se prévaloir de l'option de paiement en devises étrangères rattachée à sa carte de crédit, plutôt que de payer en dollars canadiens un commerçant étranger qui offre cette possibilité ou d'utiliser de la monnaie locale, il utilise alors un service associé à sa carte, soit le paiement en devises autres que celle rattachée à son contrat de crédit. L'utilisation de ce service nécessite une conversion qui, en l'espèce, s'est effectuée selon une méthode dévoilée par Desjardins et connue de l'intimé. Ces frais ne sont pas exigés pour avoir accès au crédit ou garantir son remboursement. Ils constituent plutôt des frais associés à l'utilisation d'un service de conversion accessoire offert aux détenteurs de cartes de crédit. D'ailleurs, même si ces frais étaient assimilés à des frais de crédit et inclus dans le calcul du taux de crédit, le consommateur bénéficierait d'un délai de grâce de 21 jours à l'égard de ceux-ci. Celui qui acquitte la totalité de son solde chaque mois ne pourrait alors se voir imposer de tels frais et bénéficierait d'un service gratuit, dont les coûts seraient ultimement supportés par d'autres consommateurs à qui ils n'auraient pas été dévoilés. De plus, le taux de conversion facturé par Desjardins était compétitif, voire généralement favorable aux consommateurs. Par conséquent, l'intimé n'a subi aucun préjudice. Quant à l'article 272 de la loi, il ne s'applique pas et, même en présence de frais de crédit, le rejet de la demande de remboursement aurait été approprié. Enfin, il n'y a pas lieu de traiter longuement de l'argument constitutionnel invoqué par Desjardins. La facturette signée par le détenteur d'une carte de crédit au moment d'un paiement tient beaucoup plus de la reconnaissance de dette que de la lettre de change, qui requiert un tireur, un tiré et un ordre de paiement en faveur du commerçant.