Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement déclaratoire de la Cour supérieure. Rejeté.
À l'automne 2012, Jean Fournier a retenu les services de Nadeau et de Nadeau Air Service inc. pour ramener au Québec un aéronef dont il avait fait l'acquisition et qui se trouvait en Alberta. Lors du voyage, l'aéronef s'est écrasé, entraînant notamment le décès de Yannick Fournier. Les appelants, qui ont tous un lien de parenté avec Yannick Fournier et qui sont principalement domiciliés au Québec — ses beaux-parents par alliance sont domiciliés en Colombie-Britannique —, ont intenté une action contre les intimées, alléguant que l'accident serait attribuable à des erreurs de Nadeau, et ils réclament donc des dommages-intérêts contre les héritiers du pilote et son employeur. Les parties ont soumis une demande conjointe sur une question de droit, à savoir celle de la loi applicable au dossier pour l'évaluation des dommages subis par les appelants. Ces derniers ont fait valoir que l'évaluation était régie par la loi ontarienne puisque l'accident et le décès avaient eu lieu dans cette province. Selon les intimées, c'est plutôt le droit du Québec qui était applicable, car l'auteur de la faute alléguée ainsi que les principales victimes résidaient au Québec. Le juge de première instance a conclu que l'article 3126 du Code civil du Québec (C.C.Q.) désignait la loi ontarienne comme la loi applicable au litige conformément au principe de la lex loci delicti. Il a néanmoins écarté la loi ontarienne au profit de la loi québécoise et a invoqué l'article 3082 C.C.Q., étant notamment d'avis qu'il s'agissait de la loi «du centre de gravité réel de la situation».
Décision
M. le juge Mainville: L'article 3126 C.C.Q., qui énonce la règle lex loci delicti, prévoit deux exceptions, soit: 1) si le préjudice est apparu dans un autre État et l'auteur devait prévoir que celui-ci s'y manifesterait; et 2) si l'auteur et la victime ont leur résidence dans le même État. Ces deux exceptions ne sont pas respectées. Quant à la première, la réclamation des enfants mineurs de Yannick Fournier visait les préjudices liés à la souffrance et aux douleurs que leur père avait subies dans les heures qui ont suivi l'écrasement ou attribuables à l'appréhension de son décès, lesquels se sont de toute évidence manifestés en Ontario, et il importe peu que les autres préjudices subis, par ricochet, par les appelants soient apparus au Québec ou en Colombie-Britannique. Quant à la seconde, il faut considérer que certains des appelants n'ont pas leur domicile ou leur résidence au Québec. La loi ontarienne est donc applicable. Or, la seule assise à la réclamation des beaux-parents par alliance est dans le droit québécois et non dans le droit ontarien, qui n'ouvre le droit de recouvrer d'un tiers la perte pécuniaire qui résulte du décès d'une victime qu'au conjoint et aux enfants, petits-enfants, parents, grands-parents, frères et soeurs de la victime. Il serait donc incongru de conclure à l'application du droit ontarien au litige au motif que certains des appelants sont domiciliés en Colombie-Britannique, alors que la réclamation de ces mêmes appelants serait irrecevable sous le droit ontarien. Il s'agit en l'espèce d'un cas extraordinaire et vraiment exceptionnel qui justifie l'application de l'article 3082 C.C.Q. afin d'écarter la loi ontarienne et d'appliquer plutôt celle du Québec à l'ensemble du litige.


Dernière modification : le 14 août 2022 à 15 h 56 min.