Résumé de l'affaire

Pourvois en appel d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant infirmé en partie une décision de la Cour du Québec. Le pourvoi formé par 3091-5177 Québec inc., f.a.s.r.s. Éconolodge Aéroport, est accueilli en partie et celui formé par Promutuel Portneuf-Champlain, société mutuelle d'assurance générale est accueilli.
L'hôtelier est propriétaire d'un hôtel offrant la formule hébergement, stationnement et envol («park and fly»), qui invite les clients à dormir dans ses chambres, à laisser leur voiture dans son stationnement pendant leur voyage et à se rendre à l'aéroport grâce à son service de navette. Durant la période hivernale, les clients qui laissent leur voiture dans le stationnement de l'hôtel doivent remettre leurs clés à la réception afin que leur voiture puisse être déplacée pour assurer le déneigement. Au cours des hivers 2005 et 2006, les voitures de deux clients sont volées dans le stationnement de l'hôtel. Les propriétaires sont indemnisés pour leur perte par leur assureur respectif, soit AXA Assurances Inc. et Promutuel Portneuf-Champlain, société mutuelle d'assurance générale. Subrogés dans les droits de leurs assurés, ces assureurs intentent chacun un recours contre l'hôtelier pour recouvrer le montant de l'indemnisation versée. Promutuel intente également un recours direct contre l'assureur de l'hôtelier, la Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard. Dans le dossier qui l'oppose à Axa, l'hôtelier appelle Lombard en garantie. Les recours intentés sont réunis et instruits ensemble.

La première juge retient la responsabilité de l'hôtelier pour le vol de la voiture dans le dossier qui l'oppose à Axa, alors que cette responsabilité est acquise par jugement rendu par défaut dans le dossier qui oppose l'hôtelier à Promutuel. La première juge conclut ensuite que la clause incluse dans la police d'assurance responsabilité civile de l'hôtelier, prévoyant une exclusion de couverture pour la privation de jouissance, la détérioration ou la destruction des biens meubles dont l'assuré a la garde ou sur lesquels il a un pouvoir de direction ou gestion, ne s'applique pas en l'espèce, malgré le fait que les clés des voitures des clients doivent être laissées à la réception de l'hôtel. Elle condamne donc Lombard à indemniser l'hôtelier et Promutuel. La Cour d'appel confirme le jugement de la première juge en ce qui concerne la responsabilité pour les vols de voitures mais elle accueille l'appel dans les deux dossiers sur la question de la clause d'exclusion, estimant que celle-ci s'applique en l'espèce.

Décision
M. le juge Gascon, à l'opinion duquel souscrivent le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown et Martin: Les instances inférieures n'ont pas erré en concluant que l'hôtelier est responsable du vol de la voiture assurée par Axa, et il n'y a donc pas matière à intervention sur cette question.

La juge de première instance n'a pas commis d'erreur en qualifiant le contrat qui lie l'hôtelier à ses clients de contrat de services au sens de l'article 2098 du Code civil du Québec (C.C.Q.). La qualification de la relation contractuelle entre l'hôtelier et ses clients est une question mixte de fait et de droit puisqu'elle nécessite ici l'examen de la preuve de l'intention commune des parties; par conséquent, elle commande la déférence en appel. La juge de première instance a considéré avec raison la globalité de l'offre de services de l'hôtelier pour procéder à la qualification du contrat. En tant qu'hôtel de type «park and fly», il offre plusieurs services à ses clients, notamment des services d'hébergement, de stationnement et de navette. Il est inapproprié de dissocier ces services alors que c'est l'ensemble de l'offre qui est considérée par les clients et qui est publicisée par l'hôtelier. Puisque les clients sont invités par l'hôtelier à laisser leur véhicule dans son stationnement pendant leur absence, ils sont raisonnablement en droit de s'attendre à ce que l'hôtelier veille à leurs intérêts et prenne les mesures de sécurité qui s'imposent dans les circonstances. S'agissant d'un contrat de services, l'hôtelier avait l'obligation d'agir au mieux des intérêts de ses clients, avec prudence et diligence, aux termes de l'article 2100 C.C.Q. La détermination voulant que l'hôtelier ait violé son obligation de prudence et de diligence en ne prenant pas des mesures raisonnables afin de sécuriser son stationnement, et ce, à l'insu de sa clientèle, est une conclusion mixte de fait et de droit qui commande également déférence en appel, car une évaluation des faits est nécessaire pour parvenir à cette conclusion. Enfin, la conclusion de la juge de première instance que le lien causal entre la faute et le dommage était évident ne peut être révisée en l'absence d'erreur manifeste et déterminante, puisqu'il s'agit d'une question de fait.

Par ailleurs, la conclusion de la juge de première instance sur la question de la garde des véhicules volés n'était entachée d'aucune erreur manifeste et déterminante pouvant justifier l'intervention de la Cour d'appel. La remise des clés de leur voiture par les clients à l'hôtelier n'entraîne pas l'application de la clause d'exclusion de garde, direction ou gestion prévue à la police d'assurance.

Bien que la garde soit un concept juridique, la détermination de la garde est une question hautement factuelle qui reste tributaire des circonstances particulières de chaque espèce. Par conséquent, déterminer si l'hôtelier avait ou non la garde des véhicules est une question mixte de fait et de droit et la réponse donnée par la juge de première instance mérite la déférence en appel. En l'espèce, la conclusion de la juge sur la portée limitée de la remise des clés prend solidement appui sur l'évaluation de la preuve administrée.

La remise des clés est certes un fait pertinent dans la détermination de la garde du bien puisque celles-ci permettent l'accès au véhicule. Par contre, la remise des clés ne constitue pas automatiquement un transfert de la garde. Pour déterminer s'il y a eu transfert de la garde et donc du contrôle d'un bien, il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances, incluant, le cas échéant, la raison pour laquelle il y a eu une remise de clés. Cette raison est importante, car elle marque la distinction entre la garde et la simple détention physique des véhicules, qui sont deux notions distinctes. Le détenteur d'un bien n'en a pas la garde lorsqu'il ne peut exercer qu'un pouvoir limité, et non général, sur le bien. En l'espèce, la conclusion de la juge de première instance que la remise des clés avait pour seul but de permettre le déneigement du stationnement prend appui sur la preuve de l'intention des parties. La juge pouvait conclure de son analyse de la preuve entendue que le pouvoir de l'hôtelier de déplacer les véhicules était limité aux cas d'accumulation de neige et que cela n'était pas suffisant en soi pour opérer transfert de la garde des voitures volées.

Enfin, il n'existe aucune incohérence entre les conclusions de la juge de première instance qui reconnaît, d'une part, que l'hôtelier avait une obligation de prudence et de diligence et, d'autre part, qu'il n'avait pas la garde des voitures ou de pouvoir de direction ou de gestion sur celles-ci. Il s'agit d'obligations de nature différente. L'obligation de prudence et de diligence de l'hôtelier trouve sa source dans l'article 2100 C.C.Q. qui régit le contrat de service et s'attache à l'exécution des services rendus par l'hôtelier. La clause de garde, direction ou gestion exclut de la couverture les biens sur lesquels l'assurée exerce certains pouvoirs et ne s'attache pas à ses actes. L'obligation de l'hôtelier de prendre des mesures raisonnables pour sécuriser son stationnement ne suppose pas un transfert suffisant du contrôle et de la responsabilité de préservation d'un véhicule pour entraîner un changement de la garde juridique de celui-ci.

M. le juge Rowe: Il y a accord avec l'analyse du juge Gascon et le résultat auquel il arrive. Pour ce qui est de la qualification du contrat entre l'hôtelier et ses clients, comme la juge de première instance a estimé nécessaire de tenir compte d'éléments de preuve extrinsèques pour établir la véritable nature du contrat, il s'agit d'une question mixte de fait et de droit. Toutefois, dans les cas où il n'est pas nécessaire de recourir à des éléments de preuve extrinsèques, la qualification d'un contrat reste une question de droit.


Dernière modification : le 10 août 2022 à 10 h 34 min.