Résumé
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli les requêtes en certiorari des 3 intimés et ayant cassé les parties de la citation à comparaître ainsi que des sommations les visant et ayant pour objet de leur enjoindre de se soumettre aux mesures d'identification prévues à la Loi sur l'identification des criminels. Accueilli.
La question principale que soulève l'appel est celle de savoir si un individu poursuivi par procédure sommaire pour une infraction hybride ou mixte peut être contraint à se soumettre aux mesures d'identification prévues à l'article 2 (1) c) de la Loi sur l'identification des criminels, eu égard aux règles énoncées à l'article 34 de la Loi d'interprétation. L'appel met plus particulièrement en cause l'application du stare decisis au regard de Lapointe c. Lacroix (C.A., 1981-07-08), SOQUIJ AZ-81011137, J.E. 81-812, [1981] C.A. 497, en tenant compte de la décision subséquente de la Cour suprême du Canada dans R. c. Dudley (C.S. Can., 2009-12-17), 2009 CSC 58, SOQUIJ AZ-50591464, 2010EXP-53, J.E. 2010-26, [2009] 3 R.C.S. 570.

La juge de première instance a conclu qu'elle était liée par l'arrêt Dudley et, en conséquence, que la question en litige ne pouvait être décidée selon les principes du précédent. Elle a donc refusé de procéder à une analyse téléologique des articles 501 (3) et 509 (5) du Code criminel (C.Cr.), alors applicables, et de la Loi sur l'identification des criminels.
Décision
M. le juge Mainville: La juge de première instance a commis une erreur de droit en refusant de suivre les arrêts Lapointe et St-Onge c. R. (C.A., 1990-12-12), SOQUIJ AZ-91011104, J.E. 91-205, [1991] R.L. 14, lesquels portent directement sur la même question que celle dont elle était saisie, pour y préférer son interprétation d'un obiter dictum énoncé dans Dudley, où la question de la portée de la Loi sur l'identification des criminels aux infractions de type hybride avait explicitement été exclue de l'analyse par la Cour suprême.

La Cour d'appel, qui a adopté une approche flexible du stare decisis horizontal, peut écarter un précédent lorsque les circonstances s'y prêtent, ce pouvoir discrétionnaire devant toutefois être exercé rarement, de façon pondérée et lorsque des motifs impérieux le justifient. En l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'écarter les précédents Lapointe et St-Onge. Il est bien établi au Québec que, aux fins de la Loi sur l'identification des criminels, l'expression «acte criminel» comprend les infractions de type hybride, que l'accusé soit ou non poursuivi par procédure sommaire, et ce, tant que le ministère public «n'a pas fait un choix irrémédiable», c'est-à-dire jusqu'au prononcé d'un verdict. Cette interprétation, qui s'appuie sur l'article 34 de la Loi d'interprétation, est parfaitement raisonnable, surtout en considération du contexte particulier du Québec, où les accusations criminelles doivent faire l'objet d'une autorisation préalable par les procureurs du ministère public. De plus, elle permet d'assurer l'application efficace de cette loi fédérale dans chacune des provinces, compte tenu des particularités qui leur sont propres dans la manière dont s'effectue le choix de la procédure de poursuite par le ministère public, et ce, afin que ses objectifs puissent être atteints partout au Canada. L'interprétation contraire, soutenue par les intimés et entérinée par la juge de première instance, aurait notamment pour effet de favoriser, du moins au Québec, l'incarcération des prévenus et leur inculpation par acte d'accusation afin de permettre aux policiers de procéder aux mesures d'identification usuelles, ce qui irait à l'encontre des objets mêmes des réformes du Code criminel, dont celle de 2019, qui visent à favoriser la remise en liberté plutôt que l'incarcération et les poursuites par procédure sommaire plutôt que celles par acte d'accusation.


Dernière modification : le 10 août 2022 à 10 h 52 min.