Résumé de l'affaire
Appel d'une décision de la Cour supérieure ayant rejeté l'action en réclamation d'aliments en vertu d'un contrat de parrainage. Accueilli.
L'intimée a parrainé, solidairement avec son mari, ses parents, mis en cause, afin de leur permettre d'immigrer au Canada. Selon les termes du contrat de parrainage, elle s'est engagée auprès du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration à subvenir, pendant une période de 10 ans, aux besoins essentiels de ses parents tels qu'ils sont établis dans le Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers. Les demandeurs, âgés respectivement de 69 ans et de 63 ans, sont devenus bénéficiaires de l'aide sociale et ont réclamé une pension alimentaire équivalente aux prestations d'aide sociale qu'ils reçoivent. Les revenus annuels de l'intimée étaient alors de 14 423 $ et ceux de son mari, de 50 004 $. Ces derniers avaient trois enfants mineurs. Le premier juge a conclu que l'engagement souscrit aux termes du contrat de parrainage était une créance de nature alimentaire identique à celle prévue par l'article 585 du Code civil du Québec, imposant aux tribunaux de l'évaluer en tenant compte de la capacité de payer du débiteur, d'où l'appel. Le procureur général, l'appelant, soutient que le tribunal ne jouit d'aucune discrétion et qu'il doit en conséquence exiger de l'intimée l'exécution intégrale de ses obligations contractuelles, sans tenir compte de sa capacité de payer.
Décision
M. le juge Baudouin: Lorsqu'une personne veut immigrer au Canada, elle peut présenter une demande régulière ou, si elle ne peut se qualifier aux critères de sélection ordinaires, se faire parrainer par une personne résidant au pays. La Loi sur le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration confère au ministre le pouvoir de fixer par règlement les conditions et modalités de ce parrainage. Le but de cette procédure est d'éviter que les personnes parrainées ne soient subséquemment à la charge de l'État. Le parrain doit donc, comme condition sine qua non, signer un engagement. Celui-ci prend la forme d'un contrat innommé qui crée une stipulation pour autrui. Il s'agit également d'un contrat d'adhésion dont le contenu est déterminé par un règlement et d'un contrat administratif requérant la conformité à des conditions de validité. Finalement, ce contrat remplit les conditions d'un contrat valable conclu entre deux personnes capables de contracter; il a un objet et une cause. Contrairement aux conclusions de certaines décisions jurisprudentielles, on ne peut donner à l'obligation née du contrat de parrainage la qualification de créance ou de dette alimentaire au sens du code civil. Ce contrat permet de créer, en certaines circonstances, une obligation déterminée sur le plan de la valeur et de la durée à l'égard de parents en ligne directe, des collatéraux ou même des personnes n'ayant aucun lien familial, contrairement à l'obligation à caractère alimentaire du code civil, qui n'est soumise à aucune condition, exige un lien de parenté de ligne directe et est fixée en fonction des besoins du créancier et des ressources du débiteur, et ce, pour une période indéterminée. De plus, le débiteur alimentaire ne peut être qu'une personne physique, alors qu'en l'espèce le règlement autorise, en certains cas, les personnes morales à souscrire l'engagement. La dette contractuelle qui a un caractère alimentaire sui generis ne bénéficie pas du régime prévu par le législateur au code civil. Elle est soumise aux règles ordinaires applicables aux contrats. En ce qui a trait à un possible désavantage excessif et déraisonnable que subirait l'adhérent par le contrat d'adhésion, tel n'est pas le cas en l'espèce. Les inconvénients de l'adhérent doivent s'apprécier par rapport au bénéfice que lui rapporte l'entreprise, soit la venue de personnes chères qui n'auraient pu immigrer autrement, laquelle appréciation doit être faite au moment de la conclusion de l'engagement. Les changements dans la situation financière du parrain sont des événements indépendants de la volonté des parties, et réduire l'obligation en fonction de la capacité de payer du parrain équivaudrait à une révision du contrat pour imprévision, notion qui n'est pas acceptée dans notre droit. Quant à une éventuelle violation de l'ordre public, il faut souligner que, par la conclusion de l'engagement du parrain, le législateur vise la protection d'un ordre public économique. Ce système a un objectif noble: permettre la venue au pays de personnes ayant un lien amical ou familial avec un résidant québécois. L'engagement du parrain est volontaire et la simple difficulté financière de remplir éventuellement son obligation ne rend pas le contrat contraire à l'ordre public.