Résumé de l'affaire
Demande d'autorisation d'exercer une action collective. Accueillie.
La demanderesse a déposé une demande d'autorisation d'exercer une action collective à l'encontre de la défenderesse Vigi Santé ltée au nom de toute personne ayant résidé au Centre d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD) Vigi Mont-Royal à compter du 13 mars 2020, ainsi que de leur conjoint ou conjointe, leurs aidants naturels, leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs héritiers et ayants droit. Il s'agit d'une demande en dommages-intérêts pour responsabilité civile extracontractuelle et en dommages punitifs en lien avec l'éclosion de la COVID-19, laquelle a infecté la totalité des 223 résidents de l'établissement. De façon particulière, la demanderesse attribue le décès de sa mère à la faute de la défenderesse.
Décision
Au regard du recours en responsabilité extracontractuelle, les faits allégués démontrent amplement la présence de fautes, notamment quant aux manquements de la défenderesse à ses obligations de protéger la vie, la santé, la sécurité, la dignité et le bien-être des résidents. Il y a également des manquements aux obligations de fournir aux résidents des soins de santé et des services sociaux adéquats sur les plans humain, scientifique et social, de façon continue, sécuritaire et personnalisée. L'argument de la défenderesse quant à l'insuffisance de détails sur le cas de la mère de la demanderesse est rejeté puisqu'il n'était pas requis que celle-ci ait fait l'objet de toutes les fautes reprochées. Les allégations particulières démontrent qu'elle a été victime de l'absence du port du masque par le personnel et que la demanderesse n'a pas été adéquatement informée de l'état de sa mère quant à la COVID-19. Ces éléments sont suffisants. Dans la mesure où l'apparence de droit est démontrée en ce qui concerne le personnel de la défenderesse, les fautes parallèles et la panoplie de dommages reliés peuvent être autorisées. Contrairement aux prétentions de cette dernière, une décision rendue par le Tribunal administratif du travail (TAT) le 23 mars 2021 ne permet pas le rejet des allégations de fautes. Cette décision n'a pas l'effet recherché puisque les règles de droit applicables dans un dossier en droit administratif du travail diffèrent de celles en matière de recours en responsabilité civile extracontractuelle et en dommages punitifs. Le débat et les enjeux sont différents. La défenderesse a invoqué des arguments relatifs aux directives ministérielles, lesquelles présenteraient plusieurs contradictions témoignant de l'absence de consensus scientifique quant aux mesures nécessaires pour lutter contre la pandémie de la COVID-19. Elle soutient également que ces directives démontreraient l'existence d'un contexte de pénurie de ressources matérielles et humaines devant être assimilée à un cas de force majeure. Ces arguments sont de la nature d'une défense quant au fond, ce qui n'est pas permis à l'étape de l'autorisation.

En ce qui concerne les dommages, les résidents ont tous contracté la COVID-19, au moins 70 en sont décédés et ils ont tous souffert des manquements sur le plan du matériel médical essentiel et des médicaments ainsi que de la grave pénurie de personnel causée par le taux élevé d'infection chez les employés. La demanderesse et les proches de ces résidents ont eux aussi subi des dommages, notamment en raison du fait qu'ils n'ont pas été informés de la gravité de l'éclosion qui sévissait dans l'établissement et que, dans au moins 70 cas, ils ont vu leurs proches décéder. La démonstration du lien de causalité entre les fautes et les dommages allégués a amplement été faite par la demanderesse. Les assises factuelles sont sérieuses et suffisantes pour soutenir que la défenderesse a commis une faute quant à sa gestion de l'éclosion de la COVID-19 au CHSLD Vigi Mont-Royal et que les membres du groupe ont subi, tant personnellement qu'à titre de victimes par ricochet, des dommages qui sont la résultante probable de cette conduite fautive.

Quant aux dommages punitifs pour violation au droit à la sûreté, à l'intégrité, à la dignité et à l'honneur en vertu des articles 1, 4 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, la demanderesse a démontré l'inaction de la défenderesse malgré sa connaissance d'un problème de ventilation et de la pénurie de matériel et de médicaments de base. La persistance de ces problèmes durant une période de quelques jours est suffisante pour en déduire un comportement intentionnel et illicite, dans le respect des balises établies par la jurisprudence en ce qui a trait à la déduction. La demande d'autorisation a donc l'apparence de droit requise tant en ce qui a trait à la responsabilité extracontractuelle qu'en ce qui concerne les dommages punitifs. Les autres critères prévus à l'article 575 du Code de procédure civile sont remplis, de sorte que l'action collective est autorisée. Le groupe est défini de façon à comprendre toute personne qui a résidé au CHSLD Vigi Mont-Royal, à n'importe quel moment en avril et en mai 2020, ainsi que leur conjoint ou conjointe, leurs aidants naturels, leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs héritiers et ayants droit.


Dernière modification : le 14 août 2022 à 16 h 17 min.