Résumé de l'affaire

Pourvois à l'encontre de deux arrêts de la Cour d'appel du Québec ayant rejeté des appels de jugements de la Cour supérieure qui avaient rejeté des requêtes pour autorisation d'exercer des recours collectifs. Rejetés, avec dissidence.

Afin d'atténuer le choc financier susceptible d'être provoqué par les fusions municipales en 2000, l'Assemblée nationale a édicté un régime d'égalisation graduelle des fardeaux fiscaux des différents secteurs à fusionner sur une période de 20 ans. La Charte de la Ville de Longueuil plafonne à 5 % l'augmentation annuelle du fardeau fiscal de chaque secteur de la nouvelle Ville de Longueuil, mais ne plafonne pas directement la taxe imposée à chaque unité d'évaluation. La charte prévoit un plafonnement sectoriel semblable des revenus de la taxe d'affaires imposée aux entreprises. À compter de 2006, quatre des municipalités fusionnées sont reconstituées et détachées du territoire de la Ville de Longueuil. Mécontents de l'évaluation de leur fardeau fiscal avant la défusion de leurs secteurs respectifs, deux contribuables, M. et U.P., demandent l'autorisation d'intenter des recours collectifs distincts afin d'obtenir l'annulation de règlements municipaux imposant, en 2003, 2004 et 2005, les taxes foncières et la taxe d'affaires dans quatre secteurs de la municipalité ainsi que le remboursement pour l'année 2005 des taxes acquittées par les contribuables visés par les recours projetés. Ils contestent aussi des résolutions du conseil municipal relatives à ces règlements. La Cour supérieure et la Cour d'appel du Québec refusent l'autorisation au motif que, même si M. et U.P. avaient établi l'existence d'une apparence de droit suffisante, une jurisprudence constante de la Cour d'appel du Québec ne permet pas l'utilisation du recours collectif pour attaquer la validité d'un règlement municipal. Puisque le recours individuel en nullité opère erga omnes, s'il réussit, la déclaration de nullité atteint le but recherché pour l'ensemble des contribuables, sans qu'il soit nécessaire de passer par la voie collective.

Décision

M. le juge LeBel, à l'opinion duquel souscrivent les juges Fish, Abella, Charron et Rothstein: M. et U.P. ne pouvaient procéder par la voie du recours collectif en vertu de l'article 1003 du Code de procédure civile (C.P.C.) pour faire invalider les règlements municipaux et pour recouvrer les paiements faits sous leur autorité. L'existence des questions communes (art. 1003 a)) et les qualités des représentants (art. 1003 d)) ne sont pas en cause, mais l'apparence de droit (art. 1003 b)) et la composition des groupes visés (art. 1003 c)) au regard de la nature des conclusions demandées posent problème. [14] [23]

En raison de leur formulation, les conclusions demandées demeurent inexécutoires quant à l'obligation de remboursement de la Ville. Bien qu'une déclaration de nullité vaudrait à l'égard de tous les citoyens et contribuables de la municipalité en cause, l'annulation des règlements ne créerait pas un droit au remboursement des taxes, car elle ne ferait pas naître immédiatement des créances liquides et exigibles. Vu le système fiscal et budgétaire qui régit les municipalités comme la Ville, les déclarations de nullité feraient des membres des groupes les titulaires d'un droit à un nouveau calcul de leurs taxes foncières ou d'affaires. Seule cette opération ferait apparaître une créance liquide et exigible, dont la naissance déclencherait le cours de la prescription d'un recours en restitution. Les recours collectifs projetés ne sont donc d'aucune utilité pour interrompre une prescription dont le point de départ n'est pas encore survenu. De plus, quant aux demandes de remboursement de toutes les taxes foncières et d'affaires versées dans les quatre secteurs visés par les projets de recours collectifs, elles paraissent peu compatibles avec les principes du Code civil du Québec (C.C.Q.) gouvernant la répétition de l'indu et la restitution des prestations. Alors que M. et U.P. ont reçu des services municipaux au cours des années 2003, 2004 et 2005, le conflit sur le calcul de leurs impôts ne touche qu'une fraction de ceux-ci. Il reste donc peu probable que le montant de leur créance corresponde à celui de leur demande. Dans ce cadre juridique et dans ce contexte, la conclusion recherchée ne répond pas au critère de l'apparence de droit sérieuse exigée par l'article 1003 b) C.P.C. [26] [28] [33-36] [39]

Le recours en nullité suscite aussi des difficultés quant au fonctionnement de certaines règles de procédure gouvernant la formation et l'évolution du groupe visé par un recours collectif. En effet, les membres du groupe ne pourraient se désengager effectivement de la demande de nullité, en raison de son effet à l'égard de l'ensemble des contribuables, contrairement à ce que prévoient les règles relatives à l'institution et à la conduite des recours collectifs. [40]

Enfin, le recours collectif ne représente pas une voie appropriée pour la présentation d'une demande d'annulation d'un règlement municipal. Bien que les recours que veulent instituer M. et U.P. se situent indéniablement dans le cadre de l'article 33 C.P.C., d'autres causes de nullité comme des défauts de forme ou des irrégularités se situeraient plutôt dans le cadre des recours en cassation attribués à la compétence de la Cour supérieure par des lois municipales. L'usage du recours collectif dans de pareilles situations risquerait d'affecter le fonctionnement de recours en principe simples et rapides, et ne respecterait guère le principe de la proportionnalité énoncé à l'article 4.2 C.P.C. qui veut que le recours à la justice respecte les principes de la bonne foi et de l'équilibre entre les plaideurs et n'entraîne pas une utilisation abusive du service public que forment les institutions de la justice civile. [27] [41] [43]

Mme la juge Deschamps, dissidente, à l'opinion de laquelle souscrivent la juge en chef McLachlin et les juges Binnie et Cromwell: L'application de l'article 4.2 C.P.C. aux conditions d'autorisation du recours collectif ne permet pas de conclure en l'espèce que cette procédure ne respecte pas le principe de proportionnalité. Puisque les recours projetés respectent toutes les conditions requises par le Code de procédure civile, ils auraient dû être autorisés. [130]

L'article 4.2 C.P.C. relatif au principe de la proportionnalité n'ajoute pas aux critères d'autorisation du recours collectif prévus par l'article 1003 C.P.C. et n'accorde donc pas au tribunal un pouvoir discrétionnaire indépendant de celui découlant de cet article. La proportionnalité constitue un principe directeur de la procédure civile qui n'est pas susceptible d'application autonome. L'article 4.2 C.P.C. a pour objectif de renforcer l'autorité du juge comme gestionnaire de l'instance. L'effet du principe de la proportionnalité sur l'article 1003 C.P.C. concrétise et renforce la marge d'appréciation déjà reconnue au juge dans l'examen de chacune des quatre conditions d'autorisation du recours collectif. L'adoption de l'article 4.2 C.P.C. n'a pas eu pour effet d'obliger le demandeur d'autorisation à démontrer que la procédure collective constituait le meilleur moyen de régler les questions communes. Imposer ce fardeau au demandeur aurait pour effet de limiter l'accès à cette procédure. [63-67] [81] [84-85]

Dans la présente affaire, une analyse complète des quatre conditions d'autorisation des recours collectifs par les instances inférieures s'imposait. Les demandes satisfont facilement au critère de la similarité des questions prévu par l'article 1003 a), et il ne s'agit pas d'un cas où le juge devrait utiliser sa marge d'appréciation pour décider d'accepter ou de refuser les recours. Pour chacun des membres, le fond du litige concerne le respect par la Ville de la limite d'augmentation du fardeau fiscal et de la taxe d'affaires. Les mêmes textes réglementaires sont en cause pour tous les membres des groupes. Les questions de droit sont donc identiques. Seule la démonstration factuelle fondée sur les données propres à chacun des quatre secteurs diffère dans le pourvoi de M. Par ailleurs, les calculs sont les mêmes pour chacun des contribuables d'un secteur donné. Pour tous se pose la question du droit à la répétition des taxes. [85] [89]

Les prétentions de M. et U.P. ont une «apparence sérieuse de droit» au sens de l'article 1003 b) C.P.C. Il s'agit, à première vue, d'un cas d'excès de compétence où le pouvoir de taxation de la Ville n'aurait pas été exercé conformément à la Charte de la Ville de Longueuil. Les données fournies permettent, à première vue, d'inférer que le plafond de 5 % d'augmentation annuelle du fardeau fiscal et de la taxe d'affaires a été dépassé. Quant aux résolutions contestées, elles identifient des montants spécifiques au lieu de prévoir, comme l'exige l'article 87.5 de la charte, des règles de calcul permettant de déterminer la part de l'augmentation de taxes qui découle de la constitution de la Ville. De plus, les conclusions recherchées par M. et U.P., soit le remboursement des taxes, découlent de l'application de la règle générale en matière d'annulation d'un acte administratif. Le montant payé par chaque contribuable est facile à établir. Il s'agit d'une somme liquide, dont l'exigibilité ne dépend que de l'ordonnance du tribunal qui prononce la nullité de l'acte administratif. Si un demandeur prétend qu'un organisme public a agi en contravention avec une loi habilitante, le tribunal n'a pas le droit de rejeter le recours au motif que les conclusions recherchées entraîneraient des inconvénients majeurs. Reconnaître aux tribunaux un tel pouvoir discrétionnaire équivaudrait à accorder une immunité aux municipalités, ce qui contreviendrait au principe du partage des pouvoirs. Enfin, la question de savoir si la demande de répétition de l'indu est prescrite pour les années 2003 et 2004 requiert une évaluation des faits, et il ne serait pas prudent de la trancher au stade de la demande d'autorisation du recours collectif. Le juge du fond pourra, sur demande, réexaminer cette question. [94-103]

En ce qui concerne l'article 1003 c) C.P.C., aucun motif n'a été invoqué pour justifier que la demande de répétition de l'indu — commune à tous les membres — pourrait, de façon plus pratique, être soumise par voie de mandat ou de réunion des demandeurs. Il est inexact de qualifier le recours de simple demande d'annulation du règlement et d'affirmer que le recours collectif est inutile au motif que le jugement produira ses effets à l'égard de tous. En agissant individuellement, M. et U.P. pourraient certes obtenir une déclaration de nullité qui vaudrait pour tous les contribuables, mais en cas de succès de leur demande en répétition de taxes, seuls M. et U.P. bénéficieraient d'une ordonnance de remboursement de taxes. Les actions des autres contribuables en répétition pourraient être prescrites avant même qu'un jugement final ait été rendu sur les actions individuelles de M. et U.P. En effet, l'article 2900 C.C.Q. relatif à l'interruption de la prescription n'est pas applicable à l'action en restitution visant des taxes municipales, car la créance éventuelle des contribuables n'est pas indivisible et chaque contribuable a, envers la Ville, l'obligation individuelle et distincte de payer ses propres taxes. Enfin, il n'existe aucune exigence en droit québécois requérant que les membres d'un groupe qui exerce un recours collectif n'aient pas d'intérêts opposés. Au Québec, les membres qui auraient des intérêts divergents ont la possibilité de s'exclure du recours: articles 1005-1007 C.P.C. En l'espèce, il est évident qu'il est beaucoup plus pratique de procéder par voie de recours collectif que par voie de recours individuel. L'application du principe de la proportionnalité rehausse l'utilité du recours collectif, qui facilite clairement l'accès à la justice. [110] [115-116] [121] [124] [127]

Pour ce qui est de la condition prévue par l'article 1003 d) C.P.C., M. et U.P. ont démontré qu'ils sont en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres de leurs groupes respectifs. [128]


Dernière modification : le 23 juillet 2022 à 18 h 21 min.