Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une demande en réclamation de dommages-intérêts et de dommages punitifs et ayant rendu une ordonnance en vertu de l'article 342 du Code de procédure civile (C.P.C.). Accueilli en partie.
En 2007, Couverture Beauport inc. a fait une proposition concordataire à ses créanciers. Les intimés sont les actionnaires et administrateurs de cette entreprise. Afin de faire accepter la proposition, Couverture a retenu les services de l'appelant Lavoie, comptable professionnel agréé, et de la société appelante S. Lavoie CPA inc. En janvier 2008, la proposition concordataire de Couverture a été acceptée. Plus tard, des retards de paiement de factures se sont accumulés auprès d'un fournisseur de matériaux de Couverture. À l'automne 2009, ce dernier, réclamant 257 395 $, a déposé une requête en faillite contre Couverture. Un jugement rendu le 7 avril 2010 a accordé un délai de 30 jours à Couverture pour lui verser la somme de 77 359 $. Étant donné que ce jugement n'avait pas été porté en appel dans le délai prescrit, l'appel a été rejeté et Couverture a été rétroactivement déclarée en faillite au 7 avril 2010.
Le juge de première instance a retenu la thèse des intimés selon laquelle leurs déboires financiers et ceux de leurs entreprises sont les conséquences des conseils mal avisés et incomplets de Lavoie. Quant à Lavoie inc., sa responsabilité a été retenue en raison du travail de consultation effectué par son préposé auprès des intimés et de leurs entreprises. Puis, qualifiant Fiducie familiale Serge Lavoie d'artifice mis en place par Lavoie pour soustraire ses éléments d'actif et ceux de Lavoie inc. de l'emprise de leurs créanciers, le juge a conclu qu'il n'était pas nécessaire, en raison d'une preuve convaincante de fraude, de déclarer inopposables aux intimés les actes commis par la fiducie et il a plutôt condamné directement et solidairement celle-ci à compenser les dommages subis par les intimés, lesquels ont été évalués à 75 000 $ pour chacun d'eux.
Étant d'avis que d'importants manquements au déroulement de l'instance avaient été commis par les appelants, le juge les a aussi condamnés solidairement à payer aux intimés la somme de 10 000 $ à titre de frais de justice pour compenser une partie des honoraires professionnels de leur avocat.
Décision
M. le juge Gagnon: En l'espèce, les conclusions du juge de première instance relativement au point de départ de la prescription libératoire prennent appui sur des erreurs déterminantes d'interprétation des faits et omettent de tenir compte d'un pan important de la preuve administrée. En effet, peu de temps après la faillite de Couverture, les intimés ont été cotisés par le fisc en leur qualité d'administrateurs d'une société faillie pour la totalité de la dette fiscale de Couverture. Les créances ainsi transférées à leur charge sont d'ailleurs à l'origine des avis de proposition qu'ils ont dû formuler à leurs créanciers le 10 août 2010. Or, la liste des créanciers et des sommes dues accompagnant l'avis de proposition énonce expressément qu'une somme dépassant 200 000 $ est due par chacun des intimés au fisc en leur qualité d'administrateurs de Couverture. Leurs signatures respectives paraissant sur ces documents témoignent du fait qu'ils étaient alors conscients de leur responsabilité à l'égard de ce transfert de dettes. Ainsi, dès le mois d'août 2010, les intimés ne pouvaient plus ignorer leur responsabilité fiscale en tant qu'administrateurs d'une société faillie et devaient alors comprendre que les informations que Lavoie leur avait communiquées à cet égard étaient incomplètes et fautives. En outre, les signes probants d'une faute professionnelle commise par Lavoie combinés aux préjudices dévastateurs déjà subis par les intimés auraient incité toute personne raisonnablement prudente à s'informer pour connaître les obligations du comptable à leur égard et la portée de leurs droits devant le comportement de ce dernier. Dans ces circonstances, l'action en justice intentée par les intimés en juillet 2014 est prescrite.
Par contre, ce n'est qu'au procès que les intimés ont appris que Lavoie avait constitué la fiducie pour mettre à l'abri tous les biens de Lavoie inc. La demande d'inopposabilité des transactions entre Lavoie inc. et les 3 fiduciaires de la fiducie n'est donc pas prescrite (art. 1635 du Code civil du Québec) et elle est fondée. D'autre part, une fiducie n'a pas de personnalité juridique et seuls les fiduciaires ont le droit d'ester en justice. Le juge a donc eu tort de prononcer une condamnation solidaire à l'égard de la fiducie familiale; la condamnation devait plutôt viser les fiduciaires du patrimoine de cette dernière. Ainsi, il y a lieu de substituer les fiduciaires à la fiducie à titre de défendeurs à la demande introductive d'instance et d'appelants devant la Cour.
Enfin, les fautes attribuables aux appelants dans le déroulement de l'instance (omission de respecter des engagements, utilisation de prétextes pour retarder la transmission de renseignements financiers pertinents communiqués uniquement pendant le procès avec 8 mois de retard, demande à leur avocat d'étirer inutilement les débats devant le tribunal, etc.) constituent des manquements importants de leur part visant essentiellement à embêter les intimés, à entraver le cours du procès ainsi qu'à faire perdre du temps aux parties et au tribunal. Ces manquements justifiaient à eux seuls l'imposition d'une sanction proportionnelle à leur gravité manifeste. En fixant celle-ci à 10 000 $, le juge a fait une utilisation avisée du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 342 C.P.C. pour laquelle les appelants ne démontrent pas d'erreur révisable.