Résumé de l'affaire
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant infirmé un jugement de la Cour supérieure. Accueilli, avec dissidence.
À la suite du refus d'un client de payer la somme qu'il doit pour des services d'électricité fournis à un immeuble locatif dont il est propriétaire, Hydro-Québec, après avis, interrompt la fourniture d'électricité à sa résidence même si aucun arrérage n'est dû pour ce point de livraison. Le client et son épouse intentent une action contre Hydro-Québec alléguant avoir subi des dommages en raison de l'interruption de service. La Cour supérieure rejette l'action, concluant qu'Hydro-Québec a le droit d'interrompre la fourniture d'électricité à un point de service autre que celui pour lequel le compte est en souffrance. La Cour d'appel, à la majorité, infirme ce jugement.
Décision
Mme la juge Deschamps, à l'opinion de laquelle souscrivent la juge en chef McLachlin et les juges Bastarache et Binnie: L'interprétation de textes réglementaires doit, avec les adaptations nécessaires, se faire selon la méthode d'interprétation de textes législatifs. Ainsi, la disposition visée doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération le sens ordinaire et grammatical des mots, ainsi que l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur. En l'espèce, l'article 99 paragraphe 1 du Règlement no 411 établissant les conditions de fourniture de l'électricité constitue le fondement du pouvoir d'interruption de service lorsque le «client ne paie pas sa facture à échéance». Puisqu'un client, tel que défini au règlement, peut avoir plusieurs abonnements, que chaque abonnement correspond à un point de livraison distinct, et qu'Hydro-Québec peut interrompre le service lorsque le client ne paie pas sa facture, le sens ordinaire des mots amène à conclure que l'article 99, paragraphe 1, permet l'interruption à n'importe quel point de livraison pour lequel le client défaillant est titulaire d'un abonnement. L'article 99 établit une relation entre le client et Hydro-Québec, et non entre un point de livraison et le fournisseur de service. Le droit d'interrompre le service à n'importe quel point de livraison est compatible avec d'autres dispositions du règlement et reflète l'intention du législateur de doter Hydro-Québec d'un moyen de limiter les sommes en souffrance tout en faisant pression sur les clients défaillants. L'historique législatif de la loi constitutive d'Hydro-Québec confirme d'ailleurs cette interprétation. De plus, comme le fournisseur de service ne choisit pas ses clients, l'interruption éventuelle du service n'est pas une mesure exorbitante ou draconienne puisqu'elle est précédée d'un avis et que celle-ci ne touche que le client défaillant. Par ailleurs, la règle limitant aux obligations corrélatives le droit d'invoquer l'exception d'inexécution des obligations (art. 1591 du Code civil du Québec (C.C.Q.)) ne saurait faire obstacle au pouvoir d'interruption exercé en l'espèce. Interprétée à la lumière des articles 1590 et 300 C.C.Q., l'obligation corrélative du client envers Hydro-Québec inclut tous les abonnements dont il est titulaire. Enfin, ce pouvoir d'interruption ne confère aucun droit inédit puisqu'il date du siècle dernier et est tout à fait semblable à celui conféré par la loi à d'autres fournisseurs de services publics.
MM. les juges LeBel et Fish, dissidents: Puisque la législation et la réglementation déterminent largement le contenu du contrat entre Hydro-Québec et son client, le pouvoir discrétionnaire d'interrompre la fourniture d'électricité à tous les points de service d'un client au cas de défaut de paiement à l'égard de l'un de ses abonnements doit être expressément accordé par le législateur. Or, il ressort de l'article 99 du Règlement no 411 établissant les conditions de fourniture de l'électricité que la relation contractuelle entre Hydro-Québec et le consommateur est établie sur la base d'un abonnement. Cette structure réglementaire fondée sur un concept d'abonnement rattaché à des points de service distincts délimite la portée du pouvoir d'intervention d'Hydro-Québec. Elle permet de gérer les abonnements, mais non de s'immiscer dans des relations contractuelles différentes. Cette interprétation ne prive pas pour autant Hydro-Québec du droit de recouvrer ses créances par les moyens habituels. Elle signifie tout simplement qu'Hydro-Québec ne peut à son gré interrompre le service ailleurs qu'au point de service de l'abonnement où le différend a pris naissance.