en bref
Recours collectif: La clause d'arbitrage contenue dans un contrat de vente de matériel informatique conclu sur Internet et accessible par le biais d'un hyperlien n'est pas une clause externe et elle est opposable aux acheteurs; la requête de ces derniers pour autorisation d'exercer un recours collectif contre le vendeur est en conséquence rejetée et le litige, renvoyé à l'arbitrage.
Résumé de l'affaire
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant rejeté l'appel d'un jugement de la Cour supérieure qui avait rejeté une exception déclinatoire et accueilli une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif. Accueilli, avec dissidence.
La société Dell vend au détail, par Internet, du matériel informatique. Elle a son siège canadien à Toronto ainsi qu'un établissement à Montréal. Le 4 avril 2003, les pages de commande de son site Internet anglais indiquent le prix de 89 $ au lieu de 379 $ et le prix de 118 $ au lieu de 549 $ pour deux modèles d'ordinateur de poche. Le 5 avril, Dell est informée des erreurs et bloque l'accès aux pages de commande erronées par l'adresse usuelle. Contournant les mesures prises par Dell en empruntant un lien profond qui lui permet d'accéder aux pages de commande sans passer par la voie usuelle, D. commande un ordinateur au prix inférieur indiqué. Dell publie ensuite un avis de correction de prix et annonce simultanément son refus de donner suite aux commandes d'ordinateurs aux prix de 89 $ et 118 $. Devant le refus de Dell d'honorer la commande de D. au prix inférieur, l'Union des consommateurs et D. déposent une requête en autorisation d'exercer un recours collectif contre Dell. Dell demande le renvoi de la demande de D. à l'arbitrage en vertu de la clause d'arbitrage faisant partie des conditions de vente et le rejet de la requête en recours collectif. La Cour supérieure et la Cour d'appel concluent, pour des motifs différents, que la clause d'arbitrage est inopposable à D.
résumé de la Décision
Mme la juge Deschamps, à l'opinion de laquelle souscrivent la juge en chef McLachlin et les juges Binnie, Abella, Charron et Rothstein: Le respect de la cohérence interne du Code civil du Québec (C.C.Q.) commande une interprétation contextuelle ayant pour effet de limiter aux situations comportant un élément d'extranéité pertinent la portée des dispositions du titre traitant de la compétence internationale des autorités du Québec. Puisque la prohibition visant la renonciation à la compétence des autorités québécoises prévue par l'article 3149 C.C.Q. fait partie de ce titre, elle ne s'applique qu'aux situations comportant un tel élément. Il doit s'agir d'un point de contact juridiquement pertinent avec un État étranger, c'est-à-dire un contact suffisant pour jouer un rôle dans la détermination de la juridiction compétente. Le seul fait de stipuler une clause d'arbitrage ne constitue pas en lui-même un élément d'extranéité justifiant l'application des règles du droit international privé québécois. La neutralité de l'arbitrage comme institution est en fait l'une des caractéristiques fondamentales de ce mode amiable de règlement des conflits. Contrairement à l'extranéité, qui signale la possibilité d'un rattachement avec un État étranger, l'arbitrage est une institution sans for et sans assise géographique. Les parties à une convention d'arbitrage sont libres, sous réserve des dispositions impératives qui les lient, de choisir le lieu, la forme et les modalités qui leur conviennent. La procédure choisie n'a pas d'incidence sur l'institution de l'arbitrage. Les règles deviennent celles des parties, peu importe leur origine. Par conséquent, une situation d'arbitrage qui ne comporte aucun élément d'extranéité au sens véritable du mot est un arbitrage interne. En l'espèce, le fait que les règles applicables de l'organisme arbitral américain prévoient que l'arbitrage sera régi par une loi américaine et que l'anglais sera la langue utilisée dans les procédures ne constitue pas des éléments d'extranéité pertinents pour l'application du droit international privé québécois. [3] [26] [50-53] [56-58]
En présence d'une convention d'arbitrage, toute contestation de la compétence de l'arbitre doit d'abord être tranchée par ce dernier conformément au principe de compétence-compétence incorporé à l'article 943 du Code de procédure civile (C.P.C.). Le tribunal ne devrait déroger à la règle du renvoi systématique à l'arbitrage que dans les cas où la contestation de la compétence arbitrale repose exclusivement sur une question de droit. Cette dérogation, permise par l'article 940.1 C.P.C., se justifie par l'expertise des tribunaux sur ces questions, par le fait que le tribunal judiciaire est le premier forum auquel les parties s'adressent lorsqu'elles demandent le renvoi et par la règle voulant que la décision de l'arbitre sur sa compétence puisse faire l'objet d'une révision complète par le tribunal judiciaire. Si la contestation requiert l'administration et l'examen d'une preuve factuelle, le tribunal devra normalement renvoyer l'affaire à l'arbitre qui, en ce domaine, dispose des mêmes ressources et de la même expertise que les tribunaux judiciaires. Pour les questions mixtes de droit et de fait, le tribunal devra favoriser le renvoi, sauf si les questions de fait n'impliquent qu'un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier. Avant de déroger à la règle générale du renvoi, le tribunal doit être convaincu que la contestation de la compétence arbitrale n'est pas une tactique dilatoire et ne préjudiciera pas indûment le déroulement de l'arbitrage. En l'espèce, les parties ont soulevé des questions de droit portant sur l'application des dispositions du droit international privé québécois et le caractère d'ordre public du recours collectif. Plusieurs autres moyens requéraient cependant une analyse des faits pour déterminer l'application à l'espèce des règles de droit, tels que la recherche de l'élément d'extranéité et le caractère externe de la clause d'arbitrage. En conséquence, l'affaire aurait dû être renvoyée à l'arbitrage. [84-88]
La clause d'arbitrage en litige, qui est accessible au moyen d'un hyperlien figurant dans un contrat conclu par Internet, ne constitue pas une clause externe au sens de l'article 1435 C.C.Q. et est valide. À l'image des documents papier, certains textes Web comportent plusieurs pages, accessibles seulement au moyen d'un hyperlien, alors que d'autres documents peuvent être déroulés sur l'écran de l'ordinateur. Le critère traditionnel de séparation physique, qui permet de reconnaître le caractère externe des stipulations contractuelles sur support papier, ne peut être transposé sans nuance dans le contexte du commerce électronique. La détermination du caractère externe des clauses sur Internet requiert donc de prendre en considération une autre règle qui est implicite à l'article 1435 C.C.Q.: la condition préalable d'accessibilité. Cette condition s'avère un instrument utile pour l'analyse d'un document informatique. Ainsi, une clause qui requiert des manoeuvres d'une complexité telle que son texte n'est pas raisonnablement accessible ne pourra pas être considérée comme faisant partie intégrante du contrat. De même, la clause contenue dans un document sur Internet et à laquelle un contrat sur Internet renvoie, mais pour laquelle aucun lien n'est fourni, sera une clause externe. Il ressort de l'interprétation de l'article 1435 C.C.Q. et du principe d'équivalence fonctionnelle qui sous-tend la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information que l'accès à la clause sur support électronique ne doit pas être plus difficile que l'accès à son équivalent sur support papier. Dans le présent cas, la preuve démontre que le consommateur peut accéder directement à la page du site Internet de Dell où figure la clause d'arbitrage en cliquant sur l'hyperlien en surbrillance intitulé «Conditions de vente». Ce lien est reproduit à chaque page à laquelle le consommateur accède. Dès que le consommateur active le lien, la page contenant les conditions de vente, dont la clause d'arbitrage, apparaît sur son écran. En ce sens, cette clause n'est pas plus difficile d'accès pour le consommateur que si on lui avait remis une copie papier de l'ensemble du contrat comportant des conditions de vente inscrites à l'endos de la première page du document. [94] [96-97] [99-101]
Bien que le recours collectif soit un régime d'intérêt public, ce recours est une procédure qui n'a pas pour objet de créer un nouveau droit. Le seul fait que D. ait décidé de s'adresser aux tribunaux au moyen de la procédure de recours collectif, au lieu d'un recours individuel, n'a pas pour effet de modifier la recevabilité de son action. Le caractère d'ordre public du recours collectif ne saurait donc être invoqué pour s'opposer à ce que le tribunal judiciaire saisi de l'action renvoie les parties à l'arbitrage. [105-106] [108]
Comme les faits entraînant la mise en oeuvre de la clause d'arbitrage se sont produits avant la date d'entrée en vigueur de l'article 11.1 de la Loi sur la protection du consommateur, qui interdit une stipulation ayant pour effet d'imposer au consommateur l'obligation de soumettre un litige éventuel à l'arbitrage, cette disposition ne s'applique pas aux faits de l'espèce. [111] [120]
- les juges Bastarache et LeBel, dissidents, à l'opinion desquels souscrit le juge Fish: Il ne faudrait attacher aucune importance à la structure du Code civil du Québec ou du Code de procédure civile pour interpréter les dispositions substantielles à l'étude dans le présent pourvoi. La cohérence du régime ne tient pas au livre du Code de procédure civile qui traite en particulier de l'arbitrage, ni au titre ou livre du Code civil du Québec où se trouve l'article 3149. Le code civil constitue en soi un ensemble qui ne doit pas être morcelé en chapitres et en dispositions dépourvus de tout lien entre eux. [141]
L'acceptation par le Québec des clauses de juridiction repose sur le principe de la primauté de l'autonomie de la volonté des parties. L'article 3148 alinéa 2 C.C.Q. et l'article 940.1 C.P.C. peuvent tous deux s'interpréter de manière à donner réellement effet à ce principe et s'inscrivent dans l'évolution internationale vers l'harmonisation des règles de compétence. Sur ce point, l'article 940.1 C.P.C. semble clair: si les parties ont conclu une convention d'arbitrage sur la question en litige, le tribunal «renvoie» les parties à l'arbitrage, à la demande de l'une d'elles, à moins que la cause n'ait été inscrite ou que le tribunal ne constate la nullité de la convention. Il semble évident que la mention de la nullité de la convention vise également le cas où la convention d'arbitrage ne peut, sans être nulle, être opposée au demandeur. En employant le verbe «renvoie» au présent de l'indicatif, le législateur a signalé que le tribunal n'a aucun pouvoir discrétionnaire de refuser de renvoyer l'affaire à l'arbitrage, à la demande de l'une des parties, lorsque les conditions requises sont remplies. [142] [144] [149]
Les juridictions inférieures ont eu raison d'examiner pleinement la contestation de D. quant à la validité de la convention d'arbitrage, compte tenu de l'article 3149 C.C.Q. Bien que l'article 940.1 C.P.C. manque de précision quant à l'étendue de l'examen auquel devrait se livrer le tribunal, une méthode discrétionnaire préconisant le recours à l'arbitre dans la plupart des cas servirait mieux l'intention claire du législateur de favoriser le processus arbitral et son efficacité, tout en préservant le pouvoir fondamental de surveillance de la Cour supérieure. Lorsqu'il est saisi d'un moyen déclinatoire, le tribunal judiciaire ne devrait statuer sur la validité de l'arbitrage que s'il peut le faire sur la foi des documents et des actes de procédure produits par les parties, sans devoir entendre la preuve ni tirer de conclusions sur la pertinence et la fiabilité de celle-ci. Cela dit, les tribunaux peuvent toujours exercer un certain pouvoir discrétionnaire quant à l'étendue de l'examen qu'ils choisissent de faire lorsque la validité d'une convention d'arbitrage est contestée. Dans certaines circonstances, et en particulier dans celles qui méritent vraiment d'être qualifiées d'«arbitrage commercial international», il peut être plus avantageux que l'arbitre soit saisi en première instance de toutes les questions de compétence. Dans d'autres circonstances, telles qu'en l'espèce où il faut interpréter certaines dispositions du Code civil du Québec, il semblerait préférable que le tribunal entende au complet la contestation relative à la validité de la convention d'arbitrage. [176] [178]
La convention d'arbitrage en cause ne saurait être opposée à D. parce qu'elle constitue une renonciation à la compétence des autorités québécoises au sens de l'article 3149 C.C.Q. Pour déterminer si l'article 3149 s'applique, il est nécessaire de se demander si la juridiction choisie dans le contrat au moyen d'une clause d'élection de for ou d'arbitrage est une «autorité québécoise». Si cette juridiction n'est pas une «autorité québécoise», l'article 3149 entre en jeu et permet au consommateur ou au travailleur de soumettre son litige à une «autorité québécoise». La clause d'arbitrage suffit en soi à déclencher l'application de l'article 3148 alinéa 2, et par le fait même, de ses exceptions, notamment l'article 3149. Les clauses d'élection du for et d'arbitrage constituent en soi l'«élément d'extranéité» requis pour que ces règles de droit international privé s'appliquent. Un arbitre consensuel ne saurait être qualifié d'«autorité québécoise» pour l'application de l'article 3149. Une «autorité québécoise» doit s'entendre du décideur situé au Québec qui tient sa compétence du droit québécois. Aucun arbitre lié par le droit américain ne saurait être qualifié d'«autorité québécoise». En outre, on pourrait penser qu'une «autorité québécoise» serait tenue d'offrir ses services d'arbitrage en français alors qu'en l'espèce, le code de procédure de l'organisme d'arbitrage américain stipule que tous les arbitrages se dérouleront en anglais. Enfin, il semble tout à fait incongru que le consommateur doive d'abord communiquer avec une institution américaine, située aux États-Unis et responsable de l'organisation de l'arbitrage, afin d'entamer le processus visant à attribuer à la soi-disant «autorité québécoise» la compétence nécessaire pour entendre le litige. [152] [184-186] [200] [204] [212-216]
Il faut rejeter l'argument voulant qu'un litige de consommation ne pourrait jamais être soumis à l'arbitrage parce qu'il s'agirait d'un arbitrage sur une question qui intéresse l'ordre public. L'article 2639 C.C.Q. traite du genre de différend qui ne peut être soumis à l'arbitrage, soit le «différend portant sur l'état et la capacité des personnes, sur les matières familiales ou sur les autres questions qui intéressent l'ordre public». Un litige de consommation ne constitue pas une de ces autres questions qui intéressent l'ordre public. En outre, le fait que certaines des règles de la Loi sur la protection du consommateur que l'arbitre devrait appliquer présentent un caractère d'ordre public n'empêche en rien un tribunal arbitral d'instruire l'affaire. Enfin, le silence de la Loi sur la protection du consommateur et du Code civil du Québec quant à l'arbitrabilité d'un litige de consommation tend à indiquer que l'arbitrage est permis. Aucune loi ne devrait être interprétée comme excluant le recours à l'arbitrage, sauf s'il est clair que telle était l'intention du législateur. Aucune disposition de la Loi sur la protection du consommateur ou du Code civil du Québec n'indique que c'est le cas des litiges de consommation. [218-221]
L'argument voulant que le principe de l'autonomie de la volonté des parties n'a aucune application en l'espèce puisque la clause d'arbitrage figure dans un contrat d'adhésion doit également être rejeté puisqu'il repose sur la fausse hypothèse qu'un adhérent ne consent pas vraiment à être assujetti aux obligations énoncées dans un contrat d'adhésion. Il n'est donc pas suffisant pour les intimés de soulever le fait que la clause d'arbitrage se trouve dans un contrat d'adhésion pour démontrer que D. ne devrait pas être lié par elle. En outre, une clause d'arbitrage ne saurait être abusive et, par le fait même, nulle uniquement parce qu'elle se trouve dans un contrat de consommation ou dans un contrat d'adhésion. [227-229]
La convention d'arbitrage n'est pas nulle parce qu'elle se trouve dans une clause externe qui n'a pas été portée expressément à la connaissance de D., comme l'exige l'article 1435 C.C.Q. Même si l'hyperlien menant aux conditions de la vente était en petits caractères en plus d'être situé au bas de la page de configuration, cette pratique est conforme aux normes de l'industrie. On peut donc conclure que l'hyperlien était évident pour D. De plus, la page de configuration contenait un avis selon lequel la vente était assujettie aux conditions de vente, accessibles par hyperlien, les portant ainsi expressément à la connaissance de D. [152] [230] [238]
Les modifications récentes à la Loi sur la protection du consommateur ne s'appliquent pas en l'espèce puisque la convention d'arbitrage a été conclue avant l'entrée en vigueur de la nouvelle disposition, et la présomption générale de la non-rétroactivité de la loi n'a pas été réfutée. [162]