Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté un recours en responsabilité professionnelle d'un avocat. Accueilli (822 448 $).
À l'automne 2003, des courtiers ont proposé à l'appelant d'investir dans une coopérative à partir de son régime enregistré d'épargne-retraite (REER). La Commission des valeurs mobilières du Québec a interdit à la coopérative d'effectuer le placement de contrats d'investissements ou toute autre forme d'investissement, mais l'appelant n'en a pas été informé. Il a uniquement été avisé par les courtiers que son placement serait fait dans la société Cédrican inc., une filiale de la coopérative. Pour pouvoir acquérir des actions de Cédrican à partir de son REER sans conséquences fiscales, il ne devait pas détenir plus de 10 % des actions de cette société. Maheux, le président de la coopérative, a mandaté l'intimée, avocate, pour préparer les rapports de certification de l'admissibilité des actions offertes aux investisseurs. Celle-ci a délivré les attestations concernant l'appelant en novembre et décembre 2003. Or, contrairement à ce qu'elle a certifié, elle savait que celui-ci détenait alors plus de 10 % des actions de Cédrican, la cession n'ayant pas eu lieu. Elle s'était fiée aux déclarations de Maheux, qui affirmait que la cession devait être conclue incessamment. Les attestations indiquaient également que la juste valeur marchande des actions (JVM) était estimée ou calculée à un dollar par action, alors que l'intimée n'avait fait aucune démarche pour s'assurer de la validité de cette affirmation. Sur la foi des attestations, l'appelant a donc acquis, en novembre et décembre 2003, 525 000 actions de Cédrican pour 525 000 $ puisés à même son REER. En novembre 2005, un vérificateur de l'Agence du revenu du Canada (ARC) l'a avisé que son placement n'était pas admissible, car il détenait plus de 10 % des actions de Cédrican, et il lui a transmis un projet d'avis de cotisation. L'appelant a demandé à l'intimée de lui fournir les pièces justificatives lui ayant permis de délivrer les attestations, mais celle-ci a refusé en prétextant qu'il n'était pas son client. En janvier 2006, il a obtenu de Maheux une copie d'un certificat d'actions représentant 5 696 000 actions du capital-actions de Cédrican détenues par une société apparentée, Maya Trust, s.a. Le certificat, daté du 30 septembre 2003, est antérieur à l'acquisition par l'appelant des actions de Cédrican. Or, selon le rapport d'expert obtenu par l'ARC et transmis à l'appelant le 22 août 2006, la date figurant au certificat serait fausse et il aurait plutôt été délivré vers le début de l'année 2006. L'ARC a donc transmis à l'appelant un avis de cotisation de 141 870 $. Elle a par la suite découvert que Maheux s'était approprié frauduleusement les fonds des investisseurs de Cédrican. L'appelant a perdu tout son investissement, en plus de recevoir un avis de cotisation de 155 577 $ du provincial. Il a contesté la cotisation de l'ARC devant la Cour canadienne de l'impôt, mais en vain. Le 3 décembre 2012, il a intenté un recours en dommages-intérêts contre l'intimée et son assureur professionnel, mais le juge de première instance l'a rejeté pour cause de prescription. Selon lui, dès la réception de l'expertise de l'ARC, en août 2006, l'appelant possédait suffisamment d'indices pour intenter son recours. Le juge aurait également rejeté la réclamation visant la perte du placement, en l'absence de preuve quant à l'inexactitude de la JVM des actions au moment de leur souscription et de lien de causalité entre la faute de l'intimée et la perte.

Décision
Le recours intenté en décembre 2012 n'était pas prescrit et le juge n'aurait pas dû le rejeter pour ce motif. En effet, en août 2006, l'appelant ignorait tout de la faute commise par l'intimée. Les agissements de cette dernière l'ont empêché de connaître plus tôt les faits générateurs de responsabilité. Le refus de l'intimée de lui divulguer les informations l'ayant amenée à délivrer les attestations s'ajoute à son omission de dénoncer le problème à l'appelant dès janvier 2004. Son devoir de confidentialité ne peut justifier ses omissions. En lui demandant de transmettre à l'appelant les attestations, Cédrican l'autorisait par le fait même à communiquer toutes les informations à leur soutien. En outre, l'intimée savait que les attestations visaient l'appelant. Elle ne pouvait ignorer que sa décision d'investir dans Cédrican était tributaire de celles-ci. Elle a choisi de se taire jusqu'au dépôt de sa défense, en août 2013, admettant les faits près de 10 ans après avoir avisé son assureur de sa responsabilité potentielle. Avant le jugement de la Cour canadienne de l'impôt du 14 février 2011, dévastateur pour la crédibilité de l'intimée, l'appelant ne pouvait, au mieux, que soupçonner sa faute.

Les parties conviennent que les cotisations délivrées par les autorités fiscales représentent un dommage direct découlant de la faute de l'intimée. Par ailleurs, le juge n'a pas erré en concluant que la JVM des actions de l'appelant au moment de leur acquisition n'avait pas été démontrée, bien qu'il soit établi que l'intimée les a évaluées à un dollar chacune, en l'absence de vérification. Néanmoins, l'appelant n'aurait jamais effectué ce placement si l'intimée n'en avait pas certifié l'admissibilité. Cette dernière a commis une faute en délivrant des attestations erronées et en refusant de donner suite aux demandes d'information de l'appelant. Il existe indéniablement un lien de causalité entre ces fautes et la perte du placement. Il n'y a pas de rupture dans le temps entre les fautes de l'intimée et la perte du placement. La fraude de Maheux explique aussi le préjudice mais ne rompt pas le lien de causalité. La faute de l'intimée, sans être intentionnelle, doit être qualifiée de lourde. Dans ce contexte, l'appelant a également le droit d'obtenir, à titre de dommages-intérêts, le remboursement de son placement (525 000 $), pour un total de 822 448 $.


Dernière modification : le 12 août 2022 à 13 h 52 min.