Résumé de l'affaire

Pourvois à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant accueilli en partie l'appel d'un jugement de la Cour supérieure. Rejetés
Domtar construit une nouvelle usine de pâte et papier à Windsor, au Québec. En décembre 1984, elle acquiert pour 13 500 000 $ une chaudière de récupération fabriquée par C.E. (maintenant ABB et Alstom). Le contrat de vente comporte une clause limitant la responsabilité du vendeur. La chaudière est conçue avec un surchauffeur muni d'attaches rigides de type «H» même si, à l'époque, C.E. connaît les problèmes découlant de l'utilisation de telles attaches et la technologie des attaches souples. En mars 1989, soit 18 mois après la mise en service de la chaudière, des tests chez Domtar révèlent la présence de quelques fuites et de centaines de fissures dans les tubes du surchauffeur. C.E. remplace plusieurs attaches rigides de type «H» par des attaches souples mais il y a désaccord quant à une solution permanente au problème. En octobre 1989, à la demande de Domtar, un concurrent de C.E. remplace les trois compartiments du surchauffeur par des éléments dotés d'attaches souples. Domtar intente contre C.E. une action en dommages-intérêts fondée sur la garantie contre les vices cachés puis sur l'obligation de renseignement. Parallèlement, elle poursuit divers assureurs, dont Chubb et Arkwright, la première sur la base d'un contrat de cautionnement consenti à C.E. pour vice caché, la deuxième en vertu d'une police d'assurance «tous risques» protégeant Domtar. Elle se désiste toutefois de son recours contre l'assureur Lloyd's à la suite d'une entente qui comprend le versement d'une somme de 1 578 900 $.

La Cour supérieure rejette la prétention de vice caché mais conclut que C.E. n'a pas rempli son obligation de renseignement quant aux risques liés aux attaches rigides. Elle condamne C.E. à payer 13 366 583 $ en dommages-intérêts, moins le paiement de 1 578 900 $ effectué par Lloyd's, qui aurait opéré subrogation en faveur de cette dernière. Vu l'absence de vice caché, le tribunal rejette l'action contre Chubb; il rejette aussi la réclamation contre Arkwright, au motif que le coût du remplacement du surchauffeur n'était pas assuré. La Cour d'appel retient la responsabilité de C.E. sur la double base de la garantie légale contre les vices cachés et de l'obligation de renseignement. Elle rejette la déductibilité du montant payé par Lloyd's. Elle condamne l'assureur Chubb, solidairement avec C.E., à payer à Domtar la somme prévue au contrat de cautionnement. Elle confirme le rejet de l'action de Domtar contre Arkwright.

Décision

M. le juge Lebel et Mme la juge Deschamps: Étant donné que tous les faits allégués au soutien de l'action de Domtar se sont produits avant 1994, l'application des articles 83 et 85 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil mène à la conclusion que les questions concernant la garantie contre les vices cachés doivent ici être réglées par l'application du Code civil du Bas Canada (C.C.). [30]

Dans son intervention, la Cour d'appel ne réévalue pas la preuve au dossier. Elle s'appuie sur les constatations de fait du juge de première instance pour arriver à une conclusion de droit différente sur la nature du défaut. Cette conclusion ne viole donc pas le principe de retenue judiciaire à l'égard de la détermination des faits par le juge de première instance. Il s'agit plutôt d'un problème de qualification juridique. [37]

L'article 1527 C.C. tient tout vendeur qui connaît ou est légalement présumé connaître les vices de la chose responsable des dommages subis par l'acheteur. Le fabricant est considéré en droit civil du Québec comme l'expert ultime à l'égard du bien puisqu'il contrôle la main-d'oeuvre ainsi que les matériaux utilisés dans la production de ce bien. En conséquence, il est assujetti à la présomption de connaissance la plus rigoureuse et à l'obligation la plus exigeante de dénoncer les vices cachés. L'expertise de l'acheteur est également pertinente car elle sert à évaluer si le vice est caché ou apparent. Plus l'acheteur connaît le bien qu'il acquiert, plus le vice affectant ce bien est susceptible d'être considéré comme apparent. L'acheteur a donc une obligation de se renseigner en procédant à un examen raisonnable du bien. Le test consiste à se demander si un acheteur raisonnable placé dans les mêmes circonstances aurait pu déceler le vice au moment de la vente. L'expertise de l'acheteur n'a toutefois pas pour effet d'annihiler la présomption qui pèse sur le fabricant. Le fabricant ne pourra invoquer une clause limitative de responsabilité à moins de parvenir à réfuter la présomption de connaissance du vice. [39] [41-42] [44]

Que le défaut soit matériel, fonctionnel ou conventionnel, il doit présenter quatre caractères, tous essentiels à la garantie: il doit être caché, suffisamment grave, existant au moment de la vente et inconnu de l'acheteur. En l'espèce, ces conditions sont réunies. Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la fissuration des tubes constituait une particularité technique plutôt qu'un vice de conception. D'abord, il définit le vice uniquement comme un problème qui empêche toute utilisation du bien, puis il confond la mise en marché d'une version moins performante d'un bien avec celle d'un bien déficient. Un vice sera considéré grave s'il rend le bien impropre à l'usage auquel on le destine, ou en diminue tellement l'utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté à ce prix. Domtar n'aurait pas acheté une chaudière conçue avec des attaches de type «H» si on lui avait fait part des risques associés à ce type d'attaches. C.E. a utilisé ces attaches sans procéder à des analyses de résistance indépendantes pour déterminer si elles pouvaient supporter la contrainte exercée sur les tubes par la circulation de la vapeur à haute température. Elle a choisi de s'en remettre à l'appréciation de ses clients et elle a retardé l'adoption des attaches souples afin de demeurer compétitive. Le vice était inconnu de Domtar au moment de la vente parce que C.E. ne lui a pas transmis les informations internes qu'elle détenait à cet égard. Bien que Domtar ait été qualifiée d'utilisatrice avertie et aussi experte qu'elle soit dans l'utilisation de chaudières, on ne peut la qualifier de professionnelle «de même compétence» que C.E. Le fait que Domtar ait été assistée d'un expert ne fait pas non plus en sorte que le vice soit apparent. La cause de la fissuration excessive était inconnue à la fois de Domtar et de son expert. [45] [50] [86-88] [91] [93] [97] [99] [101]

Pour réfuter la présomption de connaissance du vice prévue à l'article 1527 C.C., un fabricant n'est jamais admis à invoquer comme seul moyen de défense son ignorance du vice. Il doit démontrer qu'il ignorait le vice et que son ignorance était justifiée, c'est-à-dire qu'il n'aurait pu découvrir le vice, même en prenant toutes les précautions auxquelles l'acheteur est en droit de s'attendre d'un vendeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Il n'est justifié de ne pas engager la responsabilité du fabricant que lorsque celui-ci démontre qu'il maîtrisait sa technique au moment de la conception du bien et que le vice en question ne saurait lui être imputable. Vu la rigueur de la présomption de connaissance applicable au fabricant, elle impose un haut niveau de diligence et rend très limité le spectre des moyens mis à sa disposition pour réfuter la présomption. Or, C.E. ne plaide ni la faute de Domtar ou d'un tiers, ni la force majeure, ni le risque de développement, mais plutôt sa bonne foi tout au cours de sa relation d'affaires avec Domtar. En l'espèce, la preuve révèle que C.E. connaissait les problèmes associés à l'installation d'attaches rigides depuis le début des années 80 et qu'elle avait accès dès cette époque à une meilleure technologie. [69-72] [102] [104]

L'obligation de renseignement et la garantie contre les vices cachés sont deux notions qui se recoupent mais la première découle du principe général de bonne foi tandis que la seconde est expressément prévue au Code civil du Bas Canada et au Code civil du Québec. De plus, l'obligation générale de renseignement a un champ d'application beaucoup plus vaste que la simple dénonciation d'un vice caché. L'obligation de renseignement se trouve subsumée dans la grille d'analyse de la responsabilité du vendeur pour vices cachés et le tribunal n'a pas à procéder à une analyse distincte de cette obligation. [107-109]

Puisqu'une clause du contrat d'assurance entre Lloyd's et Domtar excluait expressément les dommages subis par suite de bris ou de défectuosité de la chaudière de récupération, le paiement versé par Lloyd's ne pouvait viser les dommages réclamés par Domtar. Lloyd's n'a donc pas été subrogée dans les droits de Domtar et celle-ci n'avait pas à réduire ses dommages en conséquence. [113]

Chubb a accepté de cautionner l'exécution des obligations de C.E. découlant du contrat de vente de la chaudière de récupération. Comme le surchauffeur est affecté d'un vice caché, Chubb est solidairement responsable du montant pour lequel elle s'était engagée. [114]

La police d'assurance de dommages «tous risques» émise par Arkwright pour les biens de Domtar contenait une clause excluant les dommages pour vices cachés. Accepter la prétention de Domtar de dissocier les attaches du surchauffeur même viderait la clause d'exclusion de couverture de sa raison d'être. [115] [119]


Dernière modification : le 5 août 2022 à 11 h 48 min.