En bref
Le locateur à long terme d'une chargeuse qui a fait signer au locataire un document de remise volontaire dans le but de l'inciter à payer ses arrérages de loyers devait lui donner un avis de reprise de possession.
Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une action en dommages-intérêts. Accueilli, avec dissidence.
En 1988, l'appelant, opérateur de machinerie lourde spécialisé en excavation, a loué pour une période de 60 mois une chargeuse-rétrocaveuse au coût de 66 000 $. En 1992, ayant constaté qu'il ne pourrait acquitter les prochains versements en raison d'un manque de travail, il a communiqué avec le locateur, qui a consenti à un délai et à la remise de chèques postdatés. L'appelant n'a pas respecté cette entente et il en a été de même d'une autre conclue subséquemment. Le 7 mai 1992, le locateur lui a réclamé des arrérages de 5 000 $, d'abord par téléphone et ensuite par l'envoi d'une mise en demeure. Le 19 mai suivant, comme l'appelant n'avait pas donné suite à celle-ci, le locateur a communiqué avec lui et l'appelant lui a fait une proposition, qu'il a refusée. L'appelant lui a tout de même fait parvenir une série de chèques et le locateur, qui ne les avait pas reçus le 22 mai, s'est présenté au chantier où il travaillait. Le locateur lui a expliqué qu'à défaut de règlement il devait reprendre la chargeuse et a suggéré une remise volontaire. Il a préparé un document en ce sens, mais l'appelant a obtenu de pouvoir reprendre sa machine s'il payait une somme de 2 500 $ avant le 15 juin 1992. Dans son action en dommages-intérêts, l'appelant a prétendu que, à la signature du document, on lui avait permis de garder l'équipement sans paiement jusqu'au 15 juin. Le premier juge a conclu que la Loi sur la protection du consommateur ne s'appliquait pas parce que l'appelant n'était pas un consommateur et a rejeté la réclamation au motif qu'il n'y avait pas eu abus de droit découlant du délai d'exercice de ses droits par le locateur.
Résumé de la décision
Mme la juge Deschamps: L'appelant était un artisan et, en conséquence, il bénéficiait de la protection de la loi. C'est avec raison que les intimées n'ont plus allégué qu'il était un commerçant après le jugement rendu dans l'affaire Bérubé c. Tracto inc. (C.A., 1997-12-08), SOQUIJ AZ-98011043, [1998] R.J.Q. 93 (C.A.) (J.E. 98-101), où la Cour d'appel a considéré comme un consommateur l'artisan qui opérait une débusqueuse. Elles ont cependant eu tort de prétendre que la Loi sur la protection du consommateur était inapplicable dans le cas d'une remise volontaire. Comme l'avis verbal qu'elles ont donné, suivi d'un avis écrit, ne satisfaisait pas aux règles de l'article 105 de la loi, il ne pouvait s'agir d'une reprise forcée. Quant au document de remise signé par l'appelant, on doit retenir qu'il l'a été volontairement et que ce dernier en comprenait la teneur. C'est la conclusion à laquelle est arrivé le premier juge et il n'y a pas lieu d'intervenir en l'absence d'une erreur manifeste de sa part. Cependant, selon le texte du document, les intimées prenaient possession de la chargeuse dans le but de faire pression sur l'appelant pour qu'il effectue ses paiements. Or, une telle remise n'est pas prévue par la loi puisque le texte ne laisse pas voir l'intention de l'appelant de remettre définitivement la chargeuse. Dans le présent cas, non seulement les intimées ne pouvaient reprendre le bien sans avis, mais elles auraient dû, conformément à l'article 150.32 de la loi, requérir une permission avant de le faire, car la moitié de l'obligation de l'appelant avait été exécutée.
La violation de la loi permettait à l'appelant de réclamer des dommages-intérêts en vertu de l'article 272 de la loi. La valeur de biens qui se seraient trouvés à bord de la chargeuse ne peut lui être accordée. Le premier juge a conclu que ces biens lui avaient été renvoyés et il n'y a pas lieu d'accorder à la réclamation plus de poids que ne lui en a donné le premier juge, qui a entendu l'appelant. Aucune somme ne lui est non plus accordée à titre de perte de revenus. Sa réclamation n'a pas été prouvée de façon satisfaisante, car elle n'était pas fondée sur des bilans annuels ni sur des déclarations de revenus, mais plutôt sur des revenus gagnés au noir. De plus, son entreprise déclinait depuis plusieurs années, ce qui est confirmé par sa difficulté à effectuer ses paiements. L'appelant n'a pas droit non plus au remboursement de la perte de la valeur résiduelle de la chargeuse. Celle-ci était de 31 118 $ au moment de la cessation des paiements et le bien a été vendu 20 500 $; il aurait manqué d'entretien, et de nombreuses réparations ont dû être effectuées. L'appelant n'aurait donc pas eu intérêt à payer la somme prévue au contrat pour conserver la chargeuse. Il a cependant droit à une somme de 10 000 $ à titre de dommages moraux compte tenu du temps mis pour se réorienter et des conséquences qu'a eues sur sa vie personnelle la cessation abrupte des activités de son entreprise. Aucune somme n'est accordée à titre de dommages exemplaires, car le statut d'artisan n'a été reconnu par la jurisprudence qu'après la naissance du présent litige. Les intimées ne croyaient pas que le contrat était couvert par la loi et c'est pourquoi la formule de remise volontaire utilisée n'était pas conforme à l'annexe qu'elle prévoit.
Le juge Beauregard, dissident: Même si la remise du bien loué a été fortement suggérée par le commerçant, il ne s'agissait pas en l'espèce d'une remise forcée mais d'une remise volontaire. L'appelant a accepté de remettre le bien, mais le commerçant a fait une concession en acceptant que ce dernier puisse reprendre possession de la chargeuse s'il lui payait 2 500 $ dans un délai de trois semaines. Il s'agissait d'un nouveau contrat non prohibé par la loi et conclu de façon libre et volontaire. Par ailleurs, rien dans la loi n'empêche un commerçant de reprendre possession d'un bien loué avant l'expiration du délai de 30 jours prévu à l'article 150.14 de la loi si le consommateur y consent. L'avis n'est pas nécessaire lorsque le consommateur consent à ce que le commerçant reprenne possession du bien loué.