Résumé de l'affaire
Appels d'un jugement de la Cour supérieure ayant annulé un contrat de vente et ordonné le paiement d'indemnités à titre de dommages compensatoires et exemplaires. Appel principal accueilli à la seule fin de modifier le paragraphe 293 du jugement quant à la date de départ du calcul des intérêts et appel incident rejeté, avec dissidence.
L'appelant est l'actionnaire majoritaire de la mise en cause Immobilière Figestica inc., spécialisée dans le financement hypothécaire, et de la société Construction Oeuvrex ainsi que l'exploitant d'un bar situé au centre-ville de Montréal. Il n'a pas témoigné au procès, ce dont le juge de première instance lui a tenu rigueur. Le défunt conjoint de l'intimée et appelante incidente a travaillé pendant quelques années pour l'appelant. Lorsque ce dernier a acquis son bar, en 2005, il a eu recours à l'intimée pour en être tenancière, car il ne pouvait pas l'exploiter lui-même en raison de son casier judiciaire. L'acte sous seing privé a été signé le 5 janvier 2006 au prix de 210 000 $. Le même jour, l'intimée a signé une reconnaissance de dette pour une somme identique. La transaction a été conclue le 20 janvier 2006 par l'attribution d'un prêt de 220 000 $, sans intérêt, par Figestica, à laquelle l'appelant a cédé tous ses droits dans la reconnaissance de dette. Une hypothèque de deuxième rang sur la résidence de l'intimée garantissait le prêt. Le couple a dû fermer le bar peu de temps après le début de l'exploitation parce qu'il ne pouvait pas utiliser le permis délivré au nom d'un tiers. Il n'a pu reprendre l'exploitation malgré l'obtention d'un nouveau permis puisque la Ville de Montréal a saisi et vendu tout l'équipement, le vendeur n'ayant pas payé les arrérages de taxes. En mai 2006, l'intimée a transféré sa résidence à l'appelante, qui est la conjointe de l'appelant. L'appelante s'engageait, dans l'acte sous seing privé, à rembourser le solde dû aux créancières hypothécaires mises en cause. Au mois de novembre suivant, l'intimée a intenté un recours en annulation de ces transactions et en réclamation de dommages-intérêts contre les appelants. À compter de ce moment, le couple aurait été victime de menaces puis, le 20 août 2007, le mari de l'intimée a été assassiné dans leur résidence, laquelle a été dévalisée quelques semaines plus tard dans des circonstances étranges. Les cambrioleurs ont volé les animaux qu'elle gardait dans un refuge et ils ont dévissé tout ce qui composait la maison afin qu'elle ne soit plus habitable, ce qui sert de toile de fond à la réclamation de l'intimée visant les dommages moraux et exemplaires. Les appelants prétendent que le juge de première instance a erré en annulant le contrat de vente de la résidence de l'intimée, qu'il a pris en considération les accusations criminelles déposées contre l'appelant à la suite de l'assassinat du conjoint de l'intimée et qu'il a erré en accordant des dommages compensatoires et exemplaires. L'intimée, en appel incident, affirme que le juge a erré en rejetant sa demande d'annulation quant aux transactions relatives au bar.
Décision
M. le juge Léger: Les appelants reprochent d'abord au juge d'avoir conclu que le témoignage de l'intimée était crédible. Le juge a expliqué son raisonnement de même que les circonstances suspectes qui l'ont conduit à croire la version de l'intimée et non celle des appelants. En l'absence d'explications de l'appelant, il est difficile de voir comment il peut être reproché au juge d'avoir commis une erreur manifeste et dominante. Le juge a rendu sa décision dans un contexte difficile et en présence d'individus au caractère douteux, et il a pris soin de préciser que les parties, y compris l'intimée, ne lui avaient pas dit toute la vérité. Il découle de la lecture des motifs que les variables dans la version de l'intimée ne lui ont pas échappé. Tout doute qui aurait pu subsister sur une erreur d'appréciation quant à la crédibilité des parties est dissipé dès lors que le juge prend soin de noter qu'il y a renversement du fardeau de la preuve et que c'est à l'intimée qu'il revient de prouver la nullité du contrat pour vice de consentement. Le deuxième moyen d'appel invoqué par les appelants doit également être rejeté puisque le juge a réitéré à plusieurs reprises qu'il ne tenait pas compte des accusations criminelles, et rien dans son raisonnement ne permet de penser le contraire. En ce qui concerne le troisième moyen, le juge a bien expliqué la nature et l'étendue des dommages que les actes fautifs des appelants permettent de compenser — notamment les menaces proférées contre le couple et le harcèlement soutenu à son endroit durant plusieurs mois après le début des poursuites judiciaires. Les appelants n'ont pas démontré en quoi le juge s'était trompé dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire quant aux dommages découlant de leur responsabilité avérée pour le cambriolage et le saccage de la résidence de l'intimée. Il en va de même des dommages exemplaires. En revanche, en ce qui a trait au calcul de l'intérêt, il y a lieu de faire une distinction entre les dommages compensatoires et les dommages exemplaires. En principe, les premiers portent intérêt à compter de la mise en demeure, et les seconds, à compter de la date du jugement. En ce qui a trait à l'appel incident, l'intimée soutient que le juge aurait dû annuler la série de transactions de janvier 2006 concernant l'achat du fonds de commerce de l'appelant et l'attribution d'une hypothèque corrélative en faveur de Figestica sur sa résidence. Selon elle, l'appelant savait que le couple n'allait pas pouvoir exploiter le bar sans permis et que, une fois privé de revenus, il serait forcé de lui transférer la résidence. Elle fait valoir que, si ces transactions ne sont pas annulées, l'appelant conservera l'option de saisir sa résidence et ainsi profiter indirectement de son stratagème. Ces contrats auraient été signés par crainte. Le juge a conclu que la vente de la résidence pouvait être annulée parce que la version de l'intimée selon laquelle elle n'a jamais signé l'acte de vente est prépondérante. Toutefois, il estime que la thèse de l'intimée au sujet des transactions de janvier 2006 est incompréhensible et injustifiée. Selon lui, même si elle n'a jamais consenti à vendre sa propriété à l'appelante, elle a librement contracté un prêt hypothécaire auprès de Figestica. Le sort de l'appel incident est intimement lié à l'appréciation de la preuve par le juge de première instance. L'appréciation de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages entendus relève de sa compétence. Or, sa conclusion quant à l'appel incident est exempte d'une erreur déterminante; rien ne le porte manifestement à croire que la signature des contrats de janvier 2006 a pu être motivée par la crainte. Aucune autre raison ne permet de rejeter l'appel incident. Toutefois, vu les circonstances particulièrement difficiles de cette affaire pour l'intimée, l'appel incident est rejeté sans frais.
M. le juge Brossard, dissident quant à l'appel incident: Il est impossible de voir quelle logique permet de conclure à l'absence de lien entre les transactions relatives à l'achat du bar et la garantie du paiement du prix d'achat au moyen d'une hypothèque sur la propriété de l'intimée, par le seul écoulement du temps, alors que la vente frauduleuse que l'on annule avait pour objet le remboursement du prêt. Or, cette dissociation des deux transactions constitue la considération principale de la conclusion à laquelle le juge de première instance en est venu quant à l'appel incident. Par ses conclusions relatives à l'objet de l'appel principal et à l'attribution de dommages-intérêts, le juge de première instance cherchait la remise en état de l'intimée. Cependant, en refusant d'annuler l'hypothèque de Figestica, le jugement annulant la vente laisse toujours l'intimée à la totale merci de la créancière hypothécaire contrôlée par l'appelant. Le juge de première instance semble avoir considéré l'étape de l'achat du bar comme s'il y avait une osmose entre l'intimée et son conjoint, alors qu'aucune preuve ne permet une telle conclusion. Il se peut que l'intimée ait été naïve et insouciante en servant de prête-nom à son mari pour l'acquisition du bar, mais cela ne lui confère pas une connaissance personnelle de toutes les formalités et modalités légales afférentes. En concluant que l'intimée, même si elle n'a pas consenti à vendre sa propriété, a contracté un prêt hypothécaire, le juge semble donner foi à la version de l'appelant, qu'il qualifie pourtant lui-même de fraudeur. La seule inférence qu'il est possible de tirer de la preuve est que ce dernier avait, dès le départ, tout planifié et qu'il avait mis en place une structure juridique lui permettant de mettre éventuellement la main sur la ferme du couple sans que cela lui coûte un sou. Le juge ne pouvait inférer de la preuve que l'intimée avait conclu les transactions relatives au bar en pleine connaissance des conséquences sur sa propriété personnelle et du fait qu'elle acquérait un fonds de commerce à tout le moins risqué, sinon une coquille vide.