Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie un recours collectif portant sur les frais de lavage des vêtements des usagers de centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et ayant rejeté un recours en garantie. Rejeté. Appel incident visant l'indemnisation des réclamants qui ont reçu de leurs proches ces services de lavage. Accueilli.
Les intimés, le Comité provincial des malades et Michel Cantin, ont obtenu l'autorisation d'exercer un recours collectif contre les appelants pour le compte de «toutes les personnes résidant ou ayant résidé depuis le 30 mai 1994 dans un CHSLD [...] et qui n'ont pas bénéficié gratuitement d'un service de buanderie pour le lavage de leurs vêtements personnels» (le groupe). Cantin a entrepris ce recours collectif après que le CHSLD qui hébergeait son père eut réclamé des frais pour le lavage des vêtements personnels de celui-ci. Les appelants sont des CHSLD publics et privés. Dans ce dernier cas, il s'agit d'établissements «conventionnés», c'est-à-dire liés par contrat à une agence gouvernementale. La Cour supérieure devait déterminer si un CHSLD a l'obligation de fournir gratuitement le service du lavage et de l'entretien normal de la lingerie personnelle et des vêtements de ses usagers. Elle a conclu que tel était le cas et a accordé une indemnité mensuelle de 40 $ aux usagers ou à leur famille ayant payé pour obtenir ce service. Les appelants font appel de ce jugement. De plus, les établissements privés conventionnés se pourvoient à l'encontre du refus par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de faire droit à leur recours en garantie. Les intimés, en appel incident, demandent que soit modifié le jugement de la Cour supérieure pour déclarer que les réclamants ayant reçu de leurs proches les services de lavage et d'entretien du linge personnel auront droit de présenter une réclamation de 30 $ par mois pour la période où aura duré cette situation.
Décision
Les appelants ont invoqué l'absence d'intérêt juridique de Cantin à poursuivre et l'absence de lien de droit avec tous autres CHSLD que celui où réside son père. Cantin est le représentant désigné par le juge ayant donné l'autorisation d'intenter le recours collectif. Celui-ci a considéré que les critères énoncés à l'article 1003 du Code de procédure civile étaient remplis, dont celui prévu à l'article 1003 d), relatif à la capacité de la personne désignée à assurer une représentation adéquate des membres du groupe, quel que soit l'établissement qui les héberge. La présence de défendeurs multiples n'exige pas qu'il y ait autant de représentants que de CHSLD. En effet, la question en litige est commune à tous les établissements, privés conventionnés ou publics, qui n'offrent pas à leurs usagers le service de buanderie auquel ils prétendent avoir droit en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Rien en l'espèce ne permet de douter de la capacité de Cantin à représenter adéquatement le groupe, d'autant moins que la connexité des questions en jeu est évidente, qu'elle résulte d'une seule source d'obligation — à savoir la loi — et que les autres critères énumérés à l'article 1003 sont remplis, comme en a décidé le juge ayant donné l'autorisation.
Quant à l'appel principal, la mission du CHSLD est définie à l'article 83 de la loi. L'arrêt Québec (Procureur général) c. Vigi Santé ltée (C.A., 1999-04-15), SOQUIJ AZ-50061909, J.E. 99-894, [1999] R.J.Q. 997, a conclu que l'obligation des CHSLD de fournir un milieu de vie substitut en vertu de cet article emporte celle d'assurer le service de lavage des vêtements personnels de leur clientèle. Quant à savoir si ces établissements sont tenus d'offrir ce service sans frais additionnels, le régime établi par le législateur fait en sorte que les services de base que doit fournir en vertu de la loi tout CHSLD public ou privé conventionné sont assurés sans autre charge pour l'usager que sa contribution. Dans ce contexte, les CHSLD publics et privés conventionnés ne peuvent facturer de frais additionnels pour le service de lavage des vêtements personnels des usagers, qui, au même titre que la nourriture et les autres soins d'hygiène de base, constitue une composante inhérente à la mission d'un CHSLD d'offrir à ses usagers, conformément à l'article 83, «un milieu de vie substitut».
La question du financement de ce service se pose dans le cas des CHSLD privés conventionnés. Ceux-ci, dans leur appel en garantie devant la Cour supérieure, ont soutenu que leurs budgets ne comprennent pas le service de lavage des vêtements personnels et que le MSSS ne finance pas ce service. Les conclusions de la Cour supérieure sont fondées sur l'ensemble des témoignages entendus. Il revenait au juge de trancher sur l'ensemble de cette preuve et, à défaut de l'existence d'une ou de plusieurs erreurs qui respectent la norme d'intervention en appel, ses conclusions font autorité.
Quant à l'appel incident, l'article 83 oblige les CHSLD à fournir aux usagers un milieu de vie substitut qui inclut le lavage de leurs vêtements. Le non-respect de cette obligation a fait en sorte que les usagers, leurs familles ou leurs proches ont dû soit payer pour obtenir le service, soit faire eux-mêmes la lessive. Il n'est pas contesté que, lorsque les usagers ont payé pour que leurs vêtements soient lavés, ils ont le droit d'être indemnisés. Toutefois, il faut déterminer si les usagers peuvent obtenir réparation lorsque des tiers ont payé pour leur lavage ou encore que ces tiers ont eux-mêmes exécuté l'obligation qu'avait le CHSLD. Il est difficile de concevoir que, en raison de la bienveillance des familles et des proches des usagers, les CHSLD soient exonérés de toute obligation de réparation, alors que le manquement à leur obligation légale a clairement causé des dommages. En effet, compte tenu du type d'obligation qui incombe aux CHSLD, les dommages, en cas de non-exécution, sont prévisibles et certains. La seule raison pour laquelle certains usagers n'ont pas eu à débourser des sommes d'argent provenant de leur allocation de dépenses personnelles est que leur famille ou des proches ont accompli la tâche qui devait être faite par le CHSLD. Les établissements publics prétendent toutefois que les familles ou les proches qui ont payé pour le lavage des vêtements ou ont effectué eux-mêmes la tâche sont subrogés dans les droits des usagers et que, en conséquence, ce sont eux qui auraient dû intenter des recours pour être indemnisés. Cet argument doit être rejeté. En effet, même si l'on tient pour acquis que le lavage des vêtements puisse être visé par l'obligation alimentaire entre parents prévue à l'article 585 du Code civil du Québec (C.C.Q.), cela ne rend pas pour autant la famille débitrice d'une dette lorsque, comme en l'espèce, un tiers a l'obligation légale de rendre ce service. En effet, ce sont les CHSLD qui devaient prendre en charge le lavage des vêtements des usagers et acquitter le coût. La famille et les proches, qui ne sont d'ailleurs pas nécessairement toujours des parents en ligne directe au premier degré, comme le requiert l'article 585, ne peuvent donc être subrogés en vertu de l'article 1656 paragraphe 3 C.C.Q. Par conséquent, le juge de première instance aurait dû permettre que les usagers soient également indemnisés lorsque leur famille ou leurs proches ont effectué le lavage des vêtements. Si la famille ou les proches de ces usagers ne l'avaient pas fait, ces derniers auraient dû payer pour ce service. Le juge de première instance, à la lumière de la preuve, ayant fixé à un maximum de 40 $ par mois l'indemnité que pourront recevoir les usagers qui ont dû payer pour le service, la réclamation de 30 $ par mois pour les usagers dont les proches se sont chargés du lavage paraît raisonnable.
Finalement, il y a lieu de permettre que la preuve testimoniale par voie d'affidavit soit permise pour établir les réclamations. Dans ce type de réclamation, accepter uniquement la preuve faite à l'aide de pièces justificatives rendrait illusoire la possibilité d'obtenir un dédommagement.