Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour d'appel fédérale ayant infirmé en partie une décision de la Cour fédérale qui avait accordé des dommages-intérêts et prononcé une ordonnance structurelle. Rejeté, avec dissidence.
En 2009, lors de trois vols internationaux du transporteur aérien et dans un aéroport, les passagers n'ont pas reçu de services en français. Ils ont déposé plusieurs plaintes contre le transporteur aérien auprès du Commissariat aux langues officielles, et quatre de ces plaintes ont été accueillies. Il est acquis aux débats que le transporteur aérien a, à l'occasion des faits à l'origine de ces quatre plaintes, manqué aux obligations de fournir des services en français que lui impose l'article 22 de la Loi sur les langues officielles. Les passagers se sont adressés à la Cour fédérale en vertu de l'article 77 de la loi en vue d'obtenir des dommages-intérêts et des ordonnances structurelles par suite des atteintes par le transporteur aérien à leur droit d'être servis en français. Le transporteur aérien a contesté les demandes de dommages-intérêts en invoquant la limite de la responsabilité à l'égard des dommages prescrite par la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international (Convention de Montréal), qui limite les types de recours en dommages-intérêts qui peuvent être intentés contre les transporteurs aériens internationaux et les montants qui peuvent être réclamés. La Cour fédérale a conclu que les passagers avaient droit à des dommages-intérêts ainsi qu'à une ordonnance structurelle, et précisé que, malgré l'existence d'un conflit entre la limite imposée en matière de dommages-intérêts par la Convention de Montréal et le pouvoir conféré par la loi d'accorder des dommages-intérêts, ce pouvoir l'emportait. La Cour d'appel fédérale a annulé les dommages-intérêts octroyés pour les trois plaintes visant les faits survenus à bord des vols, ainsi que l'ordonnance structurelle. Elle a jugé que la Convention de Montréal empêchait le recours en dommages-intérêts et qu'une ordonnance structurelle ne constituait pas une réparation convenable.

Décision
M. le juge Cromwell, à l'opinion duquel souscrivent la juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein et Karakatsanis: Le régime de responsabilité uniforme et exclusif pour les dommages établi par la Convention de Montréal à l'égard des transporteurs aériens internationaux ne permet pas d'accorder des dommages-intérêts en cas de violation de droits linguistiques lors d'un transport aérien international. Tirer la conclusion contraire dénaturerait le libellé et l'objet de la Convention de Montréal, irait à l'encontre des obligations internationales que celle-ci impose au Canada et exclurait le Canada du solide consensus international qui existe sur sa portée et ses effets. Le pouvoir général que confère la Loi sur les langues officielles d'accorder une réparation juste et convenable ne peut — et ne doit pas — être interprété comme autorisant les tribunaux canadiens à déroger aux obligations internationales qui incombent au Canada en application de la Convention de Montréal.

Les demandes soumises à notre Cour tombent nettement sous le coup de l'exclusion établie par la Convention de Montréal. La disposition qui se trouve au coeur de l'ensemble de règles de responsabilité exclusives établi par la Convention de Montréal est l'article 29. Il ressort clairement de cette disposition que la Convention de Montréal offre le seul recours pouvant être intenté contre les transporteurs aériens pour différents types de dommages subis lors d'un transport aérien international. L'article 29 dispose que, pour ce qui est des recours relevant de la Convention de Montréal, «toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit», ne peut être exercée «que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention». Les articles 17 à 19 de la Convention de Montréal précisent que le transporteur est responsable du préjudice survenu: en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager lors d'un accident qui s'est produit à bord de l'aéronef ou au cours de l'embarquement ou du débarquement (art. 17); en cas de destruction, de perte ou d'avarie des bagages alors que le transporteur en avait la garde (art. 17); en cas de destruction, de perte ou d'avarie de la marchandise pendant le transport (art. 18); et en cas de dommage résultant d'un retard (art. 19).

Établir un ensemble de règles uniformes encadrant la responsabilité pour dommages des transporteurs aériens internationaux et limiter cette responsabilité sont deux des principaux objectifs de la Convention de Montréal, qui ne peut les réaliser que si elle constitue un ensemble exclusif de règles applicables aux matières auxquelles elle s'applique. La convention ne touche pas tous les aspects du transport aérien international. Mais, dans les limites des matières qu'elle aborde, elle est exclusive en ce qu'elle interdit tout autre recours en responsabilité. Le texte et l'objet de la Convention de Montréal, ainsi qu'un fort courant jurisprudentiel, démontrent clairement que l'exclusivité du régime de responsabilité établi par la convention permet à tout le moins d'exclure les actions découlant du préjudice subi par les passagers en cours de vol ou lors de l'embarquement et du débarquement, si ces actions ne sont pas par ailleurs visées par le régime des recours autorisés.

L'argument des passagers selon lequel la Convention de Montréal ne limite pas les actions en dommages-intérêts exercées au titre d'un recours de droit public pour violation d'une loi quasi constitutionnelle n'est aucunement étayé par le texte ou l'objet de la Convention de Montréal, ni par la jurisprudence internationale. Les limites prévues à l'article 29 de la Convention de Montréal s'appliquent, dans le transport de passagers, de bagages ou de marchandises, à «toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d'un contrat ou d'un acte illicite ou pour toute autre cause». Il ne se dégage de ces termes aucune intention de soustraire quelque «action en dommages-intérêts» que ce soit dans le transport de passagers, de bagages ou de marchandises selon son fondement légal, par exemple lorsque le demandeur présente, en vertu de la loi, une demande pécuniaire de droit public fondée sur la violation de droits quasi constitutionnels. Les demandes des passagers constituent une «action en dommages-intérêts» au sens de l'article 29, puisque ces derniers réclament des dommages-intérêts pour les préjudices subis — à savoir préjudice moral, troubles et inconvénients, et perte de jouissance de leurs vacances — au cours d'un vol international. Permettre l'exercice d'une action en dommages-intérêts visant l'indemnisation du préjudice moral, des troubles et inconvénients et de la perte de jouissance des vacances du passager, action qui ne respecte pas par ailleurs les conditions de l'article 17 de la Convention de Montréal (parce qu'elle ne découle pas de la mort ou d'une lésion corporelle), serait contraire à l'article 29. Autoriser une action de ce genre compromettrait aussi l'un des principaux objectifs de la Convention de Montréal, qui est d'assurer l'uniformité entre les pays quant aux types de recours en dommages-intérêts pouvant être exercés contre les transporteurs internationaux pour les dommages subis au cours du transport de passagers, de bagages et de marchandises, et aux plafonds applicables à ces recours. L'application de la Convention de Montréal s'attache aux faits qui entourent la réclamation pécuniaire, non au fondement juridique de cette réclamation.

Il faut aussi rejeter l'argument des passagers selon lequel le champ d'application substantiel de la Convention de Montréal ne fait pas obstacle aux recours en dommages-intérêts pour «préjudices appelant des réparations standardisées», et leurs demandes sont de cette nature. Même si notre Cour adoptait la distinction établie par la Cour européenne de justice dans sa jurisprudence entre les «préjudices individuels» et les «préjudices appelant des réparations standardisées», les dommages-intérêts réclamés par les passagers en l'espèce l'étaient à titre individuel, car ils étaient fonction du préjudice causé aux passagers par les manquements particuliers en cause.

N'est pas fondé l'argument des passagers voulant que, même si leurs demandes relèvent du champ d'application substantiel de la Convention de Montréal, elles dépassent son champ d'application temporel pour ce qui est des cas de préjudice personnel, parce que l'affectation d'agents de bord non bilingues à bord des vols en cause était une décision prise bien avant la procédure d'embarquement. La situation des passagers relevait clairement du champ d'application temporel de la convention lorsqu'on a porté atteinte à leurs droits linguistiques. Les tribunaux doivent appliquer le principe de l'exclusivité en fonction de l'endroit où se trouvait le passager, ou de ce qu'il faisait, au moment de l'accident ou de l'événement ayant causé directement le préjudice ouvrant droit au recours, et non en fonction d'une quelconque faute antérieure.

Suivant une interprétation correcte de la Loi sur les langues officielles et de la Convention de Montréal, aucun conflit n'oppose les pouvoirs de réparation généraux conférés par la loi et l'exclusion du recours en dommages-intérêts par la Convention de Montréal, et il n'est donc pas nécessaire de déterminer lequel de ces textes prévaudrait dans le cas contraire. Les tribunaux présument que les lois adoptées par le législateur ne contiennent ni contradiction ni incohérence, et ils ne concluent à l'existence de l'une ou l'autre que si les dispositions sont à ce point incompatibles qu'elles ne peuvent coexister. Même lorsque les dispositions se chevauchent, en ce sens où elles traitent des aspects d'une même matière, elles sont interprétées de façon à éviter les conflits chaque fois que cela est possible. Les dispositions en cause ici se chevauchent, mais ne sont pas en conflit. Elles ont des objets sensiblement différents et traitent de matières distinctes. Les dispositions réparatrices de la loi s'inscrivent dans un régime général d'obligations et de mécanismes visant à préserver et à renforcer l'épanouissement des langues officielles au sein de nos institutions fédérales. La convention, en revanche, fait partie d'un régime uniforme et exclusif, reconnu internationalement, qui vise à encadrer les recours en dommages-intérêts dans le domaine du transport aérien international. Les dispositions réparatrices de la loi ne peuvent être considérées comme un code exhaustif qui impose l'octroi de dommages-intérêts dans toutes les circonstances et sans égard aux autres lois applicables. La loi ne dispose pas que des dommages-intérêts doivent être octroyés dans tous les cas; elle ne fait qu'autoriser les tribunaux à accorder une réparation «convenable et juste». Il est facile de concilier le pouvoir d'accorder une réparation «convenable et juste» avec l'exclusion expresse et limitée des dommages-intérêts dans le contexte du transport aérien international. Une réparation n'est pas «convenable et juste» si son octroi contrevient aux obligations internationales qu'impose au Canada la Convention de Montréal. Par conséquent, au moment de concevoir une réparation convenable et juste au sens de la loi dans une affaire de transport aérien international, la Cour fédérale doit appliquer la limite relative aux dommages-intérêts prévue à l'article 29 de la Convention de Montréal.

Il faut rejeter l'argument des passagers selon lequel le statut quasi constitutionnel de la loi empêche d'interpréter harmonieusement son article 77 (4) et l'article 29 de la Convention de Montréal. L'article 77 (4) de la Loi sur les langues officielles, qui confère un vaste pouvoir de réparation, s'inscrit assurément dans un régime législatif quasi constitutionnel visant à refléter et à actualiser l'égalité de statut du français et de l'anglais en tant que langues officielles du Canada, de même que les droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada, ainsi qu'il est déclaré à l'article 16 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 77 (4) de la loi devrait donc recevoir une interprétation généreuse afin que se réalise son objet. Cependant, ces facteurs ne modifient en rien la bonne méthode d'interprétation des lois, selon laquelle il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, son objet et l'intention du législateur. Il ressort de la loi, lue dans son contexte global, que le législateur ne voulait pas empêcher que l'article 77 (4) soit interprété harmonieusement avec les obligations internationales du Canada mises en oeuvre par une autre loi fédérale. La proposition que le législateur voulait, au moyen de l'article 77 (4), permettre aux tribunaux d'accorder des dommages-intérêts même si l'octroi d'une telle réparation contrevient aux engagements internationaux du Canada incorporés dans une loi fédérale va à l'encontre du principe d'interprétation selon lequel le législateur est réputé ne pas vouloir légiférer en contravention des obligations du Canada ressortissant au droit international. L'article 77 (4) devrait plutôt être vu comme ayant été incorporé dans un cadre juridique déjà établi, composé de limites législatives, d'exigences procédurales et de principes juridiques généraux — y compris les engagements internationaux du Canada incorporés dans un texte législatif canadien — qui aident le tribunal à décider quelle réparation est «convenable et juste».

La Cour d'appel fédérale a eu raison d'annuler l'ordonnance structurelle. Les ordonnances structurelles doivent faire l'objet d'une attention particulière en raison de deux problèmes potentiels connexes: le premier étant un manque de clarté, lequel, à son tour, peut en occasionner un deuxième, soit la nécessité d'une supervision judiciaire continue. L'ordonnance doit être suffisamment claire pour donner aux parties tenues de la respecter des indications convenables sur ce qu'il leur faut accomplir pour s'y conformer, et pour éviter une ronde potentiellement interminable de nouvelles demandes visant à déterminer si elles s'y sont conformées. La supervision judiciaire continue sera parfois de mise, mais, en l'absence de circonstances impérieuses, les tribunaux devraient en général s'abstenir de prononcer des ordonnances qui susciteront presque inévitablement de perpétuelles procédures sur la question de savoir si elles sont respectées. En l'espèce, l'ordonnance est trop imprécise, elle risque de donner lieu à d'incessantes procédures et mesures de supervision judiciaire visant à déterminer si elle est respectée, et, enfin, elle est inappropriée, surtout au vu des pouvoirs conférés par la loi au commissaire et de son expertise en matière de surveillance du respect de la Loi sur les langues officielles.

Mme la juge Abella, dissidente, à l'opinion de laquelle souscrit le juge Wagner: La Convention de Montréal ne fait pas obstacle à l'octroi de dommages-intérêts pour violation des droits linguistiques pendant le transport aérien international.

Les T. réclament des dommages-intérêts pour les violations d'une loi qui concrétise des droits protégés par la Constitution. La Convention de Montréal doit être interprétée dans le respect des protections accordées aux droits fondamentaux, y compris les droits linguistiques, dans la législation nationale. On ne trouve dans les procès-verbaux des débats parlementaires ou dans l'historique législatif de la Convention de Montréal aucun élément de preuve qui laisse entendre que le Canada, en tant qu'État partie, entendait mettre fin à la protection des droits linguistiques au pays en ratifiant ou en mettant en oeuvre la Convention de Montréal. Compte tenu de l'importance des droits protégés par la Loi sur les langues officielles et de leurs antécédents constitutionnels et historiques, il convient de donner à la Convention de Montréal une interprétation qui respecte l'engagement explicite du Canada à l'égard de ces droits fondamentaux, plutôt qu'une interprétation qui témoignerait de l'intention d'y porter atteinte. Notre Cour a souvent affirmé que le droit national devait être interprété généreusement, en accord avec le droit international et ses valeurs en matière de droits de la personne. Elle n'a jamais dit que le droit international devait être interprété de façon à affaiblir les droits de la personne protégés par le droit national.

L'interprétation d'un traité est un exercice de discernement. Une réponse claire et sans équivoque se dégage rarement avec certitude du sens littéral des mots. Il faut donc saisir l'intention des États parties en examinant de bonne foi non seulement les mots en cause, mais aussi le contexte, l'historique, l'objet et le but du traité dans son ensemble. En l'espèce, cet exercice mène à la conclusion que l'article 29 de la Convention de Montréal ne régit pas à titre exclusif tous les dommages dont les transporteurs peuvent être tenus responsables pendant le transport aérien international. Les premiers mots de l'article 29 limitent son champ d'application en déclarant que toute action en dommages-intérêts «[d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises» doit être exercée dans les conditions prévues par la Convention de Montréal. Les mots qui suivent immédiatement — «à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d'un contrat ou d'un acte illicite ou pour toute autre cause» — constituent une disposition dont le sens dépend des mots introductifs qui la précèdent. Ainsi, le mot «action» renvoie uniquement à une action en dommages-intérêts «[d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises». Par conséquent, seule l'action pour un préjudice subi «[d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises» doit être exercée «dans les conditions et limites de responsabilité prévues» par la Convention de Montréal.

D'autres dispositions de la Convention de Montréal, et plus particulièrement du chapitre III (art. 17 à 37) où figure l'article 29, aident à déterminer en quoi consiste une action en dommages-intérêts «[d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises». Le chapitre III énonce la responsabilité limitée des transporteurs dans le transport des passagers, des bagages et des marchandises. Les articles 17, 18 et 19 portent sur la mort ou une lésion corporelle subie par un passager, la destruction, la perte ou l'avarie de bagages, la destruction, la perte ou l'avarie de la marchandise, et le retard dans le transport de personnes, de bagages ou de marchandises. Conjuguées à l'article 29, ces dispositions confirment que la Convention de Montréal régit à titre exclusif uniquement les actions en dommages-intérêts exercées à l'égard de ces objets.

La Convention de Varsovie, 1929 qui l'a précédée a vu le jour en 1929 pour aider l'industrie naissante du transport aérien à prendre son envol. À l'époque, la technologie de l'aviation en était à ses débuts. Les accidents étaient monnaie courante, et de nombreux pilotes et passagers y ont été blessés ou y ont trouvé la mort. La fréquence relative des accidents exposait les transporteurs à des pertes imprévisibles et coûteuses, si bien qu'il était difficile d'obtenir des capitaux d'investissement ou une couverture d'assurance. Les transporteurs aériens ont réagi en obligeant les passagers à signer des renonciations déchargeant les transporteurs de toute responsabilité en cas de préjudice. Lorsqu'un accident se produisait, les passagers en question ne pouvaient obtenir réparation pour les blessures ou les pertes qu'ils subissaient. À mesure que s'améliorait la sécurité dans l'aviation civile, les gouvernements ont délaissé la protection de la viabilité financière des transporteurs aériens pour se pencher sur l'instauration d'un régime juridique plus favorable aux passagers. L'accent était désormais mis sur l'augmentation des limites exceptionnellement faibles de la responsabilité des transporteurs aériens établies dans la Convention de Varsovie, 1929 et les États ont subséquemment adhéré à diverses initiatives internationales visant à accroître la responsabilité des transporteurs.

Même si l'on reconnaissait de plus en plus que les indemnités versées aux passagers étaient trop faibles, la conclusion d'un instrument international unique accroissant les plafonds de responsabilité des transporteurs se révélait hors d'atteinte. Craignant que cette réponse hétéroclite entraîne la disparition d'un système unifié de droit aérien international, l'industrie a agi. L'Accord de Montréal de 1966, un accord privé entre transporteurs aériens, a augmenté la responsabilité des transporteurs prévue dans la Convention de Varsovie, 1929 au titre des lésions corporelles.

Ayant été «pris de court» par les initiatives de l'industrie en vue de s'attaquer aux plafonds peu élevés de responsabilité des transporteurs, les États ont entrepris de mettre à jour la Convention de Varsovie, 1929. La Convention de Montréal a vu le jour en 1999, adoptant le régime de responsabilité à deux volets en cas de lésion ou de décès d'un passager. La Convention de Montréal se voulait ainsi une solution de rechange au régime à la pièce qui visait à augmenter les limites de responsabilité établies par la Convention de Varsovie, 1929. Les rédacteurs de la Convention de Montréal ont maintenu un régime de responsabilité uniforme, semblable à celui de la Convention de Varsovie, 1929, mais alors que la Convention de Varsovie, 1929 avait pour principal objectif de limiter la responsabilité des transporteurs afin de favoriser la croissance de l'industrie naissante de l'aviation civile, les États parties à la Convention de Montréal se souciaient davantage de l'importance d'assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et de la nécessité d'une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation.

Il est donc à la fois paradoxal et anormal d'un point de vue historique de donner à l'article 29 de la Convention de Montréal une interprétation qui a pour effet de réduire la protection accordée aux consommateurs et d'accroître celle accordée aux transporteurs. Personne n'a prétendu à quelque moment que ce soit que la nouvelle convention visait à réduire la faculté des passagers de poursuivre les transporteurs.

Qui plus est, l'absence, dans les procès-verbaux des travaux parlementaires, de toute mention des changements de formulation entre la Convention de Varsovie, 1929 et la Convention de Montréal est révélatrice. Les changements radicaux du droit tendent à susciter des réactions radicales. Or, ce changement, si changement il y a, n'en a suscité aucune. Par conséquent, l'explication la plus plausible du silence est qu'il n'y a eu aucun changement du droit. En fait, il est difficile d'imaginer qu'une intrusion aussi draconienne dans le droit national puisse se faire sans texte explicite ou communication du Parlement. Le silence à l'égard de telles conséquences tend à indiquer que celles-ci n'étaient ni envisagées ni souhaitées.

Compte tenu du sens de l'article 29, considéré dans son contexte et à la lumière de l'objet et du but de la Convention de Montréal, cette disposition ne s'applique de manière exclusive qu'à certains recours et doit être interprétée comme prescrivant que la Convention de Montréal ne régit que les actions intentées pour un dommage subi «[d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises», à savoir les actions visées par les articles 17, 18 et 19.

L'action en dommages-intérêts intentée par les T. ne fait pas partie de celles visées par les articles 17, 18 et 19 de la Convention de Montréal. Il ressort clairement du texte de l'article 17 (1) que la disposition ne s'applique pas à tous les faits qui se produisent à bord d'un aéronef ou pendant les opérations d'embarquement ou de débarquement. L'article 17 (1) établit plutôt les conditions suivantes: (1) il doit y avoir eu un accident (2) qui a causé (3) la mort ou une lésion corporelle (4) alors que le passager était à bord de l'aéronef, ou en train d'embarquer à bord de celui-ci ou d'en débarquer. En l'espèce, personne n'a signalé d'accident. Ce fait est déterminant puisqu'il est question, à l'article 17 (1), de «mort ou de lésion corporelle» causée par un accident. Les T. n'ont pas subi de lésion corporelle. Le fait que la violation de leurs droits linguistiques soit survenue à bord de l'aéronef est sans importance parce que ces circonstances ne sont pertinentes que s'il y a eu accident.

Nous sommes d'avis d'accueillir les pourvois relativement aux demandes de dommages-intérêts et de rétablir les dommages-intérêts accordés par la juge saisie de la demande.


Dernière modification : le 12 août 2022 à 14 h 08 min.