Résumé de l'affaire

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant annulé une convention de transfert d'actions. Rejeté.
L'appelant et son frère Claude détenaient chacun 50 % des actions de la compagnie appelante. Ils étaient liés par une convention entre actionnaires qui déterminait les modalités de vente des actions de la succession en cas de décès de l'un d'eux. Le 29 juin 1993, Claude est décédé, léguant tous ses biens à l'intimée, son épouse. Après avoir consulté un avocat au sujet de la convention, le comptable de la compagnie a déterminé la valeur des actions. Le 21 septembre suivant, cette dernière a vendu son achalandage à un tiers, qui a payé 179 800 $. Le 18 novembre, l'intimée a signé la convention de transfert d'actions au prix de 170 000 $ et a donné quittance à l'appelant. Ayant appris par la suite que l'évaluation des actions n'avait pas été faite conformément à la convention, elle a intenté une poursuite afin d'obtenir le paiement d'une somme additionnelle. Selon son expert, les actions auraient dû être évaluées à 221 559 $. Excluant la valeur de l'achalandage au moment du décès de Claude, l'expert de l'appelant a évalué les actions à 139 203 $. Le premier juge a estimé que la valeur des actions devait tenir compte de l'achalandage, dont la valeur correspondait au prix de vente à un tiers. Il a conclu que le prix de vente indiqué dans la convention du 18 novembre était erroné et que le consentement de l'intimée avait été vicié à la suite d'une erreur. Selon l'appelant, les actionnaires n'avaient jamais compris qu'il fallait tenir compte de l'achalandage pour établir la valeur de leurs actions. Il ajoute que l'intimée a volontairement consenti à la vente des actions et que, si elle a commis une erreur, celle-ci est inexcusable au sens de l'article 1400 du Code civil du Québec (C.C.Q.).

Décision

M. le juge Forget: En l'absence d'erreur du premier juge dans son appréciation de la preuve, il n'y a pas lieu d'intervenir. Il est faux de dire que les actionnaires ont toujours écarté la valeur de l'achalandage. S'il est vrai que cette partie de l'actif ne faisait pas l'objet d'une évaluation précise aux états financiers, ceux-ci en faisaient mention au poste «Autre élément d'actif». L'achalandage existait au moment du décès de Claude et la vente du 21 septembre ne sert qu'à en établir la valeur. Si l'on ajoute à ces faits le contexte des relations entre les deux frères, il est difficile de concevoir que ceux-ci, qui partageaient tout en parts égales, auraient voulu priver la succession de l'un d'eux d'environ 30 % de la valeur des actions. L'erreur de l'intimée porte sur un élément important du contrat de vente. Par ailleurs, l'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement (art. 1400 C.C.Q.). Il n'est pas possible de donner une définition rigoureusement précise du caractère inexcusable. Toutefois, il faut retenir une négligence d'une certaine gravité. Le degré de négligence doit être apprécié en tenant compte de toutes les circonstances au moment où l'erreur a été commise. L'aspect inexcusable doit être apprécié in concreto (Létourneau c. La Garantie, compagnie d'assurances de l'Amérique du Nord (C.A., 2000-02-23), SOQUIJ AZ-50069795, J.E. 2000-535). L'intimée n'a pas commis une erreur inexcusable. Elle n'a pas négligé de se renseigner. Elle n'avait aucune connaissance du domaine des affaires et devait se conformer à la convention d'actionnaires. Elle a consulté le comptable de l'entreprise, qui lui a déclaré avoir consulté l'avocat rédacteur de la convention. Après lui avoir posé des questions, elle a obtenu une copie du contrat avant de le signer. Elle était fondée à faire confiance à l'appelant, duquel son mari avait été l'associé pendant 16 ans. Elle a de plus consulté un autre beau-frère, qui l'a accompagnée lors de la signature du contrat.

Mme la juge Rousseau-Houle: L'intimée a commis une erreur en signant l'acte de transfert d'actions à un prix inférieur à la juste valeur des actions de la succession. Cette erreur constitue une cause d'annulation de l'acte. En vertu de la convention entre actionnaires, la valeur de l'achalandage devait servir à déterminer le prix des actions. L'erreur de ne pas l'avoir inclus dans le prix payé portait donc sur un élément important de la convention de transfert. Le consentement de l'intimée a été vicié par une erreur grave du comptable, dont l'appelant a profité. Même si, au moment où elle a signé la quittance litigieuse, l'intimée avait des doutes sur les chiffres du comptable, l'erreur commise n'en devient pas pour autant inexcusable, ce qui serait susceptible de la priver de son droit de demander l'annulation de la convention. Sa négligence s'explique par de nombreuses excuses.

M. le juge Pelletier: L'erreur que l'intimée invoque constitue une erreur d'ordre économique. En principe, ce type d'erreur n'entre pas dans l'une des trois catégories que reconnaissent les articles 992 du Code civil du Bas Canada et 1400 C.C.Q., et il n'entraîne pas l'annulation du contrat. Toutefois, les tribunaux n'écartent pas toute possibilité de considérer une telle erreur comme une cause valable d'annulation de contrat. Pour que ce type d'erreur porte sur une considération principale, il faut qu'elle ait incité la personne à contracter. D'autre part, l'exécution de la convention entre actionnaires constituait aussi la considération principale qui a amené l'appelant à consentir au contrat de transfert d'actions. En réalité, ce contrat ne poursuit qu'un seul objet, soit l'exécution des obligations prévues dans la convention entre actionnaires. La clause de cette convention qui porte sur la valeur des actions n'était pas parfaitement claire. Elle prêtait à plusieurs interprétations raisonnables, comme en témoignent les opinions différentes des trois experts. Le premier juge a eu raison de retenir celle de l'expert de l'intimée. En effet, aux termes de la convention entre actionnaires, les deux frères ont voulu partager la totalité de l'actif en parts égales. Une interprétation étroite du terme «immobilisation» dénature la volonté des parties. L'achalandage existait au moment du décès de Claude. Par conséquent, pour que les parties exécutent les obligations prévues à la convention entre actionnaires, il fallait que la valeur des actions tienne compte de la totalité de la valeur de l'achalandage. L'appelant et l'intimée ont donc commis une erreur sur l'objet même du contrat attaqué. Il s'agit d'une erreur commune. Dans les circonstances, il n'y a pas lieu de recourir à la notion d'erreur inexcusable puisqu'un tel exercice n'est pertinent qu'en cas d'erreur d'une seule des deux parties: celle-ci entraîne la nullité plutôt que l'annulation. En outre, compte tenu de l'erreur commune des parties et du fait que le contrat a été signé avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, les dispositions de l'article 1400 C.C.Q. ne s'appliquent pas.


Dernière modification : le 5 août 2022 à 13 h 49 min.