Résumé de l'affaire

Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une requête en autorisation d'exercer une action collective. Accueilli.

L'appelante demande l'autorisation d'exercer un recours collectif au nom des personnes ayant conclu avec l'intimée, après le 1er janvier 2000 et avant la date du jugement sur la requête en autorisation, une entente intitulée «Contrat de fournitures d'aliments, de nourrissons et autres services» et qui, en raison de l'application des clauses abusives qu'elle contient, ont subi des pertes. L'appelante soutient que les éleveurs de veaux de lait sont liés par ce contrat d'adhésion (écrit) à l'intégratrice agricole auprès de laquelle ils doivent obligatoirement s'approvisionner et qui décide à la fois du prix de vente des fournitures, des conditions d'exploitation et des conditions de vente du produit fini. Parallèlement à ce contrat écrit, il a été admis que l'intimée a conclu un contrat verbal avec chacun des éleveurs prévoyant qu'une certaine somme serait versée au moment du ramassage des veaux, laquelle constituerait un dédommagement pour ses frais fixes et non une avance sur le prix de vente. Selon l'appelante, les éleveurs seraient alors engagés dans un cercle vicieux d'endettement dont ils ne peuvent sortir, ce qui crée une grave situation d'exploitation; l'intimée gère les revenus et les dépenses tout en prêtant des sommes portant intérêt. L'appelante affirme que les sommes reçues de La Financière agricole du Québec visant à garantir un revenu annuel net positif aux éleveurs sont perçues par l'intimée et appliquées à l'encontre du prêt de production. Elle réclame donc à cette dernière le remboursement des sommes versées en vertu du contrat verbal et la réduction des obligations découlant du contrat de fourniture, ce qui pourrait se traduire par le remboursement des sommes reçues de La Financière, moins le solde négatif des dépenses d'élevage. La juge de première instance a rejeté cette demande au motif qu'aucun des critères de l'article 1003 du Code de procédure civile (C.P.C.) (ancien) n'était rempli.

Décision

Mme la juge Bélanger: Les décisions interlocutoires rendues dans le présent dossier n'ont pas contribué à faciliter la tâche de la juge de l'autorisation. En effet, une première juge gestionnaire du dossier a ordonné à l'appelante de retirer les pièces déposées au soutien de sa requête pour autorisation au motif qu'elles n'étaient pas nécessaires à l'étude de cette dernière, car les faits devaient être tenus pour avérés. Or, l'article 1002 in fine C.P.C. (ancien), devenu l'article 574 C.P.C. in fine, n'a jamais eu pour effet d'obliger un requérant à demander la permission pour déposer des pièces au soutien de sa requête pour autorisation. D'ailleurs, le juge de l'autorisation doit non seulement tenir pour avérées les allégations de la requête, mais aussi prendre en considération les pièces déposées à son soutien. Ce n'est que de façon très exceptionnelle qu'il pourra ordonner le retrait de pièces déposées par un requérant, et ce, uniquement parce qu'elles ne seraient pas pertinentes quant à l'examen des quatre critères d'autorisation ou alourdiraient indûment un dossier.

Toutefois, aux termes de la déclaration sous serment du directeur général de la production chez l'intimée, autorisée en vertu de l'article 1002 C.P.C. (ancien), cette dernière ne conteste pas l'existence d'un contrat verbal, mais elle affirme que les sommes versées en vertu de celui-ci devaient être considérées comme une avance sur la somme devant être remise au producteur. Pour sa part, l'appelante prétend que l'intégratrice lui a affirmé que cette somme constituait un revenu garanti. Or, la production de déclarations sous serment, autorisée en vertu de l'article 574 C.P.C., doit généralement porter sur des questions neutres et objectives, par opposition à des questions controversées ou litigieuses qui relèvent de l'appréciation de la preuve devant être évaluée sur le fond de l'affaire. Tel qu'il est énoncé dans Allstate du Canada, compagnie d'assurances c. Agostino (C.A., 2012-04-11), 2012 QCCA 678, SOQUIJ AZ-50847109, 2012EXP-1604, J.E. 2012-855, [2012] R.J.Q. 690, le juge de l'autorisation doit éviter de permettre la production d'une preuve qui viserait à transformer le mécanisme de filtrage en préenquête sur le fond. Si le juge de l'autorisation se trouve devant des faits contradictoires, il doit faire primer le principe général qui est de tenir pour avérés ceux de la requête pour autorisation, sauf s'ils paraissent invraisemblables ou manifestement inexacts. Ici, la juge aurait donc dû tenir pour avérées les allégations de l'appelante selon lesquelles les sommes versées en vertu du contrat verbal devaient constituer du revenu garanti plutôt que des acomptes sur celles devant être versées ultérieurement. Doivent aussi être tenues pour avérées les allégations visant à démontrer que les clauses du contrat désavantagent l'adhérent de façon excessive et déraisonnable. Ainsi, les faits allégués de même que les termes du contrat démontrent une apparence de droit suffisante permettant à l'appelante de conclure que le contrat crée une «situation d'exploitation sévère» et que l'intimée a mis en place un système lésionnaire qui donne ouverture à l'application de l'article 1437 du Code civil du Québec. De plus, la question de savoir si l'intimée a fait des déclarations mensongères aux éleveurs de veaux de lait et celle de savoir si le contrat est lésionnaire constituent des questions de droit ou de faits identiques, similaires ou connexes au sens de l'article 1003 a) C.P.C. (ancien) (art. 575 paragr. 3 C.P.C.).

Quant à l'existence d'un groupe, les facteurs habituellement pris en considération dans l'analyse de ce critère sont le nombre estimé de membres ainsi que la connaissance par le requérant de leur identité, de leurs coordonnées et de leur situation géographique. Le principe de la proportionnalité et une saine administration de la justice peuvent aussi militer en faveur de l'utilisation de l'action collective malgré un nombre plus restreint de membres selon les circonstances de l'affaire, y compris la valeur des réclamations. D'autre part, comme toutes les conditions d'autorisation, ce critère doit recevoir une interprétation large et libérale, car le législateur a voulu faciliter l'exercice des actions collectives. En l'espèce, l'appelante soutient qu'environ 180 éleveurs ont signé une entente identique à la sienne. Or, la juge devait tenir pour avéré que cette dernière avait établi quelques membres du groupe dont certains sont nommément identifiés et avoir en sa possession quelques contrats (qui ont été exclus du dossier). En outre, la description du groupe telle qu'elle a été modifiée n'est pas circulaire, et les personnes touchées sont en mesure, à la lecture de sa description et sans attendre le jugement final, de savoir si elles font partie du groupe ou non. Enfin, l'appelante a obtenu l'autorisation d'ester dans le présent dossier malgré sa faillite. Elle a donc l'intérêt légal pour agir contre l'intimée. Dans ces circonstances, l'action collective est autorisée. Toutefois, étant donné que le veau de lait n'est plus admissible au Programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles depuis le 1er janvier 2016, il y a lieu de restreindre la période visée par l'action collective du 1er janvier 2006 (date avancée par l'intimée pour la conclusion de contrats identiques à celui de l'appelante) au 31 décembre 2015.


Dernière modification : le 23 juillet 2022 à 18 h 29 min.