en bref

La compétence juridictionnelle des tribunaux québécois peut varier dans le temps à l'égard du même contrat d'achat conclu à l'égard du même bien, selon l'endroit où le propriétaire du bien réside lorsqu'un problème touchant celui-ci se manifeste.

 L'article 49 de la Loi sur la protection du consommateur ne s'applique pas à l'occasion de la mise en oeuvre de la garantie conventionnelle prévue au contrat d'acquisition d'un ordinateur conclu par Internet alors que l'acheteur résidait en Ontario et qu'un premier bris est survenu alors qu'il résidait encore dans cette province mais qu'un deuxième bris a eu lieu au moment où il avait déménagé au Québec.

 

Résumé de l'affaire

Exception déclinatoire. Rejetée.

En novembre 2009, le demandeur a acheté un ordinateur par Internet alors qu'il résidait à Ottawa et y poursuivait des études. Il est québécois d'origine et a une résidence chez ses parents au Québec, là où sont entreposés des effets personnels, où il conserve un compte bancaire et où il retourne passer ses étés. Un premier bris est survenu en avril 2010 alors qu'il résidait en Ontario et il a été obligé d'acheminer à ses frais l'appareil au centre de services de la défenderesse pour le faire réparer conformément à la garantie conventionnelle limitée de un an. En septembre 2010, l'appareil s'est brisé de nouveau, mais le demandeur avait déménagé au Québec. Il a encore une fois été obligé d'acheminer l'appareil à ses frais. Alléguant une violation répétée et intentionnelle de l'article 49 de la Loi sur la protection du consommateur en raison de l'absence de prise en charge des frais de transport, totalisant une somme approximative de 30 $, le demandeur réclame 60 000 $ en dommages-intérêts. Les défenderesses invoquent l'incompétence des tribunaux québécois pour entendre le litige ou l'application de la doctrine du forum non conveniens.

 

résumé de la Décision

D'une part, les défenderesses n'ont pas leur domicile ni d'établissement au Québec et la contestation n'est pas relative à leur activité au Québec. Les parties n'ont pas convenu de soumettre le litige aux tribunaux québécois et les défenderesses n'ont jamais reconnu leur compétence. D'autre part, le contrat d'achat de l'ordinateur a été scellé sur Internet à Ottawa puis exécuté dans cette même ville puisque c'est à la résidence de l'acheteur à Ottawa que l'appareil a été livré. C'est aussi à cet endroit qu'ont été exécutées l'obligation de payer la somme convenue supportée par l'acheteur ainsi que celle d'honorer la garantie conventionnelle consentie par le fabricant lorsque l'appareil s'est brisé la première fois. Ainsi, les tribunaux québécois ne sont pas compétents en ce qui concerne le premier bris. Quant au second bris, un nouveau fait dommageable s'est produit au Québec, car l'acheteur y avait déménagé. Ce fait dommageable lui a causé un préjudice, et ce fait ainsi que le préjudice ont eux-mêmes engendré l'obligation, pour le fabricant, d'exécuter une obligation découlant du contrat. La réalisation d'une seule de ces hypothèses suffit, en principe, pour conférer compétence aux tribunaux québécois. Toutefois, on se trouve alors dans l'étonnante situation où les autorités québécoises, qui n'avaient manifestement pas compétence lors de la formation du contrat ni à l'occasion du premier bris, l'auraient acquise parce que l'appareil est devenu défectueux une seconde fois alors qu'il avait été transporté en sol québécois. La compétence des tribunaux québécois peut-elle varier dans le temps relativement au même contrat d'achat conclu à l'égard du même bien, selon l'endroit où le propriétaire du bien réside lorsqu'un problème se manifeste? Trois approches différentes permettent de répondre affirmativement à cette question. Une première découle de la philosophie sous-jacente à l'article 3148 du Code civil du Québec (C.C.Q.), laquelle vise à assurer une vaste assise juridictionnelle à la compétence des tribunaux québécois. Une deuxième approche met plutôt l'accent sur le pouvoir discrétionnaire dont le tribunal bénéficie pour tempérer l'effet potentiellement déraisonnable d'un assujettissement aussi large à la compétence des tribunaux québécois. Une troisième approche est jurisprudentielle et n'exige pas que les faits générateurs de compétence soient figés dans le temps, l'important étant qu'ils se soient produits avant l'introduction du recours. De toute façon, même si la réponse à cette question avait été négative, le régime exceptionnel créé en faveur du consommateur par l'article 3149 C.C.Q. aurait conduit à la compétence des tribunaux québécois. Le contrat invoqué par le demandeur est un contrat de consommation. L'article 3149 C.C.Q. s'applique à n'importe quel recours fondé sur un contrat de consommation sans égard au lieu de formation de celui-ci. Les tribunaux québécois sont donc compétents pour statuer sur cette partie du litige. Quant à la doctrine du forum non conveniens, rien ne permet de conclure qu'une instance judiciaire ontarienne serait mieux à même d'entendre le litige, ni qu'il serait nettement préférable de s'en remettre à une telle instance, ni même que cette autre instance pourrait validement se saisir de ce litige. En effet, si l'occasion du présent litige est le bris d'un ordinateur sous garantie conventionnelle, son véritable objet est de déterminer la portée de l'article 49 de la Loi sur la protection du consommateur dans la mise en oeuvre de cette garantie. Le litige s'inscrit donc dans une logique essentiellement québécoise. De plus, le libellé de l'article 3149 in fine traduit une volonté claire du législateur québécois de ne pas priver le consommateur québécois de son droit de s'adresser aux tribunaux du Québec. Quant aux autres facteurs, il ne se dégage pas une impression nette tendant vers un seul et même tribunal étranger et il n'existe pas de situation exceptionnelle fondant le tribunal à décliner compétence. Enfin, la Loi sur la protection du consommateur ne gouvernant pas le présent litige à titre de règles d'application immédiate, c'est le recours aux règles de conflit qui permet de déterminer si le droit québécois s'y applique ou non. Or, ni la règle de conflit particulière au contrat de consommation (art. 3117 C.C.Q.) ni les autres règles de conflit spécifiques ne permettent de conclure à l'application du droit québécois. C'est, en principe, la loi ontarienne qui régit le recours. On se retrouve ainsi dans la situation incongrue où un recours recherchant la condamnation à des dommages-intérêts punitifs pour violation de l'article 49 de la Loi sur la protection du consommateur devrait être régi par le droit ontarien. Il appartiendra au demandeur de faire le point sur la situation et de décider quelle orientation il entend donner à son recours.


Dernière modification : le 22 février 2012 à 15 h 29 min.