Résumé de l'affaire
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta ayant confirmé la constitutionnalité des dispositions de la Loi sur les armes à feu relatives aux permis et à l'enregistrement. Rejeté.
En 1995, le Parlement a modifié le Code criminel en adoptant la Loi sur les armes à feu. Les modifications obligent tous les détenteurs d'armes à feu à obtenir un permis et à enregistrer leurs armes. L'Alberta a demandé à la Cour d'appel, par renvoi, de déterminer si les dispositions de la Loi sur les armes à feu relatives aux permis et à l'enregistrement à l'égard des armes à feu ordinaires sont de la compétence du Parlement. La Cour d'appel a conclu à la majorité que la Loi était un exercice valide de la compétence du Parlement en matière de droit criminel. L'Alberta fait appel devant notre Cour.
Décision
Arrêt: Le pourvoi est rejeté. Les dispositions contestées de la Loi sur les armes à feu sont constitutionnelles.
L'adoption de la Loi sur les armes à feu est un exercice valide de la compétence du Parlement en matière de droit criminel. De par son «caractère véritable», la Loi vise à améliorer la sécurité publique en régissant l'accès aux armes à feu. Elle a pour objectif la dissuasion de l'usage abusif des armes à feu, le contrôle des personnes ayant accès à des armes à feu et le contrôle de types précis d'armes. Elle vise un certain nombre de «maux», notamment le commerce illégal des armes à feu, à l'intérieur du Canada et à l'extérieur avec les États-Unis, et le lien entre les armes à feu et les crimes de violence, les suicides et les morts accidentelles. L'objet de la Loi sur les armes à feu correspond à celui de toutes les lois relatives au contrôle des armes à feu qui sont traditionnellement axées sur la sécurité publique. Les modifications introduites par la Loi constituent un accroissement limité de la portée des dispositions antérieures sur le contrôle des armes à feu. Les effets de la Loi indiquent également que son essence même est la promotion de la sécurité publique. Les critères d'obtention d'un permis sont liés à la sécurité. La vérification du casier judiciaire et l'enquête sur les antécédents visent à garder les armes à feu hors de la possession de ceux qui sont incapables de les utiliser avec sûreté. Les cours sur la sécurité permettent de vérifier que les propriétaires d'armes à feu sont qualifiés.
La Loi sur les armes à feu possède les trois critères requis pour relever du droit criminel. Le contrôle des armes à feu est traditionnellement considéré comme relevant validement du droit criminel parce que les armes à feu sont dangereuses et constituent un risque pour la sécurité publique. La réglementation des armes à feu en tant que produits dangereux est un objet valide de droit criminel. Cet objet est lié à des interdictions assorties de sanctions.
La Loi sur les armes à feu ne tient pas essentiellement de la réglementation. Sa complexité ne lui enlève pas nécessairement son caractère pénal. La loi ne confère pas un pouvoir discrétionnaire indu au contrôleur des armes à feu ou au directeur. Les infractions sont clairement définies dans la Loi. Le contrôleur des armes à feu et le directeur sont expressément soumis à la surveillance des tribunaux. En outre, les interdictions et les sanctions de la loi ne sont pas de nature réglementaire. Elles ne se limitent pas à assurer le respect du régime, mais servent de façon indépendante les fins de la sécurité publique. Le Parlement ne visait pas à réglementer la propriété, mais à assurer que seuls seront autorisés à posséder une arme à feu ceux qui démontrent qu'ils satisfont aux conditions d'obtention des permis. Enfin, le Parlement peut utiliser des moyens indirects pour atteindre les fins de la sécurité publique.
Le régime de 1995 sur le contrôle des armes à feu se différencie de régimes provinciaux actuels de réglementation des biens. La Loi traite des aspects du contrôle des armes à feu qui ont trait à leur nature dangereuse et à la nécessité d'en réduire l'usage abusif. Les armes à feu ordinaires sont souvent utilisées à des fins licites, mais elles le sont également pour le crime et le suicide, et causent des morts et des blessures accidentelles. Leur contrôle relève donc de la compétence en matière criminelle.
Les dispositions relatives à l'enregistrement ne peuvent être retranchées de la Loi. Les dispositions relatives aux permis obligent quiconque possède une arme à feu à obtenir un permis; les dispositions relatives à l'enregistrement exigent l'enregistrement de toutes les armes à feu. Ces catégories de dispositions de la Loi sur les armes à feu sont étroitement liées au but visé par le Parlement, la promotion de la sécurité par la réduction de l'usage abusif de toutes les armes à feu. Ces deux catégories sont partie intégrante et nécessaire du régime.
La Loi sur les armes à feu n'empiète pas tant sur les pouvoirs des provinces que la confirmation qu'elle relève du droit criminel rompra l'équilibre du fédéralisme. Les provinces n'ont pas démontré que les effets de la loi sur les pouvoirs provinciaux sur la propriété et les droits civils étaient plus que secondaires. Premièrement, le simple fait que les armes à feu sont des biens ne suffit pas pour démontrer que, de par son caractère véritable, une loi sur le contrôle des armes à feu relève d'une matière provinciale. Deuxièmement, la Loi ne nuit pas de façon importante à la capacité des provinces de réglementer la propriété et les droits civils relativement aux armes à feu. Troisièmement, à supposer (sans le décider) que les législatures provinciales aient le pouvoir d'adopter une loi sur les aspects relatifs à la propriété des armes à feu ordinaires, la théorie du double aspect permet au Parlement d'en réglementer les aspects relatifs à la sécurité. Quatrièmement, la Loi sur les armes à feu n'entraîne pas le gouvernement fédéral dans un nouveau domaine parce que le contrôle des armes à feu fait l'objet du droit fédéral depuis la Confédération. Il n'y a aucun empiétement déguisé dans les domaines provinciaux.
Les problèmes découlant de l'usage abusif des armes à feu sont étroitement liés à la moralité. Cependant, même si le contrôle des armes à feu ne comportait pas d'aspect moral, il pourrait néanmoins relever de la compétence fédérale en matière criminelle. Le Parlement peut utiliser le droit criminel pour interdire des activités peu liées à la moralité publique.
Les craintes des Canadiens des régions nordiques et rurales et celles des Canadiens autochtones que cette loi ne tienne pas compte de leurs besoins particuliers ne concernent pas la question de la compétence du Parlement pour l'adopter. Le coût du programme et l'efficacité, ou le manque d'efficacité, de la loi sont également sans pertinence pour déterminer si le Parlement a le pouvoir de l'adopter en vertu de l'analyse relative au partage des pouvoirs. Dans le cadre de ses compétences constitutionnelles, c'est au Parlement qu'il appartient de juger s'il est probable qu'une mesure atteindra le but poursuivi.