résumé

L’ouvrage de Danielle Grenier traite d’un recours original et complexe qui est maintenant fréquemment utilisé, non seulement en droit privé mais également en droit public : la requête pour jugement déclaratoire. Ce livre constitue la version mise à jour du mémoire de maîtrise préparé par l’auteure sous la direction du professeur Gilles Pépin, soumis en 1984 à l’Université de Montréal sous le titre La requête en jugement déclaratoire comme moyen de mise en œuvre du pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure.

L’introduction du livre nous en annonce l’objectif :

«[D]émontrer que la requête pour jugement déclaratoire a une vocation hybride, puisqu’elle permet à la Cour supérieure d’exercer efficace- ment sa juridiction générale et résiduaire de droit commun et qu’elle constitue, de surcroît, un outil privilégié et efficace de mise en œuvre du pouvoir de surveillance et de contrôle de celle-ci.»

D’entrée de jeu, madame la juge Grenier souligne l’évolution «cahoteuse et laborieuse» du jugement déclaratoire au Canada, qu’elle explique principale- ment par le peu d’empressement des juges canadiens à se pencher sur les véritables sources de ce recours. Le recours déclaratoire est en effet d’origine anglaise. Selon l’auteure, les juges d’ici auraient eu la tâche plus facile (et le jugement déclaratoire, une évolution plus rapide, notamment en droit public) s’ils s’étaient plus abondamment inspirés du Rapport des codificateurs de même que des précédents anglais pour solutionner les importantes difficultés d’interprétation auxquelles ils étaient confrontés.

Ces constatations de départ forment la trame de l’ouvrage et justifient le plan utilisé. Dans la première de trois parties, l’auteure aborde la question du jugement déclaratoire en droit public anglais. Cette étude prépare le lecteur à une meilleure compréhension du contexte général de l’émergence de ce recours en Grande-Bretagne et lui permet de saisir les intentions des codificateurs québécois en 1966, qui se sont manifestement inspirés du droit anglais pour proposer l’adoption de l’article 453 du Code de procédure civile. La juge Grenier y brosse un tableau des origines et de l’utilisation du jugement déclaratoire, en abordant d’une part les règles générales du recours (qui tiennent principalement, en droit privé comme en droit public, à sa nature discrétionnaire) et en discutant ensuite des règles qui régissent plus spécifiquement son utilisation comme moyen de mise en œuvre du pouvoir de surveillance et de contrôle de la High Court. Dans les deuxième et troisième parties, l’auteure traite du jugement déclaratoire au Québec, d’abord pour en souligner les caractéristiques générales, ensuite pour se concentrer sur son utilisation en matière de pouvoir de surveillance. Les caractéristiques générales, présentées dans la deuxième partie, s’appliquent indistinctement à la mise en œuvre du pouvoir de surveillance et à celle de la juridiction de droit commun de la Cour supérieure. On y distingue la période qui a précédé l’adoption du code de 1966 de celle qui l’a suivie. La période «moderne» témoigne de l’importance de la jurisprudence en ce domaine. En effet, l’adoption des articles 55, 453 et 462 C.p.c. n’allait pas tout régler : les tribunaux allaient devoir proclamer le caractère non seulement préventif mais aussi curatif de la requête, rappeler sa nature discrétionnaire, de même que préciser l’intérêt requis pour la présenter. Les règles particulières visant l’utilisation du jugement déclaratoire en droit public, discutées dans la troisième et dernière partie, se regroupent principalement autour de la question de la coexistence de la requête pour jugement déclaratoire avec les autres recours visant la mise en œuvre du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure. L’auteure y aborde également la question du rôle supplétif du droit anglais.

L’approche de la juge Grenier est principalement descriptive : elle présente un portrait fort complet de l’état du droit sur la question, profondément marqué par de multiples rebondissements jurisprudentiels et jalonné de questions complexes. Les résultats témoignent d’un travail de recherche et de synthèse colossal, qui assurent le lecteur d’une vue d’ensemble mais aussi de l’approfondissement de plusieurs aspects spécifiques. À l’occasion, l’auteure énonce une critique de la situation, très fréquemment pour appeler les juges à une plus grande largesse dans l’utilisation du recours (suivant en cela l’appel du juge Pigeon dans la célèbre affaire Duquet) et, pour faciliter cet objectif, à une utilisation plus libérale des précédents anglais, qu’elle justifie dans la dernière partie de son ouvrage.

Les remarques introductives de l’auteure sur la difficile évolution du jugement déclaratoire se confirment amplement dans le corps de l’ouvrage. On y constate d’ailleurs un intéressant parallèle3 : pour signer l’acte de naissance officiel de ce recours, il aura fallu une règle de pratique en Grande-Bretagne et des dispositions législatives. Dans les deux cas toutefois, cela n’aura pas suffi : les réticences, voire la méfiance des juges à l’endroit du nouveau recours retarderont de plusieurs années l’arrimage de la jurisprudence aux intentions des codificateurs.

L’auteure explique cette lente évolution au Québec par une sous- utilisation du Rapport des codificateurs comme outil d’interprétation privilégié, ainsi que par la réticence des juges à tirer profit des précédents anglais.4 Cette réticence s’explique elle-même par la difficulté de cet exercice pour des juristes québécois : «Dans la conception de common law, le droit découle du fait qu’un remède est accordé. Selon la conception française, le recours naît du droit». Tout se complique du fait qu’en Grande-Bretagne, le recours déclaratoire n’est pas un recours de common law, mais est tributaire de l’adoption d’une règle de pratique par la High Court. Il semble toutefois que l’explication fondamentale de l’évolution ardue de la requête en jugement déclaratoire réside, au Québec comme en Grande-Bretagne, dans sa nature particulière : «The essence of a declaratory judgement is that it states the rights or legal position of the parties as they stand, without changing them in anyway ; though it may be supplemented by other remedies in suitable cases.» Il aurait été intéressant de voir cet aspect poussé plus à fond par l’auteure, qui y fait brièvement allusion dans son livre et qui en reparle dans l’affaire A. Janin c. Allard : « Malgré cette consécration législative dans des termes non équivoques, l’évolution du recours déclaratoire a été semée d’embûches et d’obstacles, et l’interprétation restrictive qui continue de prévaloir procède d’une difficulté de s’adapter à un système de justice qui, idéalement, devrait être exempt d’agressivité alors qu’il revêt, dans les faits, tous les aspects des recours traditionnels (contestation, enquête, audition). »

Ce type d’exercice se distingue donc de la tâche traditionnelle des juges, et certains d’entre eux se sont montrés clairement réfractaires à son utilisation : «[Les] tribunaux ne donnent pas de consultations légales ; ils jugent les litiges». C’est ainsi qu’une meilleure connaissance de la nature fondamentale du jugement déclaratoire et de ses caractéristiques spécifiques serait certainement propre à faciliter l’utilisation des précédents anglais par les juges québécois.

Malgré le caractère mixte du Code de procédure civile et sa nature «civiliste», les origines anglaises du jugement déclaratoire justifient, selon l’auteure, l’attribution d’un rôle supplétif au droit anglais, pour les questions de droit public tout autant que pour celles de droit privé. La position de l’auteure quant au rôle réservé au droit civil en cette matière gagnerait toutefois à être précisée.

Depuis sa nomination à la Cour supérieure en 1989, l’auteure devenue juge a rendu une dizaine de décisions dans le cadre de requêtes pour jugement déclaratoire. Il est intéressant de constater que ces jugements traduisent une assurance et une cohérence qui s’inscrivent toutes dans la foulée de l’invitation à l’interprétation large proposée par madame Grenier dans son volume.

La complexité des questions que soulève la requête en jugement déclaratoire mérite sans aucune hésitation qu’on lui consacre un ouvrage entier. Le livre de Danielle Grenier constitue à ce chapitre une excellente contribution à la doctrine québécoise. La parution de cette monographie marque peut-être aussi une étape dans l’évolution de la doctrine de droit public québécois qui, après avoir vu paraître des ouvrages remarquables donnant une vue d’ensemble nécessaire du droit administratif, semble maintenant vouloir s’engager dans le traitement approfondi d’aspects plus spécifiques de ce domaine complexe. L’ouvrage est à jour en 1995.


Dernière modification : le 1 janvier 1995 à 20 h 23 min.